Cyberharcèlement : l'effet "Ligue du LOL"

Les révélations autour de la "Ligue du LOL" ont mis au jour des faits graves de cyberharcèlement. Elles ont aussi incité d'autres victimes à prendre la parole et pousser les rédactions à entamer un examen de conscience sur les comportements, masculins notamment, sur les réseaux sociaux. Un début de bouleversement dans le milieu du journalisme ? 
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Vendredi 8 février dernier, CheckNews, le service de vérification des informations du journal Libération, lâche une petite bombe en publiant un article sur la « Ligue du LOL ». Certains membres de ce groupe Facebook privé, réunissant journalistes, communicants et publicitaires parisiens, sont accusés d’avoir harcelé sur les réseaux sociaux des féministes, femmes journalistes, blogueuses, mais aussi d’avoir tenu des propos homophobes et antisémites.

Révélations en cascade

A la suite de la publication de cet article, plusieurs victimes se manifestent sur les réseaux sociaux, chacun.e livrant son témoignage. Libération et L’Express font état d’ « affaires » similaires. Checknews, encore une fois, révèle ,dans un article daté du 11 février, l’existence de « Radio bière foot », un groupe de discussion instantanée utilisé par des hommes de la rédaction du Huffington Post. Le groupe est un « défouloir sexiste, raciste et homophobe », peut-on lire dans l’article. Alexandra Milhat, journaliste passée par le Huffington Post, témoigne.

Elle y relate les brimades quotidiennes à son insu : « Cela a été une déflagration d’apprendre que ce chef m’insultait chaque jour depuis des mois auprès de mes 15 autres collègues masculins, dont des chefs de service qui me donnaient des ordres, ainsi qu’auprès des délégués du personnel. Et peu à peu, beaucoup s’y sont mis à leur tour, gratuitement : «pute, casse-couilles, bitch, pupute» (nom d’un smiley Kim Jong Un maquillé en référence à mes origines vietnamiennes). Des insultes et GIF pornographiques... « Je ne la connais pas, mais c’est une grosse pute » balance un autre chef. ».

L’Express lui, révélait le 11 février l’existence des « Darons », un groupe de messagerie instantanée au sein de la rédaction du magazine Vice, dans lequel, encore une fois, certains hommes de la rédaction tiennent des propos sexistes à l’égard de leurs collègues féminines. Ce groupe était, selon l’article, « le théâtre quotidien d'un déversement de propos sexistes et outranciers, d'insultes ("Coquine", "salopes", "souillées") ».

Et les révélations n'en finissent plus. Lundi 18 février,  le site d'information Médiapart publie une enquête sur le fonctionnement de la rédaction du magazine Les Inrocks, où David D., membre de la « ligue du LOL », était rédacteur en chef du site internet. Plusieurs salariés, hommes et femmes, relatent une atmosphère pesante au sein de la rédaction. Le rédacteur en chef du site des Inrocks y est accusé d’avoir fait régner la terreur.
 

Plusieurs organes d'information, même s'ils ne sont pas directement touchés par ces révélations, ont ouvert des tribunes en ligne. Objectif : exprimer leur solidarité avec les victimes. La tribune du Monde intitulé « La Ligue du LOL n’a rien d’une exception », par exemple, a recueilli plus de 900 signatures.

Ecoles de journalisme, antichambres de la haine ?

En décembre 2017, la journaliste Nassira El Moaddem, alors directrice du Bondy Blog, raconte dans une série de tweets avoir subi le harcèlement de camarades de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, dont deux d'entre-eux sont devenus depuis journalistes dans l’émission Quotidien.

Si les tweets de la journaliste ne passent pas inaperçus, ils ne déclenchent pas non plus un "#MeToo" dans le milieu du journalisme. Mais après les révélations concernant la "ligue du LOL", comme un écho à ce qu’a vécu Nassira El Moaddem, les langues se sont déliées sur des cas de cyberharcèlement dans plusieurs écoles de journalisme. A commencer par celle dont elle est diplômée, l’ESJ Lille.

Dans un article de Vanity Fair, une ancienne étudiante, issue de la même promotion que Nassira El Moaddem, témoigne d’une agression sexuelle commise par des étudiants de sa promotion. L’école a réagi via un communiqué mardi 19 février.
 
 Plusieurs anciennes étudiantes de l’école de journalisme de Grenoble accusent, elles aussi, d’anciens camarades d’avoir entretenu un groupe Facebook privé, appelé Ultim’Hate (haine ultime). Les moqueries qui avaient cours dans ce groupe étaient « clairement sexistes et misogynes », peut-on lire dans l’article de France Inter sur le sujet.

L’EDJ de Grenoble a elle aussi réagi dans un communiqué :
 

Le 14 février dernier, le site de Libération publie une tribune signée par 580 étudiants en journalisme de 16 écoles, où ils se disent "indigné·e·s par les agissements du groupe connu sous le nom de « la Ligue du LOL » et appellent rédactions et écoles de journalisme à prendre des mesures contre les discriminations et le harcèlement, et pour la parité.

En Suisse et en Belgique aussi

Si l’on pourrait croire qu’il s’agit là d’une affaire franco-française, il n’en est rien.
La Suisse est elle aussi touchée. Une victime confie à nos confrères Le Temps avoir été la cible de confrères journalistes qui menaient des "campagnes de dénigrement" sur FaceBook.
 

La Belgique n’est pas en reste. Djia Mambu, journaliste et critique de cinéma basée à Bruxelles, relate des faits de harcèlement sur les réseaux sociaux de la part de ses confrères. La jeune femme fait partie du conseil d’administration d'une association professionnelle de journalistes et critiques de cinéma. « J’étais la seule femme, et la seule noire dans le conseil d’administration. J'ai eu droit à des blagues racistes et sexistes par certains des membres », explique-t-elle.

Ces hommes se liguaient contre les femmes, ils ont un esprit de fraternité. Ils se croient tout permis
Djia Mambu, journaliste

En 2017, elle poste sur Facebook un fond noir en solidarité avec les femmes victimes de violences. Plusieurs de ses confrères publient alors, sous cette photo, des commentaires désobligeants, sous couvert d’humour, faisant référence à sa couleur de peau. « Je leur ai expliqué que cela ne me faisait pas rire, mais ils ont continué. Pour eux, j’exagérais, ils m’accusaient de victimisation. Ils voulaient me faire passer pour l’agresseur », confie-t-elle. « Quand j’ai lu les articles sur la ligue du LOL, j’y ai trouvé un écho à mon histoire, à ce que j’ai subi ».

Djia reconnaît dans les « méthodes » de la "ligue du LOL", celles dont elle a été victime. « Ces hommes se liguaient contre les femmes, ils ont un esprit de fraternité. Ils se croient tout permis », analyse-t-elle. Ces agissements ont un impact sur sa carrière professionnelle. Elle dit aujourd’hui « éviter les festivals et les endroits où je suis susceptible de croiser les hommes qui m’ont harcelée sur Facebook ».

Enquête en cours

Les collectifs Prenons la Une, qui milite pour une meilleure visibilité des femmes dans les médias, #NousToutes, à l'initiative de la marche contre les violences sexistes et sexuelles du 24 novembre 2018, et Paye ton journal, sorte de "Paye ta Shnek" circonscrit aux rédactions, ont lancé une enquête sur internet baptisée "Entendu à la rédac". Cette dernière a pour ambition de mesurer le sexisme et les agressions sexuelles dans les rédactions et les écoles de journalisme. Plus de 1300 témoignages ont été recueillis dès le premier jour de la mise en ligne du site.
 
Communiqué Libé