Cyclisme féminin : "le spectacle est là, mais les caméras l'ignorent"

Ce jeudi 20 juillet s’est tenue la première de deux épreuves féminines en marge du Tour de France. Pourquoi pas de Tour des filles à part entière ? Le cyclisme féminin est-il condamné à rester le parent pauvre de son pendant masculin ? Entretien avec Catherine Marsal, ancienne championne de France et du monde. 
 
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lauréates la course by le tour
Les lauréates de La Course by le Tour 2017 : 
1. Annemiek Van Vleuten (Pays-Bas)
2. Elizabeth Deignan (Grande-Bretagne)
3. Elisa Longo Borghini (Italie)
@LaCoursebyTDF
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Aujourd’hui, à 46 ans, la Française Catherine Marsal vit à Copenhague, où elle entraîne l’équipe danoise de cyclisme féminin - une discipline promise, dit-elle, à un bel avenir, pour peu que les médias jouent le jeu. 

Signaux au vert

Bien sûr, le cyclisme reste moins développé chez les filles que chez les hommes : 90 % de licenciés pour 10 % de licenciées environ. Et pourtant, il a acquis énormément de valeur ces derniers temps, affirme Catherine Marsal : "Les courses sont d’une excellente qualité, les championnats du monde sont intéressants. Il y a de l’action, de la compétition, ce n’est jamais la même qui gagne ! Et puis les structures se professionnalisent et de plus en plus d’équipes hommes ont leur parallèle féminine." En un mot comme en cent, les filles ont tout ce qu'il faut pour donner du beau spectacle. Alors pourquoi passe-t-il en grande partie inaperçu ? 

Le temps est loin où l’ancien coureur cycliste français Marc Madiot pouvait affirmer au micro de Jacques Chancel : "Une femme qui fait de la danse, c’est beau, une femme sur un vélo, c’est moche !" Les choses avancent, confirme Catherine Marsal, mais le cyclisme féminin à besoin de davantage d'épreuves qui se démarquent franchement des courses masculines. Et surtout, il a besoin que les médias s'y intéressent autant qu'aux  courses masculines. "Si les tentatives de courses par étape féminines périclitent, c’est faute de sponsors, donc de couverture médiatique. Et à partir du moment où la compétition féminine coïncide avec la course des hommes, toutes les caméras restent braquées sur les hommes," déplore la championne française.

Forcer la parité médiatique ?

Le tour d’Italie féminin, l’une des courses féminines les plus importantes au monde, s’est tenu il y a une semaine. "Qui en a entendu parler ? s’indigne l’ancienne championne. Et quand les coureuses de la Flèche wallone passent la ligne d’arrivée, les caméras ne quittent pas les coureurs, alors qu’ils ont encore 120 kilomètres à parcourir. "Il faut une envie et une volonté de montrer les filles qui n’existent pas encore suffisamment. Si on nous montre pas, les sponsors ne seront jamais intéressés." 

Alors oui, pour Catherine Marsal, des décisions volontaristes de la part des organisateurs et des médias s’imposent pour donner aux femmes les mêmes chances qu'aux hommes aux yeux des sponsors. Si de grands organismes, comme ASO (organisateur du Tour de France), organisaient des courses de filles spécifiques et leur retransmission télévisée, l’exposition du cyclisme féminin en serait transformée du tout au tout.

Tentatives avortées

Entre 1984 et 1989, Amaury Sport Organisation (ASO) qui, aujourd’hui encore, organise le Tour de France, avait lancé un Tour de France féminin né de la volonté d’allier cyclisme masculin et féminin dans le cadre de la mythique course d’étapes. L’essai ne s’est pas révélé concluant : les coureuses se plaignaient du décalage par rapport au Tour masculin - le TDF féminin passait avant celui des hommes, avec des lignes pas encore installées à l’arrivée, des hôtels aux étapes pas réservés… 

Puis dans les années 1990, la "Grande boucle féminine" a pris le relais du Tour féminin jusqu’au début des années 2000, suivie par la Route de France féminine internationale, dont l’édition 2017 a été annulée.

Courses de filles

En général, la portée d’une course cycliste féminine pâtit de son association à une compétition masculine, car elle finit dans son ombre. Il faudrait, pour Catherine Marsal, organiser une grande épreuve féminine "poussée" devant les médias, un tour d'Europe, par exemple : "Dans les années 1990, l’ASO avait organisé une course féminine qui partait de France et passait par plusieurs pays d’Europe. C’était une superbe course. Il nous faut des organisations de cet acabit, capables de séduire médias et sponsors."

Des courses féminines comme celle qui s’est tenue ce jeudi entre Briançon et le col D'Izoard – et qui existe depuis 2014 - n’ont pas forcément lieu d’être, selon l’ancienne championne : "Une course par handicap, cela n’existe jamais dans le calendrier du cyclisme féminin ! Et la distance aurait facilement pu être doublée."
 

Catherine Marsal

Installée à Copenhague, la Française Catherine Marsal a dominé le cyclisme sur route dans les années 1990 aux côtés de sa compatriote Jeannie Longo. En 2004, elle s'est vu proposer la direction sportive d’une équipe professionnelle à Copenhague.

A la fin de sa carrière de cycliste, elle recommence des études, se marie, fonde une famille, s’intègre au milieu danois. Aujourd’hui, elle entraîne les filles de la Fédération de cyclisme danois. "Au Danemark, les problèmes sont les mêmes qu'ailleurs, dit-elle. Il faut pousser pour grignoter un peu de visibilité et de crédibilité."

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A gauche, Catherine Marsal porte la médaille d'argent ; au centre, Jeannie Longo-Ciprelli, en or ; à droite, la médailliste de bronze Alessandra Cappellotto au Championnat du monde de cyclisme sur route en 1996, en Suisse.

©AP Photo/Michel Euler