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Viols aggravés, viols en réunion... Le verdict est tombé pour les 51 accusés d'agressions sexuelles contre Gisèle Pelicot : tous coupables, aucun acquittement. Un procès qui fera date dans l'histoire des mentalités face aux violences sexuelles. En France et ailleurs dans le monde, Gisèle Pelicot, épouse et victime de l'accusé, est devenue l'incarnation de ce fléau.
Message de soutien à Gisele Pelicot près du Palais de justice où se déroule le procès des viols de Mazan à Avignon, France, le 18 décembre 2024.
""Monsieur Pelicot, vous êtes déclaré coupable de viols aggravés sur la personne de Gisèle Pelicot," a déclaré sans surprise le président de la cour, Roger Arata. Partie délibérer le 6 décembre 2024, après trois mois et demi d'audience, la cour vient d'annoncer la condamnation qu'elle a décidé de réserver à Dominique Pelicot, agresseur de son épouse Gisèle Pelicot à leur domicile de Mazan.
Dominique Pelicot, 72 ans, a reconnu l'avoir drogué aux anxiolytiques pendant une décennie, pour la violer et la livrer à des dizaines d'inconnus qu'il recrutait sur internet. Le principal accusé des viols dits "de Mazan" écope de la peine maximale, vingt ans de prison, dont deux tiers incompressibles. Il n'a pas l'intention de faire appel de ce jugement.
C'est "L'heure de vérité" pour le quotidien régional La Provence, le journal français Libération espérant à sa Une que les juges rendront "un verdict pour l'avenir", qui permette de rompre avec "la banalité du viol". "Noël en prison, Pâques en zonzon", "la honte a changé de camp. Et la justice ?" : les collages du collectif féministe des Amazones d'Avignon, dans la nuit, résumaient la pression sur les cinq juges professionnels de la cour.
Le verdict prononcé ce 19 décembre 2024 est-il une victoire pour les femmes et les féministes ? Pour maître Khadija Azougach, secrétaire générale de Lawyers 4 Women, la seule victoire, "c'est qu'il n'y a pas d'acquittement". Quant aux autres condamnations, qui vont de trois à quinze ans de prison et sont inférieures aux réquisitions, elles ne sont pas inhabituelles dans les prétoires : "Ce sont des condamnations que l'on rencontre fréquemment. Là, ce qu'on retient, c'est essentiellement que les réquisitions du parquet sont retenues uniquement pour l'auteur principal, Dominique Pelicot. L'intentionnalité a été retenue pour l'ensemble des accusés, mais les peines sont inférieures aux réquisitions pour les autres co-accusés."
Les trois enfants du couple, David, Caroline et Florian, sont arrivés ensemble au tribunal, fendant une foule de spectateurs, militants et journalistes. Tous trois se sont dit "déçus" du verdict : "Les enfants sont déçus de ces peines basses", selon un membre de la famille Pelicot, qui a demandé à garder l'anonymat. Aucun des membres de la famille n'a voulu parler à Dominique Pelicot après sa condamnation.
A l'issue du procès, qu'elle décrit comme une "épreuve", elle est apparue émue et émouvante, mais déterminée, pendant que les accusés, de leur côté, se faisaient huer par le public à la sortie du tribunal. Gisèle Pelicot déclare "respecter" la décision de la cour. Elle dit penser "à ses enfants, ses petits-enfants... aux victimes non reconnues, dont les histoires demeurent souvent dans l'ombre... à toutes les femmes".
Gisèle Pelicot se dit "bouleversée" par le soutien qui lui a été apporté – des associations, de la presse, de ses avocats... – qui lui a donné "la force" de revenir chaque jour au tribunal. Elle souhaite que la "société se saisisse du débat" et dit sa confiance en "un avenir dans lequel chacun, femme et homme, puisse vivre en harmonie".
Cette décision, dans un palais de justice d'Avignon sous haute protection policière, est scrutée de près, en France comme à l'étranger, tant ce procès a provoqué une onde de choc, depuis son ouverture le 2 septembre 2024. Cette affaire est devenue emblématique des questions autour des violences sexistes et sexuelles, de la soumission chimique, du consentement et plus largement des rapports hommes-femmes.
La veille encore du verdict, l'avocate de Dominique Pelicot, Béatrice Zavarro, espérait encore que la cour "s'éloigne un petit peu du quantum proposé par l'accusation" et prenne notamment en compte les "traumas" que son client aurait subis durant son enfance, dont un viol à neuf ans. Quant à Laure Chabaud, l'une des deux représentantes du ministère public, elle espère que la décision de la cour dépassera le sort de ces accusés et envoie "un message d'espoir aux victimes de violences sexuelles".
La grande inconnue résidait dans les peines imposées à ses coaccusés, la cour ayant dû nécessairement individualiser ses sanctions. Or ces peines, qui vont de trois ans, dont deux avec sursis, à quinze ans de prison, sont inférieures à celles requises par le Parquet. Ce qui pose la question parmi les féministes : la honte change-t-elle vraiment de camp ? "Juste complices, c'est scandaleux", criaient des femmes de collectifs féministes rassemblées devant le tribunal en entendant l'énoncé des peines.
Fin novembre 2024, le ministère public avait réclamé de dix à dix-huit ans de réclusion contre 49 d'entre eux, jugés pour viols aggravés, et quatre ans de prison contre le dernier, seulement poursuivi pour "attouchements" sur Gisèle Pelicot. Ces réquisitions étaient plus sévères que la moyenne des condamnations pour viols en France, qui était de 11,1 ans en 2022, selon le ministère de la Justice.
Si certaines peines prononcées par la cour criminelle ne sont pas aussi fortes que les réquisitions, c'est aussi pour dissuader les condamnés de faire appel. Khadija Azougagh
Les avocats de la défense avait formulé une trentaine de demandes d'acquittement pour leurs clients qui, selon eux, ont été "manipulés" par le "monstre", le "loup" ou encore "l'ogre" Dominique Pelicot. Ils "n'avaient pas l'intention" de violer son ex-épouse, âgée aujourd'hui de 72 ans, et n'ont donc pas commis de crime au sens du code pénal, ont-ils plaidé. Prêts à partir directement derrière les barreaux, pourtant, la plupart des accusés sont arrivés à l'audience du 19 décembre 2024 avec un sac contenant quelques vêtements. En pleurs, l'un d'eux a longuement étreint sa compagne avant de rentrer dans la salle.
Maître Khadija Azougach réagit aux peines prononcées : "Si certaines peines prononcées par la cour criminelle ne sont pas aussi fortes que les réquisitions, c'est aussi pour dissuader les condamnés de faire appel. Parce qu'en appel, ils risquent bien évidemment des peines plus fortes. C'est le rôle des avocats de mesurer l'intérêt ou pas d'aller en appel. Ça serait une organisation monumentale que d'aller devant une cour d'Assises, avec des jurés populaires".
Selon son avocate, maître Zavarro, Dominique Pelicot, lui, n'exclut pas de faire appel : "Nous allons mettre à profit le délai qui nous est accordé de dix jours pour savoir si nous interjetons appel de cette décision... et savoir si nous devons de nouveau être soumis à cette fois-ci un jury populaire", dit-elle.
Hors norme par sa durée, le nombre d'accusés, mais surtout l'atrocité des faits reprochés, ce procès a déjà marqué l'histoire. Pour Maître Khadija Azougach, il est déjà entré dans la jurisprudence : "Il y a déjà beaucoup de décisions qui vont dans ce sens, de sanctionner les viols intrafamiliaux, les viols sous effet de drogue. Mais ce procès, qui a déclenché une sensibilisation, représente une vraie avancée. Il fait déjà jurisprudence, ne serait-ce que par le nombre des accusés, mais j'espère qu'il ne fera pas jurisprudence sur certaines requalifications de viols en atteinte sexuelle..."
Ce procès fait déjà jurisprudence, ne serait-ce que par le nombre des accusés, mais j'espère qu'il ne fera pas jurisprudence sur certaines requalifications de viols en atteinte sexuelle. Khadija Azougagh
Ce procès symbolique ne s'est pas tenu à huis clos. Gisèle Pélicot a choisi d'affronter ses agresseurs et les vidéos tournées à son insu par son ex mari. Sa décision a donné à ce procès toute sa dimension et permet de changer le regard sur les victimes de viol. A cet égard, il rappelle celui d'Aix-en-Provence, en 1978, qui a permis à la loi d'évoluer. L'avocate Gisèle Halimi plaidait alors pour que soit, justement, levée l'obligation du huis clos...
Dans les rangs des associations féministes et des parties civiles, l'espoir est grand de le voir faire évoluer les mentalités sur les viols, tentatives de viols et agressions sexuelles déclarés chaque année par plus de 200 000 femmes en France. De fait, cette affaire aura permis d'incarner le fléau des violences sexuelles, à travers la figure de Gisèle Pelicot qui, de victime anonyme, s'est muée au fil des semaines en une icône féministe exhortant les femmes "à ne plus se taire" afin que "la honte change de camp". "Merci Gisèle", clamait une banderole accrochée aux remparts de la vieille ville d'Avignon, face au tribunal.
Banderole installée par le collectif féministe "Les Amazones Avignon", près du Palais de justice où se déroule le procès du viol de Mazan à Avignon, 18 décembre 2024.
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