Fil d'Ariane
La photo de cette infirmière italienne, endormie sur un bureau a fait le tour des réseaux sociaux. Après plus de dix heures de service non-stop à tenter d’aider des dizaines de patients atteints par le coronavirus dans l’hôpital où elle travaille, elle s'autorise, enfin, une pause de cinq minutes. Il est 6 heures du matin. Élena Pagliarini se retrouve ainsi immortalisée, devant son ordinateur, un drap blanc en guise d’oreiller, son masque, sa charlotte et ses gants toujours sur elle.
Tutti in casa - #Buongiorno con la #primapagina di Repubblica di oggi https://t.co/LZaZp2FObT #rassegnastampa #10marzo pic.twitter.com/4kF3jskGws
— la Repubblica (@repubblica) March 10, 2020
"Merci pour tout ce que vous faites", écrit en légende l’auteure de la photo , qui n'est autre qu'une collègue. L'image a fait la Une de la presse italienne, et d'ailleurs.
Car partout, les femmes sont en première ligne de la pandémie. C'est ce que constate le magazine scientifique britannique The Lancet qui publie une enquête menée par trois chercheuses - Clare Wenham, Julia Smit et Rosemary Morgan - du groupe de travail international Genre et COVID-19.
"Des données officielles chinoises indiquent que plus de 90 % des soignants de la province du Hubei (région la plus touchée par le coronavirus en Chine) sont des femmes", relève la revue médicale. Les femmes constituent la majorité des travailleurs du secteur de la santé et des services sociaux - 70% dans 104 pays analysés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Simone Media (@simonemediafr) le 17 Mars 2020 à 1 :27 PDT
En France, 78 % des personnels hospitaliers sont des femmes (90 % pour les infirmières et les aides-soignantes). Sur les réseaux sociaux, de nombreux témoignages et des photos d'infirmières, masquées, ont été postées pour alerter face à la pénurie de protections, de vêtements adaptés et de solutions désinfectantes.
Force a nos guerrières et guerriers dans la santé publique pic.twitter.com/MEXLY4BSQj
— samsam79 (@poulet590) March 15, 2020
Je pars en garde pour la nuit en urgences à dom. On va voir des suspects #COVIDー19
— Sabrina AliBenali (@DrSabrinaaurora) March 15, 2020
Il me reste 3 masques FFP2 et 2 masques patients. Pas de sur-blouses. J’ai peur de contaminer les patients fragiles, les personnes âgées. J’ai envie de pleurer... anxiolytique pris .
L'hebdomadaire britannique The Economist s'appuie sur une étude du Centre chinois de contrôle des maladies portant sur quelque 44 600 personnes atteintes de COVID-19 . Elle a montré que le taux de mortalité chez les hommes était de 2,8%, contre 1,7% pour les femmes. Selon les scientifiques, ces résultats s'expliqueraient par des facteurs biologiques et des style de vie différents. "Par exemple, les hommes chinois sont beaucoup plus susceptibles que les femmes de fumer, ce qui nuit au système immunitaire. En outre, les femmes ont tendance à produire des réponses immunitaires plus fortes contre les infections que les hommes", lit-on.
"Mais par d'autres moyens, peut-être moins évidents, le virus semble affecter de manière disproportionnée les femmes- souligne le journal économique britannique - Les femmes effectuent déjà trois fois plus de soins non rémunérés que les hommes - et prendre soin de leurs proches avec le virus alourdit leur fardeau". Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), à l'échelle mondiale, les femmes effectuent 76,2% du nombre total d'heures de travail de soins non rémunérées, soit plus de trois fois plus que les hommes. En Asie et dans le Pacifique, ce chiffre atteint 80%.
De son côté, The Lancet regrette que "Les politiques de santé publique ne se sont pas intéressées jusqu’ici aux impacts genrés des épidémies. Ce n’est pas différent pour le coronavirus".
De nombreux pays, dont la France, ont décidé de fermer les écoles pour éviter la propagation du virus. Des millions d'enfants se retrouvent assignés à résidence, avec l'un de leur parent, chargé de faire l'école à domicile. Cette situation comporte bel et bien des effets spécifiques sur les femmes, car ce sont elles, qui le plus souvent "fournissent la plus grande partie des soins informels dans la famille, avec la conséquence de limiter leur travail et leur opportunités économiques ".
La crainte d'une recrudescence des violences conjugales est l'une des autres conséquences liées aux mesures de confinement. Un phénomène dont s'inquiètent publiquement les autorités françaises.
[#Covid_19] Une crise sanitaire peut exacerber les violences sexistes et sexuelles ou conjugales.
— Secrétariat d’État chargé de l'Égalité (@Egal_FH) March 16, 2020
En cas d'urgence, appelez le 17
Contactez la plateforme de signalement des violences https://t.co/TUTX2uq80q accessible 24h/7j. pic.twitter.com/Nu02hVrijF
"Le confinement à domicile peut hélas générer un terreau propice aux violences conjugales", a déclaré Marlène Schiappa. La secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes a ainsi demandé à tous les départements de surveiller la situation des centres d’hébergement d’urgence, notamment qu’y soit respectée la mise en œuvre des mesures barrières et l’organisation de "l’école à la maison" pour les enfants hébergés avec leurs mères. La secrétaire d’État rappelle aussi à tous les professionnels que l’éviction du conjoint violent doit être la règle.
[#Covid_19] Le risque de violences conjugales augmente en période de confinement qui peut se transformer en véritable enfer pour les femmes battues. Ne les oublions pas. Le numéro gratuit 0800 300 30 reste accessible à toutes et tous. pic.twitter.com/o11k9M6dq5
— Bénédicte Linard (@BenedicteLinard) March 17, 2020
Si les juridictions sont fermées pour éviter la propagation du virus, les services qui assurent le traitement des contentieux essentiels et notamment les affaires de violences conjugales restent opérationnels, tout comme la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr.
"Depuis que les gens sont confinés à domicile, les ONG ont signalé une augmentation de la violence domestique", écrit l’hebdomadaire britannique The Economist.
En Italie, "trois féminicides ont été enregistrés en Italie dans les trois premières semaines de l’épidémie, dont deux perpétrés au domicile des victimes", lit-on dans un article d'Axellemag.be. "Pour beaucoup de femmes, la maison n’est pas un lieu sûr ", confie une militante féministe italienne.
"En dépit du fait que le conseil exécutif de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) reconnaisse le besoin d’inclure les femmes dans les prises de décisions pour répondre aux épidémies, la représentation des mêmes femmes aux niveaux nationaux et global dans les espaces politiques qui traite du Covid-19 est inadéquate", dénonce encore The Lancet.
Et de rappeller ce qu'il s'est passé lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016. "Les normes de genre ont eu pour conséquence que les femmes avaient plus de risques d’être infectées par le virus, compte tenu de leur rôle prédominant comme aidants dans les familles et comme personnels soignants de première ligne", écrit la revue scientifique britannique.
"Les rôles de soins prescrits socialement par les femmes les placent généralement dans une position privilégiée pour identifier les risques au niveau local qui pourraient signaler le début d'une épidémie et ainsi améliorer la sécurité sanitaire mondiale", ajoute le magazine. "La lecture de genre semble une clé pour construire une réponse efficace à la flambée de ces maladies ", concluent les trois chercheuses citées dans The Lancet. Sans doute une leçon à tirer de cette nouvelle pandémie.