Fil d'Ariane
A l'heure où le déconfinement se profile, autour du 11 mai a priori selon les régions, Marie Eloy du réseau Bouge ta Boîte tire la sonnette d'alarme : "Après plus d'un mois de confinement, la moitié des entrepreneures sont dans le rouge et les trois quart sont confinées avec enfant".
Petit rappel d'ordre structurel : en France, les TPE (très petites entreprises) représentent 95% de l'économie française et les femmes en représentent une large part, entre 30% et 40%. Travailler au mieux quatre heures par jour et maintenir son chiffre d'affaires ? Impossible. Les chiffres en font foi : sur la période de confinement, ces femmes avouent n'avoir sauvegardé en moyenne que 20% de leur activité et près de la moitié, 40%, ont perdu plus de 70% de leur chiffre d’affaires.
Coronavirus : "La moitié des femmes cheffes d'entreprise sont dans le rouge" https://t.co/24QlK2PaeY
— Europe 1 (@Europe1) April 22, 2020
Marie Eloy sait de quoi elle parle. Ancienne journaliste à Radio France International, elle a fondé deux réseaux d'entraide réservés aux cheffes d'entreprises : Femmes de Bretagne, région où elle réside - plutôt destiné à celles qui se lancent, le réseau créé en 2014 compte 7 000 membres et organise jusqu'à 500 événements par mois - et Bouge ta Boîte - une start-up de 14 salariés, créée fin 2016, qui s’adresse aux dirigeantes d’entreprise déjà lancées, professions libérales, agricultrices, conjointes et collaboratrices.
Cette "bougeuse" (nom donné à ses adhérentes, ndlr) résume : "L'étude a été menée entre le 3 et le 10 avril 2020 auprès de quelques 500 dirigeantes. Résultat : après un mois de confinement, 54% d’entre elles considèrent que leur entreprise est aujourd’hui en situation de risque fort ou élevé de dépôt de bilan."
L'analyse est simple, Marie Eloy le rappelle : comme tous les entrepreneurs, les cheffes d'entreprises ne bénéficient ni de la sécurité de l’emploi, ni d’un revenu fixe assuré tous les mois, ni bien souvent d’un droit au chômage. De surcroît, elles ont généralement investi leurs économies dans leur entreprise. Confinées pour la majorité d'entre elles avec leurs enfants, contraintes de jongler entre maternité, entreprise et tâches ménagères, beaucoup voient l'avenir en noir.Cette situation vécue par les entrepreneures ne concerne pas que la France. L'AFEM, l'Association des femmes chefs d’entreprise au Maroc, forte de 300 entreprises essentiellement dans le commerce et les services, fait la même analyse.
Pour cerner au plus près la situation de ses membres, l'AFEM a dressé un questionnaire pour mesurer leurs préoccupations. Ce qui est remonté est très similaire aux situations des entrepreneures en France : confinement = problèmes organisationnels familiaux, pour ce qui est du présent. Et angoisse de lendemains qui déchantent, une fois le déconfinement arrivé.
Leila Doukkali, présidente de l'AFEM : "Nous sommes mobilisées et à l’écoute de nos membres. Nous les informons des mesures prises, organisons des réunions par vidéoconférence, et faisons des propositions spécifiques aux TPME (très petites et moyennes entreprises) qui sont nos adhérentes. Parmi nos préconisations, la possibilité d’octroyer un trimestre blanc fiscal, et veiller à ce que les agences bancaires apportent le soutien adéquat à la problématique de l’entrepreneure."
En France, les mesures prises par le gouvernement suffiront-elles à sauver toutes les entrepreneures ? Difficile de répondre avec certitude à la question... Mais il est intéressant de finir avec l'analyse pré-Covid de Marie Eloy. Interrogée fin 2019 par le journal Ouest-France, elle faisait déjà ce constat : "En fondant Femmes de Bretagne, j’ai constaté qu’environ 80 % des femmes ne vivent pas de leur activité. Chez les hommes, c’est 50 %. Et quand on demande à un homme et une femme ce que veut dire 'vivre correctement de son activité', les réponses sont très différentes. Pour une femme, c’est gagner 1 500 euros par mois. Pour un homme, entre 3 000 et 4 000 euros." Au-delà de la reprise économique post-Covid, ce sont aussi ces inégalités qu'il faudra résoudre.
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