Fil d'Ariane
Adulée comme une "mère" politique à la fibre sociale, ou détestée comme une populiste corrompue, "CFK" reste et restera une figure incontournable de la scène politique argentine.
Au terme d'un procès qu'elle n'a eu de cesse de dénoncer comme "politique" Cristina Kirchner a été condamnée à six ans de prison même si son immunité parlementaire l'en préserve, et à une inéligibilité à vie, dans un procès pour fraude et corruption durant ses mandats présidentiels de 2007 à 2015, dans une affaire de marchés publics dans son fief de Santa Cruz (sud).
Avec défi, aplomb, la vice-présidente, 69 ans, s'est posée dès le début de la procédure - ouverte en 2019- en victime de juges affidés à l'opposition de droite, dénonçant une "guerre judiciaire", qui cherche à faire tomber des dirigeants de gauche d'Amérique latine, comme jadis les coups d'Etat militaires, selon elle.
"Ils me veulent soit prisonnière, soit morte", a-t-elle lancé à plusieurs reprises, établissant un lien direct entre le "climat" de "stigmatisation" alimenté par le procès, et la tentative d'assassinat sur sa personne, en septembre 2022.
Elle en réchappa, le coup de feu n'étant pas parti. Et échappera à la prison aussi, grâce a son immunité parlementaire. Et même si elle a annoncé qu'elle ne sollicitera pas de mandat national en 2023, elle ne semble pas près de quitter la scène où elle ravit la lumière depuis près de 20 ans.
Veuve du président de centre-gauche Nestor Kirchner qui laissa à nombre d'Argentins la gratitude d'une normalité retrouvée après le traumatisme de la "grande crise" de 2001, Cristina a longtemps cultivé le souvenir de son mari, décédé en 2010, et dans le sillage duquel elle a été élue en 2007 puis réélue en 2011.
Tous deux s'étaient connus en fac de droit. Puis devenus avocats, ont vécu et travaillé ensemble. Dans la province de Santa Cruz, leur fief électoral où ils firent fortune (ils possédaient 23 biens immobiliers, donc nul besoin de corruption, ironisa-t-elle), puis dans la capitale, après l'accession de Nestor à la présidence.
Leur projet était d'alterner à la tête de l'Argentine. "Nous pensions qu'il était nécessaire d'assurer dans le temps un processus politique vertueux de transformation du pays", écrit-elle dans son livre Sincèrement.
Au pouvoir, Cristina Kirchner imposa un contrôle des changes, de forts instincts protectionnistes, se brouilla avec les puissants producteurs agricoles, et mena une politique sociale généreuse. Elle affichait sa proximité avec Lula au Brésil, ou Hugo Chavez au Venezuela.
Ses mandats ont vu aussi s'approuver le mariage homosexuel, une loi sur l'autodétermination de genre, une écoute accrue à la cause de femmes, faisant de l'Argentine une pionnière en Amérique latine.
Tour à tour combative, émouvante, cabotine, sarcastique, "CFK", issue d'un milieu modeste (père chauffeur de bus, mère au foyer) mais qui goûte volontiers les tailleurs de renom, est aussi une oratrice avérée. Qui joue souvent de l'émotion, pathos au bord des lèvres, et éclipse sans mal "son" président plus pondéré, Alberto Fernandez. Quand elle ne lui envoie pas des piques.
Et pour nombre d'Argentins, de milieux populaires mais pas seulement, elle reste associée à un volontarisme social, une forme de "quoi qu'il en coûte". Sans lequel des millions n'auraient pas gardé la tête hors de l'eau, pendant plus de 20 ans d'inflation à deux chiffres.
Hoy, al finalizar nuestra Marcha Nro 2329 fuimos recibidas por @CFKArgentina en su despacho en el Senado de la Nación. Agradecemos el gesto de la Vicepresidenta, en momentos tan especiales de nuestra lucha.
— Prensa Madres (@PrensaMadres) December 1, 2022
Hebe estaría muy feliz de este encuentro.#MadresDePlazaDeMayo pic.twitter.com/kP6ngm8Opl
Sur son compte officiel twitter, l'Association des Mères de la Plaza de Mayo salue son engagement à ses côtés : "Depuis plus de 45 ans, nous défilons tous les jeudis à 15h30 sur la Plaza de Mayo. Aujourd'hui, à la fin de notre marche n° 2329, nous avons été reçues par @CFKArgentina dans son bureau au Sénat national. Nous apprécions le geste de la vice-présidente, dans des moments si particuliers de notre lutte".
Mais pour ses adversaires, dont le libéral Mauricio Macri, qui lui succéda à la présidence (2015-19), elle est l'incarnation d'un clientélisme redistributif pathologique, à coups de subsides qui maintiennent l'Argentine dans le marasme et les déficits.
Ces dernières années, Cristina Kirchner a été mise en cause dans une dizaine de dossiers distincts, entre pots-de-vin, blanchiment de fonds ou entrave à la justice. Elle a bénéficié de non-lieux, mais quatre procédures restent ouvertes.
Et pour spectaculaire et fusionnelle que soit sa relation avec un noyau dur de fidèles - non sans évoquer l'adulation que suscita jadis une certaine Evita Peron - son étoile a pâli.
Si elle peut revendiquer au mieux un quart de l'électorat, le rejet qu'elle suscite est bien plus large: 61% de "très mauvaise opinion", selon le baromètre mensuel de l'Université de San Andres.
"Elle ne peut gagner une élection nationale (...) elle le sait et tout le péronisme le sait", analysait pour l'AFP Raul Aragon politologue à l'Université de Buenos Aires. Mais dans une primaire, Cristina "pèse ces 25%", et dans son camp, "aucun ticket (présidentiel en 2023) ne pourra se faire sans son accord". Comme en 2019, quand elle avait adoubé Fernandez.
A plusieurs reprises ces derniers mois, elle a laissé entendre que son objectif n'était plus un mandat national, mais de "faire passer les idées". De continuer d'influer, autrement dit, condamnée ou pas. A moins qu'elle n'attende de passer le relais péroniste à son fils Maximo, 45 ans, député et chef de file du clan "K" (pour Kirchner). Et lui aussi clivant, déjà.