Damnées de la terre : en quête d'emploi, des Birmanes mariées de force en Chine

Attirées par la promesse d'un travail en Chine, des milliers de jeunes Birmanes pauvres passent la frontière. Mais nombre d'entre elles, victimes de trafiquants, se retrouvent mariées de force.
Image
Birmanes
Une militante de la Ligue des femmes de Myanmar, lors de la journée internationale des droits des femmes, manifestaient avec le portrait de Aung San Suu Kyi pour que la condition des Birmanes soit enfin prise en compte
AP Photo/Manish Swarup
Partager4 minutes de lecture
Un matin d'avril, Kyi Pyar Soe, 22 ans, a disparu "sans rien dire", raconte Mya Soe, son père. "Elle est partie après une dispute avec sa sœur cadette. Sa mère l'a réprimandée et elle a tout quitté", ajoute-t-il. La famille vit dans un petit village de tentes et de maisons en bambou à une heure de Rangoun, la capitale économique birmane.

Mya Soe ne savait pas à ce moment-là que sa fille était en route pour la Chine après avoir reçu une promesse d'emploi de domestique payé 190 euros par mois. Soit beaucoup plus que ce qu'elle peut espérer en Birmanie. Kyi Pyar Soe et l'amie qui l'accompagnait ont rejoint la ville frontalière de Muse, en Etat Shan, avant de passer en Chine, tous frais de transports payés par les trafiquants.

Mais une fois dans la province chinoise du Yunnan, cela a tourné au cauchemar. "Elles ont été conduites dans la maison d'une femme qui a fait venir plusieurs hommes chinois pour qu'ils puissent voir les jeunes filles", a expliqué un officier de police birman, sous le couvert de l'anonymat, ayant travaillé sur l'affaire. "Et elle leur a dit qu'elles devaient épouser un homme chinois".

Conséquences de la politique de l’enfant unique en Chine : un déséquilibre dévastateur entre les sexes


En Chine, la politique de l'enfant unique appliquée pendant plus de trois décennies a créé un déséquilibre dévastateur entre les sexes. En 2014, il est né 116 garçons pour 100 filles. Beaucoup de Chinois se tournent vers l'étranger et notamment la Birmanie pour trouver une femme, parfois via un mariage arrangé.

La Birmanie est louée par la communauté internationale pour avoir organisé des élections historiques et permis l'arrivée au pouvoir du premier gouvernement civil depuis des décennies emmené par une femme, prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi.

Toutefois, en ce mois de juin 2016, cette démocratie naissante vient de subir un revers : les Etats-Unis ont placé le pays sur leur liste noire des Etats ne combattant pas assez le trafic d'êtres humains. Un rapport du département d'Etat note que la Birmanie est "un pays source pour des hommes, des femmes et des enfants soumis au travail forcé et des femmes et des enfants soumis à la traite sexuelle, en Birmanie et hors de Birmanie".

La Birmanie a jugé "regrettable" ce jugement, soulignant que le nouveau gouvernement civil tente de "protéger ses travailleurs immigrés et les victimes du trafic d'êtres humains et du travail forcé".

Un trafic de Birmanes en hausse


Plus de 3000 personnes auraient été victimes de trafic vers la Chine depuis 2006, d'après des chiffres officiels. "Deux mille sont des femmes et 4% sont des enfants de moins de 18 ans", estime Ye Win Aung, policier birman chargé de la prévention de la traite d'êtres humains. Mais pour les associations, ils seraient bien plus nombreux.

D'après la Kachin Women's Association Thailand (Kwat), une ONG basée en Thaïlande et portant secours aux Birmanes vendues comme épouses en Chine, un quart des victimes ont moins de 18 ans. Et la "situation s'aggrave en raison des combats dans certaines régions et de l'accaparement des terres", qui prive les paysans de leur moyen de subsistance, explique Moon Nay Li, secrétaire de la Kwat.

La Thaïlande voisine attire aussi des milliers de Birmans pauvres à la recherche d'un travail et nombre d'entre eux sont employés dans des conditions terribles dans des usines de poissons ou sur des chantiers.

Kyi Pyar Soe, pour sa part, a évité le pire. Elle a réussi grâce à une Birmane vivant en Chine à échapper au mariage forcé et à fuir pour retourner près des siens. Elle a trouvé refuge dans un foyer pour femmes géré par le gouvernement à Rangoun. Elle va y suivre une formation professionnelle avec l'espoir de trouver un travail et de ne plus être obligée de risquer sa vie.