A Cuba, l'égalité en dansant

Tamy González, ‘Primera Ballerina”, danseuse étoile, et Lizt Alfonso, professeure et chorégraphe, conjuguent leur talent à la réussite d'une école connue dans le monde entier pour sa « fusion » inédite de différents genres, salsa cubaine, ballet classique, ou encore tango. Portrait croisé d’une réussite à la cubaine.
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Tamy Rodriguez en répétition
Tamy Rodriguez en répétition dans l'école de Lizt Alfonso
(©) Jonathan Alpeyrie
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Depuis son plus jeune âge, Tamy González aime danser, que ce soit quand elle écoutait la radio dans la maison familiale ou en regardant une émission de danse a la télévision. Très rapidement, ses parents remarquent son engouement pour le rythme, quel qu’il soit, et sa facilité à se déplacer avec grâce. Ils décident donc de l’accompagner dans sa passion.

Tamy est inscrite à l’âge de 10 ans dans une école de danse pour les petits dans le célèbre quartier historique de Vedado. Cette même année, la mère de Tamy  l’amène voir un show chorégraphié par Lizt Alfonso : «  Je suis tout de suite tombée amoureuse de son style et sa chorégraphie » se souvient-elle.

Tamy Gonzalez avec ses parents
Tamy González avec ses parents qui l'ont toujours accompagnée dans ses choix
(©) Jonathan Alpeyrie


Avec les années, Tamy se hisse au sommet de l’école de Lizt Alfonso : « Mes parents ont toujours été très fiers de ma profession et sont restés derrière moi pendant les différentes périodes difficiles que j’ai traversées. J’ai sacrifié beaucoup de choses aussi afin d’être la meilleure ». Il suffit de déambuler dans les différents étages de l’immeuble pour voir qu’ici tout est dévolu à la danse, dans chaque pièce, des tout petits aux professionnels.

J’ai sacrifié beaucoup de choses afin d’être la meilleure
Tamy González
 

Les journées incessantes de 8 heures ne sont que routine pour Tamy et les autres danseurs de sa troupe. Habitués à ce rythme infernal, ces danseurs apprennent chaque jour de nouvelles techniques. A 29 ans, Tamy demeure la cheffe de file de la troupe, la personne que tout le monde regarde pendant les entraînements.
 

Tamy Gonzalez en répétition 2
Tamy González en répétition, celle que tous regardent
(©) Jonathan Alpeyrie



Malgré son sacrifice quotidien, Tamy voit au delà de ces répétitions, et estime qu’un jour, sans doute proche, elle pourra ouvrir un nouveau chapitre de sa vie : « J’aimerais explorer d’autres domaines artistiques, comme la photographie. En fait j’aimerais beaucoup consacrer la plupart de mon temps à prendre des photos, en combinant le photo et la danse, du point de vue d’une danseuse ».

Cette technique vient de la rigueur à enseigner de la fondatrice de cet institut très spécial, Lizt Alfonso elle même. Son école attire des jeunes de toute l’île, souvent poussés par leur parents qui y voient un moyen concret de donner une chance de réussite à leur enfant.

Une fusion créatrice


Durant l’été, l’« Ecole de fusion » propose des cours aux jeunes de 10 ans afin de faire le tri entre ceux qui ont les capacités à gravir les échelons jusqu’au bout, comme Tamy et sa troupe, et tous les autres, plus amateurs : «  Nous passons le plus clair de notre temps à l’école. Nous voyons plus souvent nos collègues que notre propre famille. Je considère d’ailleurs que les autres membres de l’école font aussi partie de ma famille ».

Un tout petit nombre de danseurs réussissent à se maintenir au sein de l’école de danse. De nombreuses techniques de danse sont nécessaires pour y devenir professionnel. Mélangeant la salsa cubaine, le ballet, mais aussi le tango, la fusion de tous ces styles donne naissances à une chorégraphie unique très prisée dans le monde. La troupe de Tamy sera bientôt à New York dans le prestigieux New Victory théâtre de Time Square.

Un modèle d'excellence


Ancienne danseuse de talent, Lizt Alfonso est un modèle de réussite à la cubaine, montrant qu’il est possible pour une femme de se faire une place dans une société relativement machiste. Avec l’aide de son mari, Lizt a créé en octobre 1991 une vraie institution nationale où les Cubains se pressent pour que leurs enfants fassent partie de cette réussite sociale, mais aussi parce que le gouvernement communiste les laisse voyager à travers le monde afin de montrer en exemple cette culture cubaine fondée sur la créativité et la discipline.
 

école de Lizt Alfonso
Lizt Alfonso, assise en tea-shirt rose et Tamy González, debout
(©) Jonathan Alpeyrie


En 2000, l’école devient résidente permanente du Grand Théâtre de La Havane. Un honneur rare.

Danser pour un garçon fait efféminé, est mal perçu dans une société machiste
Lizt Alfonso

Etre femme à Cuba, n’est, comme nulle part sur le reste de la planète, chose facile, même si le régime affiche un Parlement paritaire. Dans l’école de danse de Lizt Alfonso, plus de 90% des danseurs sont des femmes et des jeunes filles,  malgré les efforts de la danseuse pour attirer plus de garçons à sa cause : « Nous avons beaucoup de mal à trouver des jeunes garçon qui veulent faire une carrière de danseurs, car cela est vu comme efféminé, mal perçu donc dans une société machiste ». Dans le groupe de Tamy, il y a 4 garçons pour 30 filles.
 

Tamy Gonzalez avec ses enfants et femmes
Tamy González dans une rue cubaine
(©) Jonathan Alpeyrie


Lizt, comme Tamy, sont des femmes respectées qui savent se faire entendre, grâce à leur notoriété. Tamy vit avec son petit ami musicien depuis quelques années dans le même appartement, et gagne plus d’argent que lui, mais cela ne semble pas le gêner. Une situation inégalitaire dans un sens inhabituel qui n’est pas si rare à Cuba.

 

Tamy Gonzalez Cuba
Le vénézuélien Hugo Chavez et Che Guevara, figures disparues de la révolution d'Amérique du Sud, et clichés incontournables de Cuba, sur un mur où Tamy González prend la pose
(©) Jonathan Alpeyrie

Cuba : la condition des femmes en chiffres, en actes et en réalité


Pour la Pressenza international press agency, agence de presse altermondialiste, tous les indicateurs sont positifs : "Depuis la Révolution en 1959, l’Etat cubain a fait de l’émancipation des femmes l’une de ses priorités, avec la création en août 1960 de la Fédération des femmes cubaines (FMC) qui compte aujourd’hui plus de 4 millions de membres.
Cuba est le premier pays au monde à avoir signé la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et le second à l’avoir ratifiée.
Des 31 membres du Conseil d’Etat cubain, 13 sont des femmes, soit 41,9%. Il y a 8 femmes ministres sur 34, soit 23,5%. Au Parlement cubain, sur les 612 députés, 299 sont des femmes, soit 48,66%, ce qui en fait l'un des Etats les plus paritaires au monde. Sur les 1268 élus aux Assemblées provinciales, 48,36% sont des femmes. Les Cubaines président 10 des 15 Assemblées provinciales du pays, soit 66,6%, et occupent la vice-présidence dans 7 d’entre elles, soit 46,6%. Sur les 115 membres du Comité Central du Parti Communiste cubain, 49 sont des femmes, soit 42,6%.
Il n’existe pourtant aucune loi à Cuba obligeant à la parité pour les postes politiques.
Sur les 16 dirigeants syndicaux provinciaux de la Confédération des travailleurs cubains (CTC), 9 sont des femmes, soit 56,25%. La législation cubaine impose que le salaire de la femme soit strictement le même que celui de l’homme.
Près de 60% des étudiants cubains sont des femmes.
Le taux de fécondité (nombre d’enfants par femme) est de 1,69, soit le plus bas d’Amérique latine.
Cuba (depuis 1965) est le seul pays d’Amérique latine, avec le Guyana (depuis 1995) et l’Uruguay (depuis 2012) à avoir légalisé l’avortement.
Le taux de mortalité infantile est de 4,6 pour mille, soit le plus bas du continent américain – Canada et Etats-Unis compris.
"

L'envers des chiffres
Mais pour la blogueuse dissidente Yoani Sánchez, les chiffres ne résistent pas à la réalité, au vécu des femmes : "Comme je vis dans un pays où les voies de la protestation civique ont été coupées et diabolisées, je me risque à essayer de dresser la liste des violations qui subsistent encore à Cuba à l’encontre des femmes.
On ne nous permet pas de créer nos propres organisations féminines, par lesquelles nous pourrions nous unir et être représentées. Des groupes qui ne soient pas de simples poulies de transmission du gouvernement vers les citoyennes, comme c’est tristement le cas de la Fédération des Femmes Cubaines.
Quand on parle des femmes dans la classe politique, on perçoit clairement que celles-ci n’ont pas un pouvoir réel de décision mais qu’elles sont là pour satisfaire à des quotas ou des obligations de genre. (.../...)
L’absence dans la presse nationale d’un rapport sur la violence domestique n’élimine pas pour autant sa réalité. Se taire ne suffit pas à parer les coups de l’agresseur. Dans les pages de nos journaux on doit pouvoir lire aussi des histoires de maltraitance. Où peut aller une épouse frappée par son mari ?
Acheter des couches jetables est presque un luxe dans cette société où la majorité des femmes récemment accouchées doivent passer la majeure partie de leur temps au lavage à la main du linge de leurs bébés. Toute émancipation passe par une infrastructure matérielle de la liberté. Le prix élevé des produits liés à la maternité et la grossesse est un élément qui pèse également sur la baisse de la natalité (1,6 enfant par femme).     
Après tant de slogans sur l’émancipation et l’égalité, les femmes cubaines en sont toujours à faire une double journée de travail et des dizaines de pénibles tâches bureaucratiques. Il suffit de sortir dans la rue pour remarquer l’effet de cette surcharge : la majorité des femmes de plus de quarante ans ont le visage amer, elles ne font pas de projets pour le futur, ne vont pas au café avec des amies et ne prévoient d’échapper à la famille et à l’ennui.
Quand une femme se prend à émettre des critiques sur le gouvernement, on lui rappelle immédiatement qu’elle porte la jupe, on l’accuse d’amoralité, d’être infidèle à son mari, manipulée par un esprit masculin, et on la traite de « prostituée », de « poule », de « traînée » ou autres insultes.
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A voir en vidéo, un reportage (en espagnol et en musique) de la télévision cubaine sur la danseuse étoile Tamy González