Coupe du monde de football : les supportrices anglaises mettent les clichés hors jeu

Non, être une femme et aimer le football ne rime pas avec "bimbo", contrairement à ce que pourraient nous faire croire les images véhiculées sur le net. A l'heure où les "Lions"poursuivent leur route en Coupe du monde en Russie, des supportrices anglaises font campagne pour battre en brèche les stéréotypes.
 
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Des supportrices anglaises de football se prennent en photo et les postent sur les réseaux sociaux pour changer l'image stéréotypée des femmes fans de foot, véhiculées dans les médias (sportifs) ou sur les réseaux sociaux.
©ThisFangirls
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Goaaaaaalllll ! Un évènement au Royaume-Uni. Pour la première fois, une femme - la journaliste Vicki Sparks sur la BBC - a pu commenter en direct à la télévision un match de la Coupe du monde (Portugal-Maroc).
 

Oui mais après ? Certaines fans du ballon rond aimeraient attirer l’attention sur la manière dont elles, les supportrices, sont représentées dans les médias.
Une simple recherche sur Internet permet de s’en rendre compte.

Tapez les mots «  supportrices de foot » sur Google et des dizaines de clichés de femmes, toutes jeunes et sexy, font leur apparition. « Je n’ai pas nécessairement de problème avec ces images, sourit Amy Drucquer, 30 ans, l’une des fondatrices de This Fan Girl, une communauté en ligne de supportrices de foot en Angleterre qui tente de combattre ces préjugés. Mais c’est leur trop fort niveau de représentation qui pose question ». Les clichés n’offrant à ses yeux qu’une image très partielle, occultant l’immense diversité des femmes qui aiment le foot.
 
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Amy Drucquer, 30 ans, fan de football et fondatrice du site This Fan girls.
©ThisFanGirl

This Fan Girl a été créé il y a deux ans. L’objectif de ses fondatrices, elles-mêmes fans de football, était de donner une meilleure représentativité aux supportrices en développant une communauté sur Internet et en s’attachant à donner de ces fans une image plus « réelle ». « Qu’il s’agisse de la petite fille qui assiste à son premier match ou de la femme de 75 ans qui s’y rend depuis des années avec sa meilleure amie. »
L’équipe a ainsi sillonné, et continue d’ailleurs de le faire, l’Angleterre pour partir à la rencontre des supportrices dans les stades, les prendre en photo, les filmer, rapporter leurs témoignages et expériences.

Contrecarrer la caricature de la supportrice

Pour la Coupe du monde 2018, les filles ont décidé de monter une campagne de communication, en lien avec la marque de boissons énergétiques Carabao (sponsor dans le monde du football). L’idée ? Proposer aux médias cinq clichés montrant des supportrices britanniques, de physiques et d’âges variés, jugés plus représentatifs que de nombreuses photos en ligne, et encourager le public à partager les articles évoquant l’initiative sur les réseaux sociaux, accompagnés du hashtag #WeAreFemaleFans.

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Le site This fan girls propose une vision beaucoup moins stéréotypée des supportrices de football.
©ThisFangirls

L’objectif ? Tenter, autant que possible, de remplacer les images sexy des moteurs de recherche par des clichés plus réalistes. « Je pense que les représentations, que ce soit en matière de genre, d’âge, d’origine ethnique, sont importantes dans tous les domaines, explique Amy. Comment se projeter dans quelque chose que vous pourriez devenir si vous n’en avez pas l’exemple sous les yeux ? »


Les stéréotypes tournant habituellement autour des supportrices incluent l’idée qu’elles n’ont pas assez de connaissances sportives.
Stacey Pope, chercheure Université de Durham

Pour Stacey Pope, enseignante-chercheuse à l’université de Durham, qui s’est intéressée à la féminisation des fans dans le sport, la démarche est importante. Car les images hyper sexualisées des supportrices véhiculées sur Internet renforcent l’idée que le football est un jeu « masculin » et que la Coupe du monde, et ces images de femmes, un spectacle qui s’adresse avant tout aux hommes. Ce qui n’aide naturellement pas les supportrices à se sentir légitimes. « Les femmes doivent régulièrement prouver leur statut de véritables fans à leurs homologues masculins. Les stéréotypes tournant habituellement autour des supportrices incluent l’idée qu’elles n’ont pas assez de connaissances sportives, qu’elles s’intéressent uniquement au physique des joueurs et qu’elles ne sont pas aussi passionnées et engagées que les hommes ».
 


Quand je leur dis que je suis fan de football, ils me posent constamment des questions pour tester mes connaissances, comme s’ils ne pouvaient  imaginer que c’est vrai. 
Fleur Cousens, fondatrice du club The Goal Diggers FC

Une différence genrée qui n’a pas échappé à Fleur Cousens, fondatrice du club amateur de foot féminin The Goal Diggers FC, à Londres. « Quand je joue au foot avec des hommes, je dois faire mes preuves sur le terrain. Quand je leur dis que je suis fan de football, ils me posent constamment des questions pour tester mes connaissances, comme s’ils ne pouvaient pas imaginer que c’était vrai. » Amy, elle, se dit « nerveuse » à l’idée de partager son opinion sur des forums de foot en ligne. « Parce que je sais qu’il va y avoir dix personnes qui vont être du genre ‘mais qu’est-ce qu’elle en sait, mais de quoi elle parle ’ . C’est ce qui arrive tout le temps. » De son côté, Anna Cooke, de Carabao, souligne l’importance que les supportrices soient perçues comme des fans de foot à part entière, au lieu « d’être traitées en objets ».
 

(Quels sont les gros attaquants qui auront le plus d'impact ce soir ?)

A voir le flot d’images diffusées sur internet (et leurs commentaires, voir ci-dessus...), le match est loin d'être gagné. Malgré tout, certaines prises de conscience ont de quoi encourager. Comme celle de l’agence Getty Images qui décidait récemment de supprimer une galerie photos consacrée aux 100 fans (féminines) les plus sexy de la Coupe du monde 2018, non sans avoir essuyé quelques critiques. "Plus tôt, nous avons publié un article, "World Cup 2018: The Fans les plus sexy", qui ne répondait pas à nos normes éditoriales. Nous regrettons cette erreur et avons enlevé cet article. Il y a beaucoup d'histoires intéressantes à raconter sur la Coupe du Monde et nous reconnaissons que celle-ci n'en faisait pas partie", peut-on lire sur le site de l'agence photo en guise d'explication.

Comme celles de This Fan Girl. « Nous sommes un réseau positif, insiste Amy. Nous voulons juste soutenir la cause des femmes dans le football. Mais, là, nous avons pensé que nous devions dire quelque chose. Getty est un réseau réputé qui a la responsabilité d’un photojournalisme de qualité. » Leur idée, notamment, en créant This Fan Girl, était « simplement de réajuster l’équilibre dans la représentation que les médias font des supportrices ».