Sport et menstruations

Cycle menstruel : un rouage de la performance sportive, comme un autre

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Océane Dodin

La Française Océane Dodin contre Coco Gauff au tournoi de tennis Miami Open, le 24 mars 2024, à Miami Gardens, en Floride. 
 

©AP Photo/Rebecca Blackwell
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A l'approche des Jeux olympiques 2024, sportives et scientifiques veulent en savoir plus sur l'influence des règles sur les performances des athlètes. Faire de cet élément de la physiologie féminine un allié, tel est l'objectif.

Depuis un an, la nageuse olympique Caroline Jouisse note régulièrement sur son téléphone l'avancement de son cycle menstruel, une information précieuse pour ses entraîneurs à quelques mois des Jeux olympiques 2024 − et un paramètre qui commence à être étudié par les fédérations.

Le cycle est un élément de la performance, comme la nutrition, comme l'entraînement. Carole Maître, gynécologue à l'Insep

Savoir où elle en est dans son cycle aide l'athlète à planifier ses séances intensives de musculation : de préférence en milieu et en fin de cycle, quand son taux de testostérone est au maximum. "C'est important de savoir quand sont mes pics de testostérone, c'est le moment où on se sent le mieux et on sera le plus fort à l'entraînement", explique la nageuse de 29 ans, qualifiée pour les 10 kilomètres en eau libre des Jeux olympiques qui se tiennent en France du 26 juillet au 11 août 2024.

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"Empow'her"

Ces enseignements sont tirés du programme "Empow'her" de l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance), créé pour mieux comprendre les interactions, différentes d'une athlète à l'autre, entre cycle menstruel et performance sportive. "Il n’y a pas lieu d’être gênée par son cycle. C’est un élément de la performance, comme la nutrition, comme l'entraînement", qui peut engendrer des effets négatifs ou positifs, assure Carole Maître, gynécologue à l'Insep.

En 2023, une équipe a relevé chaque jour pendant six mois, lors des entraînements, des données hormonales, cardiaques ou ayant trait à l'état psychologique de la nageuse Caroline Jouisse. Des données qui ont ensuite été analysées en fonction des étapes de son cycle menstruel. "Avant de commencer le programme, je ne savais pas qu'il y avait toutes ces phases", reconnaît la sportive, qui pratique actuellement dix séances de natation et trois de musculation par semaine.

Le cycle menstruel aussi est un indicateur de bonne santé, explique  Alice Laffite, ingénieure de recherche à l'Insep. "Or les femmes elles-mêmes n'ont pas encore conscience que le cycle a un impact sur la santé, constate-t-elle. Certaines athlètes ont un cycle irrégulier, d’autres n'ont pas de règles. Certaines pensent que ce n'est rien si elles ont mal, que c'est pas grave, que c'est normal. Alors que non, ce n'est pas normal. Il faut le prendre en compte pour éviter les problèmes à long terme, comme l'infertilité".

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Des entraînements faits par ou pour les hommes

Les entraînements de base sont réalisés pour les hommes et ce sont les filles qui s'adaptent, explique Alice Laffite. "Une fille ne s'entraîne pas comme un homme, elle s'adapte pour pouvoir s'entraîner comme un homme, malgré les contraintes imposés par ses cycles menstruels et les symptômes. Or si elle ressent beaucoup de symptômes, elle est handicapée. Certaines des athlètes suivies vont même ne pas s'entraîner du tout si les symptômes sont trop lourds."

Mes séances sont optimales pendant la phase d'ovulation, du premier au quinzième jour du cycle. Juliette Ducordeau,skieuse de fond

Au contraire, il y a des phases du cycle où les athlètes vont pouvoir être dans une meilleure forme et optimiser leurs performances. "Nos analyses, grâce à un modèle mathématique que nous avons développé, ont révélé que, au cours de la phase qui précède l'ovulation, les athlètes ont tendance à mieux s'adapter à la charge de l'entraînement, c'est-à-dire qu'elles vont pouvoir pousser un peu plus, mettre de plus grosses charges et, si elles font de la musculation, mettre plus d'intensité. Au contraire, dans la phase juste avant les règles, elles vont devoir récupérer plus et mettre un peu plus d'adaptation."
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Pour la skieuse de fond Juliette Ducordeau, "Empow'her" a permis de dégager "des tendances assez impressionnantes" sur ses performances et de "mieux connaître (son) corps". "Mes séances sont optimales pendant la phase d'ovulation, du premier au quinzième jour du cycle", tandis que les derniers jours sont plus laborieux, a constaté l'athlète de 25 ans, membre de l'équipe de France de ski de fond.
 
Chaque fille doit avoir son propre mécanisme en tête et l'imposer au coach. Alice Laffite

Phases du cycle menstruel et performances

En adaptant ainsi les entraînements au cycle menstruel, celui-ci cesse d'être un handicap et devient un allié. "Chaque fille doit avoir son propre mécanisme en tête et l'imposer au coach, préconise Alice Laffite. En suivant plus de 130 athlètes représentant neuf sports différents, nous avons obtenu un tableau assez large qui révèle aussi que le cycle est très individuel. Il dépend aussi de la contraception et, le cas échéant, du type de contraception. Sous contraception, certaines vont se sentir mieux en phase de pause, alors que certaines vont être mieux pendant leur phase de comprimé. C'est toujours très individuel. Mais rien qu'au niveau du cycle naturel, plus de 40% des athlètes qu'on a suivies ont des troubles menstruels." 
 
Les phases du cycle menstruel
Phase de menstruation : règles
Phase folliculaire : montée d'œstrogène, l'hormone associée à une meilleure forme
Phase lutéale : montée de progestérone avec une légère montée d'œstrogène.
 
Le sport le plus complet à observer, explique Alice Laffite, est le cyclisme, car les données objectives sont nombreuses, notamment grâce aux capteurs qu'elles ont sur les vélos qui permettent de mesurer la puissance au niveau de la pédale. Cependant, les résultats se rejoignent dans trois quarts des sports, précise l'ingénieure. "Il y en a juste un (la lutte, ndlr) où les résultats allaient totalement à l'encontre de nos autres observations. Mais nous nous sommes rendu compte que les athlètes répondaient de façon biaisée, parce qu'elles savaient que les entraîneurs pouvaient voir leurs réponses. Elles ne voulaient pas se dire trop fatiguées à certaines périodes pour être prises en compétition. Voilà qui montre aussi que pour les athlètes de haut niveau, c'est la compétition en premier et la santé vient après." 
 

Sciences du sport : peu d'études sur les femmes

Depuis son lancement en 2020, 130 sportives françaises de neuf fédérations ont participé à "Empow'her", qui entend aussi combler le manque de recherche scientifique sur la physiologie féminine. "Il existe très peu de projets sur ce thème en France, et même dans le monde. C'est un travail très novateur. Beaucoup de choses sont encore à découvrir, et c'est ça qui est aussi passionnant", insiste la chercheuse Alice Laffite.

Le projet est né de retours des athlètes, qui commencent à déplorer le manque de recherches sur le sujet. "Si les athlètes nous ont poussés à réaliser ce projet, c'est qu'elles en ont besoin, souligne Alice Laffite. Le cycle menstruel n'est pas 'un truc de filles", il fait partie de nous et il est important de l'étudier. Est-ce que ça aurait été la même chose si c'était "un truc d'hommes ? Cela aurait été étudié depuis très longtemps !"

Seulement 9% des études en sciences du sport, sur les cinq dernières années, concernent les femmes, contre 71% pour les hommes – les 20% restant traitent des hommes et des femmes –, précise Juliana Antero, coordinatrice du programme. On trouve "très peu d'études de haute qualité, donc pour l'instant, il n'y a pas de consensus sur l'impact du cycle menstruel sur la performance sportive", étaye la chercheuse. 
 

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Alice Laffite confirme que les études sur les athlètes femmes restent insuffisantes : "On a pu avoir un petit boost de financements à l'occasion des JO, mais il reste encore beaucoup de choses à savoir sur les femmes, sur le cycle menstruel. Certaines études qui auraient pu inclure des femmes ne l'ont pas fait parce que physiologiquement, c'était trop compliqué. Alors il faut plus de recherche, plus de financements." Pour, entre autres, élargir les conclusions aux sportives amateures, au-delà des athlètes de haut niveau : "Car le sport peut avoir aussi un effet bénéfique sur les symptômes des menstruations. En contribuant à les soulager les symptômes, cela pourrait aider beaucoup de femmes dans la population en général."

Sensibiliser les entraîneurs

En 2020, la handballeuse Estelle Nze Minko s'insurgeait dans une tribune du tabou des règles dans le sport et du manque d'études scientifiques, ce qui avait suscité des débats dans plusieurs fédérations.

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Estelle Nze Minko
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Estelle Nze Minko lors du match de handball féminin entre le Comité olympique russe et la France aux Jeux olympiques d'été de 2020, le 31 juillet 2021, à Tokyo, au Japon. 

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©AP Photo/Pavel Golovkin

La parole peine à émerger : la skieuse alpine Clara Direz, ancienne participante de "Empow'her", constate que ses entraîneurs, en majorité masculins, "sont gênés de parler de cycle menstruels, ils ne se montrent pas hyper impliqués ou intéressés". "C'est important de sensibiliser les athlètes, mais il faut avant tout sensibiliser les coachs", opine Caroline Jouisse, qui assure que la question est "taboue" dans son sport.

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A l’approche des JO, les fédérations s’emparent du sujet : celle de cyclisme a récemment participé à une étude qui indique que ses athlètes sont, en moyenne, davantage performantes en milieu de cycle. "Avant, il fallait qu’il y ait une gêne, que la sportive demande une prise en charge. Maintenant, on est en train de systématiser l'accompagnement", relève Carole Maître, de l'Insep. Consciente de l'aspect "élitiste" du programme Empow'her, réservé aux athlètes de haut niveau, Juliana Antero est en train de créer un "kit scientifique" pour accompagner les sportives amatrices.

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