Cristina Kirchner, condamnée, adulée, détestée, mais toujours là

Cristina Kirchner a été condamnée pour "administration frauduleuse" lors d'attributions de marchés publics durant ses mandats présidentiels : six ans de prison, une peine à laquelle la vice-présidente argentine échappe grâce à son immunité parlementaire, et inéligibilité à vie. Une condamnation qui ne devrait guère entacher la stature de cette figure incontournable de la vie politique argentine.
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Un partisan de la vice-présidente argentine Cristina Fernandez tient une affiche avec un message qui se lit en espagnol : "Tous avec Cristina", après que l'ancienne dirigeante a été condamnée à 6 ans de prison et bannie de toute fonction politique, devant le Congrès à Buenos Aires, Argentine, mardi 6 décembre 2022.
©AP Photo/Gustavo Garello
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Adulée comme une "mère" politique à la fibre sociale, ou détestée comme une populiste corrompue, "CFK" reste et restera une figure incontournable de la scène politique argentine.

Au terme d'un procès qu'elle n'a eu de cesse de dénoncer comme "politique" Cristina Kirchner a été condamnée à six ans de prison même si son immunité parlementaire l'en préserve, et à une inéligibilité à vie, dans un procès pour fraude et corruption durant ses mandats présidentiels de 2007 à 2015, dans une affaire de marchés publics dans son fief de Santa Cruz (sud).

Avec défi, aplomb, la vice-présidente, 69 ans, s'est posée dès le début de la procédure - ouverte en 2019- en victime de juges affidés à l'opposition de droite, dénonçant une "guerre judiciaire", qui cherche à faire tomber des dirigeants de gauche d'Amérique latine, comme jadis les coups d'Etat militaires, selon elle.
 

Ils me veulent soit prisonnière, soit morte.
Cristina Kirchner

"Ils me veulent soit prisonnière, soit morte", a-t-elle lancé à plusieurs reprises, établissant un lien direct entre le "climat" de "stigmatisation" alimenté par le procès, et la tentative d'assassinat sur sa personne, en septembre 2022.

Elle en réchappa, le coup de feu n'étant pas parti. Et échappera à la prison aussi, grâce a son immunité parlementaire. Et même si elle a annoncé qu'elle ne sollicitera pas de mandat national en 2023, elle ne semble pas près de quitter la scène où elle ravit la lumière depuis près de 20 ans.

cristina kirchner
Cristina Kirchner salue ses partisans alors qu'elle quitte sa maison à Buenos Aires, Argentine, le 23 août 2022. L'ex-dirigeante a été condamnée à 6 ans de prison, à l'issue d'un procès où elle était jugée pour avoir dirigé une organisation criminelle qui a fraudé l'État d'un milliard de dollars pendant sa présidence par le biais de contrats de travaux publics accordés à un magnat de la construction étroitement lié à sa famille.
©AP Photo/Rodrigo Abd

Le culte du président défunt

Veuve du président de centre-gauche Nestor Kirchner qui laissa à nombre d'Argentins la gratitude d'une normalité retrouvée après le traumatisme de la "grande crise" de 2001, Cristina a longtemps cultivé le souvenir de son mari, décédé en 2010, et dans le sillage duquel elle a été élue en 2007 puis réélue en 2011.

Tous deux s'étaient connus en fac de droit. Puis devenus avocats, ont vécu et travaillé ensemble. Dans la province de Santa Cruz, leur fief électoral où ils firent fortune (ils possédaient 23 biens immobiliers, donc nul besoin de corruption, ironisa-t-elle), puis dans la capitale, après l'accession de Nestor à la présidence.

Leur projet était d'alterner à la tête de l'Argentine. "Nous pensions qu'il était nécessaire d'assurer dans le temps un processus politique vertueux de transformation du pays", écrit-elle dans son livre Sincèrement.

Au pouvoir, Cristina Kirchner imposa un contrôle des changes, de forts instincts protectionnistes, se brouilla avec les puissants producteurs agricoles, et mena une politique sociale généreuse. Elle affichait sa proximité avec Lula au Brésil, ou Hugo Chavez au Venezuela.

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Lors de la campagne présidentielle de 2019, des partisans brandissent des photos de Cristina et Nestor Kirchner, le président argentin, mort le 27 octobre 2010.
©AP Photo/Natacha Pisarenko

Des programmes en faveur des droits des femmes et des LGBT

Ses mandats ont vu aussi s'approuver le mariage homosexuel, une loi sur l'autodétermination de genre, une écoute accrue à la cause de femmes, faisant de l'Argentine une pionnière en Amérique latine.

Tour à tour combative, émouvante, cabotine, sarcastique, "CFK", issue d'un milieu modeste (père chauffeur de bus, mère au foyer) mais qui goûte volontiers les tailleurs de renom, est aussi une oratrice avérée. Qui joue souvent de l'émotion, pathos au bord des lèvres, et éclipse sans mal "son" président plus pondéré, Alberto Fernandez. Quand elle ne lui envoie pas des piques.

Et pour nombre d'Argentins, de milieux populaires mais pas seulement, elle reste associée à un volontarisme social, une forme de "quoi qu'il en coûte". Sans lequel des millions n'auraient pas gardé la tête hors de l'eau, pendant plus de 20 ans d'inflation à deux chiffres.

Sur son compte officiel twitter, l'Association des Mères de la Plaza de Mayo salue son engagement à ses côtés : "Depuis plus de 45 ans, nous défilons tous les jeudis à 15h30 sur la Plaza de Mayo. Aujourd'hui, à la fin de notre marche n° 2329, nous avons été reçues par @CFKArgentina dans son bureau au Sénat national. Nous apprécions le geste de la vice-présidente, dans des moments si particuliers de notre lutte".

"Clientélisme pathologique" tendance corruption

Mais pour ses adversaires, dont le libéral Mauricio Macri, qui lui succéda à la présidence (2015-19), elle est l'incarnation d'un clientélisme redistributif pathologique, à coups de subsides qui maintiennent l'Argentine dans le marasme et les déficits. 

Ces dernières années, Cristina Kirchner a été mise en cause dans une dizaine de dossiers distincts, entre pots-de-vin, blanchiment de fonds ou entrave à la justice. Elle a bénéficié de non-lieux, mais quatre procédures restent ouvertes.

Et pour spectaculaire et fusionnelle que soit sa relation avec un noyau dur de fidèles - non sans évoquer l'adulation que suscita jadis une certaine Evita Peron - son étoile a pâli. 
 

Dans un récent entretien à la télévision, la vice-présidente argentine fait visiter son bureau, dans lequel sont exposées de nombreuses images d'Evita Peron ►

Une image qui s'effrite

Si elle peut revendiquer au mieux un quart de l'électorat, le rejet qu'elle suscite est bien plus large: 61% de "très mauvaise opinion", selon le baromètre mensuel de l'Université de San Andres.

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Une partisane de la vice-présidente argentine Cristina Fernandez, ancienne présidente, attend devant un tribunal fédéral où les juges l'ont condamné à 6 ans de prison pour complot et fraude, à Buenos Aires, en Argentine, le mardi 6 décembre. 2022.
©AP Photo/Rodrigo Abd

"Elle ne peut gagner une élection nationale (...) elle le sait et tout le péronisme le sait", analysait pour l'AFP Raul Aragon politologue à l'Université de Buenos Aires. Mais dans une primaire, Cristina "pèse ces 25%", et dans son camp, "aucun ticket (présidentiel en 2023) ne pourra se faire sans son accord". Comme en 2019, quand elle avait adoubé Fernandez.

A plusieurs reprises ces derniers mois, elle a laissé entendre que son objectif n'était plus un mandat national, mais de "faire passer les idées". De continuer d'influer, autrement dit, condamnée ou pas. A moins qu'elle n'attende de passer le relais péroniste à son fils Maximo, 45 ans, député et chef de file du clan "K" (pour Kirchner). Et lui aussi clivant, déjà.