“Depuis peu, j’ai décidé de ne plus nommer les gens. A toutes les femmes, je dis, ma belle, ma chérie, mon coeur. A quoi bon, nous sommes tous interchangeables. Et puis, cela m’évite les maladresses.”
Encore un livre sur l’amour et sur la rupture, ici entre femmes, mais universel en ce qu’il raconte la reconquête de soi. Une problématique au-delà des genres, même si l’auteur en doute : “Je ne crois pas bien à l’universel, même si c’est ce que je vise avec ce texte sur l’amour. Je crois plus à l’expérience singulière.”
Résultat : un roman très personnel, une auto-fiction qui revendique sa part de crudité sensuelle et sexuelle. Rien d’étonnant si l’on considère que l’on a affaire à une spécialiste de la question en la personne d’Agnès Vannouvong, enseignante en théories du genre à l’Université de Genève. Ses domaines de recherche : la représentation du corps, de la sexualité et du genre dans les arts et la littérature des XXème et XXIème siècles. Auteur d’un essai, “Jean Genet. Les revers du genre”, sujet de sa thèse, elle publie avec «Après l’amour» son premier roman.
“Après l’amour” : tout est possible ?
Agnés Vannouvong doit son titre à un autre écrivain du Mercure de France, Gilles Leroy, un frère de littérature dont les romans évoquent la difficulté d’aimer, de s’en sortir mais aussi comme chez l’auteur l’homosexualité. «Après l’amour», on peut faire beaucoup de choses : fumer, dormir, manger. Souvent aussi prendre la fuite. Dans un style sec, haché pour dire la difficulté de se rassembler, le roman promène la narratrice dans un Paris de carte postale, propice à la rencontre et à la réflexion. Chaque amante a son quartier. Le lecteur navigue dans des lieux pour Happy Few, le champagne y est de mise mais il noit page après page un tenace sentiment de solitude. Paris est une friche où tout est à reconstruire.
Stratégie de survie
Agnès Vannouvong est fascinante à écouter (
http://www.youtube.com/watch?v=igqHzahjKSI). Car si son personnage se disperse de bras en bras dans une ronde de la séduction, son discours lui est très construit, intellectuel. Ce n’est pas ce qui ressort du livre, très charnel, centré sur le désarroi de cette anti-héroine, orpheline de l’amour, aventurière du divan, cérébrale et en même temps enfermée dans son mutisme affectif.
Agnès Vannouvong dit avoir souhaité peindre un tableau du sentiment amoureux. Ses personnages forment une galerie d’archétypes romanesques : Paola la figure de l’amour primal, Héloise la femme rêvée, Sandy l’anti-modèle, autant de figures de la quête amoureuse. Une carte du Tendre au 21ème siècle, plutôt brutale, où la quête de l’autre passe autant par le corps que par le sentiment. Une carte où ne figure plus le temps de la séduction, ce sas qui permettait de s’approcher, de s’apprivoiser.
Vous souvenez-vous de cette carte de l’amour courtois, en vogue au 17ème ? Tendre est un pays imaginaire, traversé par le fleuve Inclination, rejoint à son embouchure par deux rivières, Estime et Reconnaissance. Il s'agit d'aller de la ville de Nouvelle-Amitié à la ville de Tendre. À partir de la rencontre, trois voies s’offrent aux amoureux dont la plus rapide, au milieu, conduit au désastre. On peut voir le désastre comme la voie amoureuse contemporaine par excellence. Qu’est-ce qui distingue la conquête d’aujourd’hui de celle d’hier ? Précisément, la dimension initiatrice du désastre, qui a ici un bénéfice: celui, pour ce personnage éperdu, de se trouver enfin.
«Après l’amour» d’Agnès Vannouvong – Mercure de France, 202 pages – 16,50 euros