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Tu es créatrice et une de tes vidéos a déjà été démonétisée ou strikée parce qu’elle traitait de ton corps, ta sexualité ? Raconte-le avec #MonCorpsSurYouTube. pic.twitter.com/w9DAQgxwg9
— Les Internettes (@les1ternettes) 25 mai 2018
Sur le plateau de TV5MONDE, Amélie Coispel, co-fondatrice des Internettes et Marine Périn, dite Marinette, YouYubeuse reportère qui rend compte de l’actualité "sociale, politique" des femmes, sont d'accord sur les obstacles mis à l'émergence des femmes sur la toile : « Il y a un double frein pour les femmes sur Internet. Elles y ont peu de visibilité et donc peu de modèles, à l’image de ce qu’il se passe dans la société en général. » explique Amélie Coispel. Tandis que Marine Périn constate que « les plus gros vidéastes sont des hommes et qu’ils s’entraident… »
Amélie Coispel explique ce phénomène : « Des vidéos démonétisées, ce sont donc des vidéos qui ne seront pas dans les ‘tendances’ (le trend, ndlr), qui manqueront de visibilité et surtout qui n’apporteront aucun revenu financier. Aujourd’hui, Youtubeur est devenu un vrai métier à part entière, certain.es font leurs 35 heures en préparant et postant des vidéos sur les réseaux sociaux et les plate-formes vidéos, et en tirent leurs ressources principales. Ces personnes là font des films sur des sujets tels que l’endométriose, ou sur les poils, les règles, et ne perçoivent pas d’argent parce que Youtube les censure. »
Difficile de comprendre pourquoi une vidéo de prévention contre le cancer du sein ait été démonétisée . On parle de santé, de prévention , de lutte contre le cancer ah c est parce qu il y a le mot sein ? C est juste une partie du corps #MonCorpsSurYouTube @TeamYouTube pic.twitter.com/xJJ9G1BJea
— ParlonsPeuMaisParlon (@ParlonsCul) 28 mai 2018
Alors là, c'est le pompon: je découvre que notre vidéo sur l'endométriose est démonétisée! Vidéo faite pour sensibiliser sur cette maladie peu connue, en partenariat avec l'association d'Imany, Julie Gayet et de la Dr Zacharopoulou! Je ne comprends plus rien! #MonCorpsSurYouTube pic.twitter.com/Pb0g4NL8TN
— Maud Bettina-Marie (@MaudBettinaM) 29 mai 2018
Bonne nouvelle : vidéo sur l’endométriose re-monétisée !! Merci à tous pour vos partages et vos messages !!!
— Maud Bettina-Marie (@MaudBettinaM) 30 mai 2018
#Société Ce documentaire de @Calidoscope_ a été soumis à une limite d’âge parce qu’il traite de l’avortement : https://t.co/hvwcgjZFUQ
— Les Internettes (@les1ternettes) 29 mai 2018
1 femme française sur 3 avortera au moins une fois dans sa vie.⁰
Démonétisée, invisibilisée. #MonCorpsSurYouTube
Cette vidéo m'a demandé beaucoup d'investissement, et ne m'a rien rapporté. J'ai renoncé à en faire une autre sur l'excision.
Cali, chaîne Calidoscope sur Youtube
Cali, de la chaîne culture et société Calidoscope, a ainsi vu son mini-doc sur l’avortement dans le monde censuré et passer en « interdit aux - 18 ans ». De quoi réduire considérablement l’audience de ce contenu, pourtant réalisé à but informatif, s’adressant à tous, et notamment aux plus jeunes.
La créatrice jointe par Terriennes nous raconte comment elle a vécu cette expérience : « J'avais envie de parler de l'avortement en France, c'était une manière de montrer qu'il fallait se battre pour ce droit et qu'il était menacé. J'avais comme projet de faire une vidéo du même type sur l'excision, mais sachant qu'elle sera systématiquement démonétisée, et que j'ai besoin de ressources, j'ai renoncé, car il faut bien que je vive, je ne peux pas me permettre de le faire gratuitement. Je l'ai fait pour l'avortement, en ayant conscience que j'allais être démonétisée, j'ai travaillé dessus pendant trois mois ! L'autre mauvaise surprise c'est aussi qu'elle passe en plus de 18 ans, pourtant j'avais fait attention à ne pas mettre d'images choquantes. Cette vidéo m'a demandé beaucoup d'investissement, et ne m'a rien rapporté. Pourtant cette vidéo est éducative. D'ailleurs, certaines écoles la diffusent lors des cours d'approche à la sexualité ainsi que dans des centres de planning familial. »
Même ton désabusé du côté d'une autre Youtubeuse, « Je m’étonne plus, je prends même plus la peine de demander la vérification », poste Clemity Jane sur son compte twitter, « Même les vidéos ne présentant pas de sextoys, comme celle sur le vaginisme sont censurées ».
Même les vidéos ne présentant pas de sextoys, comme celle sur le vaginisme, ou encore mon témoignage #MeToo sont invisibilisées. Quand je parle de rapport au corps et des poils sur les corps féminins, même pas la peine d'y penser, à ce graal du $ vert ! pic.twitter.com/XV38Ze5h4h
— Clemity Jane (@ClemityJane) 28 mai 2018
Sur YouTube, tout créateur qui respecte "les critères des programmes partenaires" peut en théorie monétiser ses vidéos. Début 2017, de nombreux annonceurs ont quitté la plateforme après avoir remarqué que leurs publicités apparaissaient dans des contenus haineux, d’apologie du terrorisme, entre autres. Depuis, Youtube a durci ses règles. Les annonces ne sont diffusées par défaut que sur des contenus que la plateforme juge « sûrs ». Dans sa charte publicitaire, YouTube détaille ne pas monétiser les vidéos présentant « un caractère sexuel très prononcé », comportant par exemple des scènes de nudité, parties du corps ou simulations sexuelles. Ne sont pas non plus adaptés à la publicité « les contenus présentant des jouets et des objets sexuels ou qui traitent explicitement de sexe », sauf s’il s’agit de vidéos d’éducation sexuelle.
La solution se présente parfois sous forme de stratégie du contournement, comme le raconte la comédienne Juliette Tresanini, (stratégie expliquée via la vidéo qui suit par les deux comédiennes, ndlr). Dans un de ses scketches, elle a volontairement choisi de parler de « bisou intime » plutôt que de « cunnilingus », « alors que notre vidéo sur la fellation est acceptée. C’est une grosse hypocrisie. » Une précision, de taille (oui, oui jouons sur les mots), cette vidéo a pour titre la "fefellation", elle a enregistré depuis 2015 plus de 4 millions de vues. Aujourd'hui, elle aussi est démonétisée.
Alors, fe(fe)llation oui, mais les règles non ?
La vidéo sur l'Histoire des règles réalisée par Charlie Danger, qui anime depuis 2013 la chaîne Les Revues du monde, une chaîne de vulgarisation sur l'Histoire et l'archéologie (313 000 abonnés, ndlr), a subi le même sort.
Quand un "call" de démonétisation apparaît, ça plombe complètement la vidéo, sa visibilité, son référencement et ses chances d'atteindre son nombre de vues normal.
Charlie Danger, Youtubeuse, Les revues du monde
Pourtant, là aussi, la vidéaste avait pris ses précautions, anticipant la quasi-certaine démonétisation de sa vidéo: « J'avais par exemple envisagé de montrer dans mon film des images des campagnes de publicité pour des serviettes hygiéniques où le flux menstruel est désormais montré de couleur rouge, et non plus en bleu comme jusqu'ici, ce qui est un vrai changement dans l'histoire des menstruations, mais finalement j'avais renoncé en imaginant que ces images provoqueraient une démonétisation de la part de Youtube. Et bien malgré tout, elle a été démonétisée dès sa mise en ligne. J'ai fait une réclamation, elle a été finalement remonétisée quelques jours plus tard . Nous, en tant que vidéastes, on fait nos plus grands nombres de vues dès les premières heures. Sans ces annonces, on touche beaucoup moins nos audiences, notre public, notre vidéo reste comme cachée. Quand un "call" de démonétisation apparaît, ça plombe complètement la vidéo, sa visibilité, son référencement et ses chances d'atteindre son nombre de vues normal.»
Les vidéastes font la majorité de leurs vues dans les heures suivant la publication. Une fois demonetisées, ces vidéos à caractère informatif sont fortement invisibilisées par la plateforme et perdent par exemple toutes leurs chances d'aller en tendance, ou en recommandations. https://t.co/NpcgepMRWV
— Charlie Danger (@revuesdumonde) 25 mai 2018
« On se rend compte que les premières touchées sont souvent les femmes, confirme Amélie Coispel, même des vidéos prônant la « body positivity », ou l’acceptation de son corps, se retrouvent démonétisées. Cela va bien plus loin. Ce ne sont pas seulement les contenus présentés comme choquant qui sont concernés. C’est vraiment quelque chose qui est plus large que le contenu sexuel. »
Quand il s’agit de s’approprier son corps, de prendre la parole et donc un peu de pouvoir, là ça ne le fait plus !
Amélie Coispel
« Tous les réseaux sociaux sont concernés. C’est assez incroyable. Parfois avant certaines vidéos, on voit des femmes dénudées dans des publicités pour de la lingerie, ou du simple café ou autre, et cela ne pose pas de problème, mais quand il s’agit de s’approprier son corps, de prendre la parole et donc un peu de pouvoir, là ça ne le fait plus, s’exclame-t-elle, Quand on a lancé le hashtag, sur Instagram, si on cliquait dessus, s’affichait un message d’alerte, indiquant que les contenus utilisant ce hashtag n’étaient pas visibles car susceptibles d’être choquants ».
Dans un article du Temps, on comprend que la question va au-delà des sujets abordés par les créatrices. Depuis des années, les femmes peinent à se faire une place sur YouTube. Une poignée d’entre elles est connue du grand public, quand de nombreux hommes cumulent les vues. Cet écart est pointé du doigt par le journaliste Vincent Manilève dans son livre YouTube derrière les écrans: « Reflet de la société, YouTube et une partie de son public n’aident pas les femmes à oser se lancer. En 2017, l’on ne comptait malheureusement que treize créatrices parmi les cent chaînes les plus suivies en France et en 2015, le festival de Néocast n’a convié que quatre femmes… pour 51 hommes. »
L'engagement est pris ! #MonCorpsSurYouTube pic.twitter.com/hpQwc6HbTm
— Les Internettes (@les1ternettes) 26 mai 2018
De passage dans les locaux de Tv5monde, dans le cadre d'une conférence d'information sur Youtube et les médias, un porte-parole de la plate-forme, interrogé sur cette polémique, nous répond qu'il faut remettre cette question dans son contexte, « Ce sont des millions de vidéos qui sont publiées chaque jour dans le monde, cela demande une vérification gigantesque, et donc après les problèmes rencontrés sur des vidéos 'style terrorisme', 'violentes' ou montrant des corps dénudés, la politique de Youtube a été de resserrer son contrôle et de restreindre la monétisation, mais qu'il s'agit en effet d'un vrai sujet et qu'une réflexion est en cours... »
« Tant que youtube n’aura pas accepté de revisiter son algorithme, nous restons mobilisées, car le problème est bien plus large », conclut la co-présidente des Internettes. Aujourd'hui, plus de 50% du public de Youtube est féminin, et sur un milliard d'utilisateurs.trices par mois, ça commence à faire du monde. Qu'on se le dise ...
@Imourgere