Coupe du Monde 2022 : Stéphanie Frappart, pionnière de l'arbitrage au féminin

Première femme arbitre en Coupe du monde masculine, la Française Stéphanie Frappart est au sifflet du match Allemagne-Costa Rica ce 1er décembre 2022, une rencontre décisive au Qatar. Portrait d'une pionnière qui a gravi les échelons de l'arbitrage à toute vitesse à force de charisme, de diplomatie et de compétences.

Image
Stéphanie Frappart, assistante
©AP Photo/Moises Castillo
Stéphanie Frappart, arbitre assistante lors du match du groupe C de la Coupe du monde entre le Mexique et la Pologne, au stade 974 de Doha, au Qatar, mardi 22 novembre 2022.
 
Image
frappart
©AP Photo
Stéphanie Frappart dans le feu de l'action lors du match Amiens-Strasbourg en Ligue 1 en avril 2019.
Partager8 minutes de lecture

Première femme arbitre centrale en deuxième division française en 2014 et en Ligue 1 masculine en 2019. Première femme à diriger la Supercoupe d'Europe en août 2019. Première femme à officier en Ligue des champions en décembre 2020 en qualité d'arbitre principale du match entre la Juventus Turin et le Dynamo Kiev – une performance maîtrisée, ce soir-là, qui avait été saluée par la presse. Première à arbitrer lors d'un Euro en 2021. Arbitre d'un autre match historique, entre Barcelone et le Real Madrid féminin, en mars 2022, devant 91 000 spectateurs massés dans le Camp Nou – un record. Et maintenant le Mondial, au Qatar...

En 2021, Stéphanie Frappart était déjà la première femme à arbitrer un match de qualifications pour ce Mondial masculin : la rencontre opposant les Pays-Bas à la Lettonie, à l'Arena Johan-Cruyff d'Amsterdam. "Stéphanie Frappart un peu plus dans l'histoire ! Félicitations pour être devenue la première femme à arbitrer un match de qualification messieurs à une Coupe du monde", soulignait alors la Fifa.

Avant d'en arriver là, Stéphanie Frappart, 39 ans, a franchi tous les échelons avec une régularité parfaite, après avoir démarré l'arbitrage en 1996. "Au début, ça restait par passion. Je n’avais pas en ligne de mire la Ligue 1 ou quelque compétition que ce soit", expliquait elle.

Arbitre depuis l'âge de 13 ans

Native du Val-d'Oise, en région parisienne, et ancienne joueuse de l'AS Herblay, Stéphanie Frappart arbitre depuis l'âge de 13 ans. Elle a écumé les stades de deuxième division française durant cinq saisons avant d'être promue, à l'été 2019, en Ligue 1, ce qu'aucune autre arbitre principale n'avait, jusque-là, réussi à faire.

Il suffit qu'elle sorte un regard, un sourire, un geste... et ça s'arrête.
Christophe Galtier, entraîneur

Elle fait alors rapidement l'unanimité, s'attirant les louanges des acteurs du jeu, qu'ils soient sur le terrain ou sur le banc de touche : "Elle a beaucoup de diplomatie", confiait en 2019 Christophe Galtier, alors entraîneur de Lille. "Il suffit qu'elle sorte un regard, un sourire, un geste... et ça s'arrête." Le milieu Pierre Bouby, qui l'a côtoyée en Ligue 2 avec Orléans la décrit en ces termes : "Elle a une petite voix, mais du charisme, de la personnalité... Elle utilise des mots justes, elle explique, elle est diplomate et on peut discuter avec elle."

Femme, arbitre, modèle

Des questions sur sa position de femme dans un milieu d'hommes lui sont régulièrement posées. Ses réponses sont, comme sa façon d'arbitrer, fermes et diplomates : "Moi, j'ai toujours milité pour qu'on soit prises en compte pour nos compétences et pas forcément pour notre genre. Si les filles ont des qualités, il faut leur laisser l'opportunité aussi d'y arriver".

L'un de mes rôles, c'est aussi de susciter des vocations en donnant envie aux filles de commencer l'arbitrage. Je le prends à coeur parce que je me dis que j'ai entrouvert des portes.
Stéphanie Frappart

"Depuis 2019, on a fait un grand pas en avant. Maintenant, ce n'est plus une surprise de voir des femmes arbitrer des hommes, quel que soit le continent ou le pays. Donc c'est dans la lignée de ce qui s'est fait auparavant et un peu plus mis en lumière", expliquait Stéphanie Frappart en septembre 2022. L'arbitre international français Clément Turpin abonde en ce sens : "Aujourd’hui, elles sont sélectionnées non parce qu’elles sont des femmes mais parce qu’elles sont compétentes... C’est la première fois, mais ça s’inscrit dans un chemin pris depuis un petit moment", ajoute celui qui refuse de donner des conseils à sa consoeur.

Un premier grand match en milieu hostile

Discrète, diplomate, animée d'une volonté de fer. Tels sont les mots utilisés pour désigner Stéphanie Frappart. Du haut de son mètre soixante-quatre, cette Française de 39 ans fut déjà la première à arbitrer la Supercoupe de l'UEFA, le 14 août 2019 entre Chelsea et Liverpool. Selon un communiqué, l'UEFA avait "choisi d'innover" en la désignant comme arbitre et de tenter "la première rencontre masculine majeure arbitrée par une femme". Le match a eu lieu à Istanbul, en Turquie, un pays où l'ambiance footballistique s'échauffe facilement...

Roberto Rosetti, responsable en chef de l'arbitrage de l'UEFA, expliquait : "Cela fait plusieurs années déjà que Stéphanie Frappart prouve qu'elle est l'une des meilleures femmes arbitres, non seulement sur la scène européenne, mais à l'échelle mondiale... Elle est capable de diriger des rencontres de très haut niveau... Ce match à Istanbul lui apportera encore plus d'expérience", ajoutait-il. Stéphanie Frappart, elle, avait conscience de la symbolique de sa nomination : "L'un de mes rôles, c'est aussi de susciter des vocations en donnant envie aux filles de commencer l'arbitrage. Je le prends à coeur parce que je me dis que j'ai entrouvert des portes.".
A la suite de sa nomination comme première femme arbitre de cette Supercoupe de l'UEFA, Stéphanie Frappart, pourtant, ne se faisait pas d'illusions : "Forcément, on est attendu, c'est à l'image de la société. La femme doit toujours prouver plus qu'un homme".    

Arbitre jusqu'à la moelle

Dossard numéro 10 au Club sportif de Pierrelaye, la jeune Stéphanie s'est vite découvert une passion pour l'arbitrage. Selon le Parisien, elle continuait à jouer au football, tout en saisissant toutes les occasions d'arbitrer les jeunes du Val-d'Oise.

L'un de ses formateurs, Patrick Lhermite, ne cache pas son enthousiasme pour les capacités de Stéphanie Frappart. "J'étais impressionné par son potentiel et sa soif d'apprendre, relate-t-il au Parisien. Même quand elle réussissait ses matchs, elle nous questionnait toujours pour savoir comment faire mieux. Sans surprise, elle a progressé très vite."

Une ascension qui n'a pas été un long fleuve tranquille

C'est sans doute cette fougue qui lui a permis d'évoluer dans le monde de l'arbitrage. Si la jeune femme a pu gravir les échelons, sa carrière n'a pas été un long fleuve tranquille. A 19 ans, étudiante en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), elle est nommée arbitre en division d'honneur régional. "Il y avait eu des réticences de certains élus de la Ligue de Paris, qui ne comprenaient pas pourquoi une fille venait arbitrer des hommes adultes, déplorait Patrick Lhermite. Il a fallu se battre pour la faire acceptée."

Se battre, aussi, contre les remarques sexistes qu'elle a subies, bien qu'elle assure aujourd'hui ne plus y être confrontée. Comme en octobre 2015 quand l'ancien entraîneur de Valenciennes, David Le Frapper, n'avait pas pesé ses mots. C'était après la défaite de son équipe contre Laval. Le penalty non sifflé "était bien là, mais l'arbitre ne l'a pas vu, elle faisait du patinage peut-être", fustigeait-il. En ajoutant que "quand on est une femme et qu'on arbitre un sport d'hommes, c'est compliqué". S'ensuivit la colère du syndicat des arbitres professionnels (SAFE), et les excuses de David Le Frapper.
 
Il faut être passionnée. Au bas niveau, on peut se faire insulter tous les week-ends. Stéphanie Frappart
Reste que les remarques désobligeantes, surtout aux échelons inférieurs, sont fréquentes. Stéphanie Frappart se confiait sur la question au Figaro sport : "Il faut être passionnée pour exercer cette activité. Au bas niveau, on peut se faire insulter tous les week-ends avant de rentrer chez soi. J'ai des collègues pour qui c'est plus dur". Chez les professionnels néanmoins, l'accueil a toujours été bon, "à part deux ou trois situations difficiles".   

Sur le terrain, Stéphanie Frappart a constaté une certaine ambivalence à son encontre. D'un côté, l'arbitre s'attend à être mise à l'épreuve par ses joueurs : "Ils vont tester mes compétences, et il y aura aussi de la contestation", disait-elle en 2019. De l'autre, elle assurait alors qu'il y a "une différence" dans la manière dont les joueurs s'adressent à elle : "dans les mots, les gestes, la virulence. On ne s'adresse pas de la même manière à un homme ou à une femme".

Un avantage ?

Pour Didier Quillot, ancien directeur général de la Ligue (LFP), la réponse est affirmative. "J'ai trouvé que, dans le comportement des joueurs vis-à-vis de Stéphanie Frappart, il y avait énormément de respect, de courtoisie. Un arbitre féminin, peut-être, va rendre les garçons plus courtois, plus respectueux des lois du jeu", disait-il à l'issue du match Amiens-Strasbourg en 2019.

Les joueurs ne vont pas moins vite quand j'arbitre, donc les exigences physiques ne doivent pas être moindres.Stéphanie Frappart
Pour se faire une place, Stéphanie Frappart a beaucoup travaillé ses qualités physiques et sa puissance athlétique. Lors du stage de reprise, en juillet 2019, à Clairefontaine, la FFF n'avait pas adapté ses contrôles de rentrée aux femmes, et la jeune femme a passé "les mêmes tests physiques que les garçons". Aucune surprise pour elle, qui justifiait : "les joueurs ne vont pas moins vite quand j'arbitre, donc les exigences physiques ne doivent pas être moindres".

Une constante nécessité de faire ses preuves, mais l'arbitre ne se laisse pas abattre, au contraire. "Le plus dur commence, je sais que je suis attendue. Je vais devoir faire ma place comme en Ligue 2, comme tout arbitre", disait-elle déjà en 2019. Car Stéphanie Frappart est profondément convaincue qu'il n'y "a pas de différence entre un homme et une femme"
Stéphanie Frappart ne s'inquiète pas d'être venue au Qatar, malgré les critiques qui entourent ce pays depuis sa désignation : "C’est aussi un signe fort des instances de mettre des femmes dans ce pays-là. Je ne suis pas porte-parole féministe mais si cela peut faire avancer des choses…", explique-t-elle. Ce 2 décembre 2022, elle sera assistée de deux femmes pour arbitrer le match décisif du groupe E qui oppose le Costa-Rica et l'Allemagne. Une belle avancée...