Coupe du Monde 2022 au Qatar : femmes, arbitres, défricheuses

Elles ont tracé leur chemin dans le monde très masculin de l'arbitrage jusqu'au Graal, la Coupe du monde de football : six femmes arbitres – trois arbitres, trois assistantes – seront au sifflet au Qatar du 20 novembre au 18 décembre 2022, une première pour ces pionnières qui font passer "la compétence avant le genre".

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Frappart Yamashita Mukansanga
Trois femmes arbitres au Qatar, de gauche à droite :
  • La Française Stephanie Frappart pendant le match entre l'Allemagne et l'Espagne, en Angleterre, le 12 juillet 2022 (©AP Photo/Alessandra Tarantino).
  • La Rwandaise Salima Mukansanga pendant le match entre le Zimbabwe et la Guinée au Cameroun, le 18 janvier 2022 (©AP Photo/Themba Hadebe).
  • La Japonaise Yoshimi Yamashita à l'entraînement, le 27 juin 2022, à Chiba, près de Tokyo (©AP Photo/Eugene Hoshiko).
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Stéphanie Frappart, Salima Mukansanga, Yoshimi Yamashita, une Française, une Rwandaise et une Japonaise, comptent parmi les 36 arbitres de champ sélectionnés pour le Mondial de football 2022. C'est peu, mais c'est inédit pour l'épreuve majeure du football masculin.Quant à la Brésilienne Neuza Back, la Mexicaine Karen Diaz Medina et l'Américaine Kathryn Nesbitt, elles officieront en tant qu'assistantes aux côtés de 66 autres arbitres assistants. 

Ces trentenaires bouleversent l'ordre établi dans l'univers très masculin de l'arbitrage de football grâce à un parcours sans faute, remarqué par la Fifa. Elles "enchaînent depuis plusieurs années les prestations de haut vol", salue l'Italien Pierluigi Collina, légende de l'arbitrage et président de la Commission des arbitres de l'instance mondiale.

Stéphanie Frappart au "summum"

Pour Stéphanie Frappart, 38 ans, le Mondial est la suite logique d'une fulgurante ascension. Première femme arbitre en deuxième division française (2014), puis en Ligue 1 masculine (2019), en Supercoupe d'Europe (août 2019), en Ligue des champions (décembre 2020) et en finale de Coupe de France (7 mai 2022), Stéphanie Frappart est désormais très bien ancrée dans le paysage français et européen de l'arbitrage. "Je suis très émue car ce n'était pas forcément attendu. Une Coupe du monde, c'est le summum", savoure celle qui officie régulièrement en Ligue 1 cette saison.

Une "responsabilité" pour Yoshimi Yamashita

De deux ans sa cadette, Yoshimi Yamashita a connu, de son côté, une évolution similaire au Japon, en devenant en 2019 la première femme à arbitrer un match de Ligue des champions d'Asie. Un pas de plus vers le statut d'arbitre professionnelle, obtenu cet été, et suffisant pour abandonner son activité de professeure de fitness, qu'elle exerçait à temps partiel.

Arbitrer au Mondial, "c'est une grande responsabilité, mais je suis contente de l'avoir", dit à l'AFP celle qui n'aurait "jamais pu imaginer" en arriver là.  En effet, sa découverte du métier ne doit qu'à l'insistance d'une camarade d'université qui l'a "à moitié traînée" pour officier lors d'une première rencontre, raconte-t-elle. Elle n'a ensuite plus jamais lâché le sifflet.

Yoshimi Yamashita
La Japonaise Yoshimi Yamashita, l'une des trois femmes élues arbitres lors de la Coupe du monde de football masculin, s'échauffe lors d'une séance d'entraînement, le 27 juin 2022 à Chiba, près de Tokyo.
 
©AP Photo/Eugene Hoshiko

La "récompense ultime" pour Salima Mukansanga

Première femme arbitre d'un match de la Coupe d'Afrique des nations masculine, en janvier 2022, Salima Mukansanga, à 34 ans, a également été sélectionnée pour l'épreuve reine au Qatar, la récompense ultime pour cette jeune arbitre, qui rêvait initialement de devenir basketteuse professionnelle avant de se tourner vers l'arbitrage. A 20 ans seulement, elle arbitrait déjà des matches du championnat national féminin.

Assistantes modèles

Kathryn Nesbitt
Kathryn Nesbitt pendant le match Bermudes-Canada, le 25 mars 2021, à Orlando, en Floride.
©AP Photo/John Raoux

La Confédération nord-américaine n'est pas en reste avec, arbitre assistante au Mondial, l'Américaine Kathryn Nesbitt, 32 ans, originaire de Philadelphie. Elle a été la première femme arbitre officielle d'un match de qualification pour la Coupe du monde en Amérique du Nord, en Amérique centrale et dans les Caraïbes.

"Je n'aurait jamais pensé que cela pouvait arriver en 2022",déclarait Kathryn Nesbitt au Los Angeles Times.  Elle a quitté il y a trois ans son emploi de professeure et chercheuse en chimie cérébrale à l'université de Towson, près de Baltimore, pour se consacrer à l'arbitrage à plein temps. Arbitrer des matches du Mondial : "Ce n'était même pas sur mon radar. C'est important dans le sens où ils étaient prêts alors que personne ne pensait que le monde était prêt."

Autre arbitre-assistante, la Mexicaine Karen Diaz incarne le symbole d'un pays où l'égalité de genre progresse timidement, malgré un machisme dénoncé avec virulence par les féministes qui avancent le chiffre de dix féminicides par jour

Pour nous les femmes, parvenir à des postes importants et réaliser nos rêves est le fruit d'un travail constant, mais aussi de l'aide de ceux qui nous ouvrent la porte pour la première fois.
Karen Diaz, arbitre assistante au Mondial de football 2022

A 38 ans, Karen Diaz montre aux Mexicaines que tout est possible : "Pour nous les femmes, parvenir à des instances importantes et réaliser nos rêves est le fruit d'un travail constant, mais aussi de l'aide de ceux qui nous ouvrent la porte pour la première fois". Elle ne manque jamais de rendre hommage à son père, un "fanatique" du ballon rond qui lui a transmis sa passion. "J'ai commencé à jouer au football à huit ans", se souvient-elle. Ingénieure agronome de formation, la native d'Aguascalientes, dans le nord du Mexique, arbitre depuis 2016 des matches de la Ligue mexicaine de football. 

La Brésilienne Neuza Back a passé son enfance sur les terrains de football. Aujourd'hui, à 37 ans, elle voit son rêve se réaliser : "La Coupe du monde est l'apogée pour tout arbitre et ce n'est pas différent pour moi", déclare-t-elle à la presse brésilienne.

Dans les situations où les préjugés surgissent de manière voilée, par des regards ou des blagues de mauvais goût, je me dis simplement que ce qui est pensé ou dit de moi ne me définit pas.
Neuza Back, arbitre assistante au Mondial de football 2022

Passée professionnelle en 2008, Neuza Back a toujours évolué dans ce sport dominé par les hommes ; elle admet avoir été victime de "situations compromettantes" : "Dans les situations où les préjugés surgissent de manière voilée, par des blagues de mauvais goût ou des regards, je me dis simplement que ce qui est pensé ou dit de moi ne me définit pas... Ce n'est pas que cela ne me blesse pas, mais je dois gérer cela et ne pas me victimiser à chaque fois, même si ce genre d'épisodes est de plus en plus rare".

Les femmes dans le panorama du football

Pour ces pionnières, il n'est pas question de mettre en avant leur genre ni de chercher la lumière. "Je vais faire tout mon possible pour faire ressortir la beauté du football. Ce n'est pas le pouvoir ou le contrôle qui m'intéressent", a prévenu Yoshimi Yamashita dans un entretien accordé à la Fifa il y a quelques mois.

Stéphanie Frappart n'a de cesse de le répéter : "Depuis 2019 et le premier match que j'ai fait à la Supercoupe d'Europe, les femmes arbitres dans le monde masculin, c'est devenu le panorama du football. Ce n'est plus une question de genre, mais une question de compétence", martèle la Française, appréciée pour sa diplomatie comme pour sa fermeté sur le terrain. 

C'est un signe fort de faire arbitrer des femmes dans ce pays-là. Je ne suis pas porte-parole féministe, mais si cela peut faire avancer les choses...

Stéphanie Frappart, arbitre au Mondial de football 2022

Mais marquer l'histoire de l'arbitrage au Qatar, émirat régulièrement critiqué pour sa gestion de la place des femmes dans la société, n'est pas anodin. "C'est aussi un signe fort de la Fifa et des instances de faire arbitrer des femmes dans ce pays-là. Je ne suis pas porte-parole féministe mais si cela peut faire avancer des choses...", estime Stéphanie Frappart, consciente de "jouer un rôle" de modèle pour toute une génération de futures arbitres.

Six femmes au sifflet pour ce Mondial 2022, c'est inédit, mais cela reste très peu sur les 129 arbitres retenus pour la Coupe du monde – 36 centraux, 69 assistants et 24 VAR (Assistance à l'arbitrage vidéo).