Voilà une autre grande histoire de silence familial, élevé au rang de dogme, celui-ci ! L'année de ses treize ans, la mère de la narratrice disparait. Elle ne meurt pas, elle part. Sans un au-revoir à cette fillette qui la chérissait et réciproquement jusque là. C'est le maître d'hôtel qui informe la jeune fille, d'un ton "neutre et détaché". Partie où ? Prendre un appartement, avec un homme, l'Autre. Sans sa fille. Point. Il faudra faire avec, pour l'enfant comme pour le lecteur. Car ici, on est chez les Rheims-Rothschild, c'est à dire dans l'une des plus grandes familles de France, et la bienséance impose silence et discrétion. A tous les étages, comme le gaz, tout aussi inflammable….
De mère en fille.
C'est toute l'élégance de Nathalie Rheims de ne pas faire de son récit un grand procès familial. Elle parle d'elle et d'elle seule, de son ressenti, de ses difficultés, de sa résilience. Nulle part ne sont cités ses célébrissimes proches, Maurice son père, Bettina sa soeur et tous les autres. A tel point que l'on se demande si la jeune Nathalie vivait seule dans une maison avec des fantômes. Même le nom de la demeure familiale est modifié. Et si les leurres sont limpides, l'honneur est sauf.
C'est là que l'autobiographie se fait roman des origines, dans cette re-création de son histoire personnelle, dans l'auto-fiction. C'est à titre individuel qu'elle narre son histoire, même si elle s'inscrit dans une tribu dont elle prend vite ses distances. Car la lignée est toxique pour qui n'en respecte pas les codes. Nathalie comme sa mère n'ont guère su s'y plier.
Si le roman ne livre que peu les clés familiales, il est instructif pour le futur lecteur d'en connaitre quelques unes. Lili la mère de Nathalie avait deux ans lorsque son père meurt dans un accident de train. Sa mère Alix, née Goldschmith-Rothschild épouse en seconde noces son cousin Guy, baron de Rothschild qui élèvera l'enfant mais ne l'adoptera pas légalement, induisant un sentiment de précarité existentielle, la sensation d'avoir été recueillie et de ne pouvoir prétendre à rien. Tuant ! Surtout dans ces dynasties où la transmission du patrimoine est une obligation assumée dès le plus jeune âge.
Ces non-dits nés du sentiment de bâtardise de Lili sont transmis à sa fille Nathalie qu'elle abandonnera, l'une portant à sa suite la croix de l'autre. "Avec les années, nous apprenions la chanson du silence. On débutait chevalier puis par la suite, on gravissait les échelons du non-dit, pour terminer grand-croix de l'ordre de la dissimulation."
La rupture.
L'adolescente se laisse rapidement dériver, sèche ses cours pour les livres ou le théâtre, s'amourache d'un comédien, ami de ses parents et de fil en aiguille, se retrouve à 16 ans au conservatoire rue Blanche. Elle plonge dans ses rôles, enchaîne les déboires sentimentaux avec des hommes plus âgés, et se débat entre ressentiment pour sa mère et haine de la famille. Un enfermement affectif dont elle sort étrangement…avec la télé. Triviale, crue, réelle, cette lucarne fait entrer l'oxygène dans cette jeune vie, étouffée par le ressassement et la morale bourgeoise. Coups de griffe au passage contre le clan familial : usuriers sans coeur, profiteurs de la misère lors de la crise des subprimes et allusion à la théorie d'un nouvel ordre mondial que les Rothschild, banquiers de père en fils sont soupçonnés de soutenir. Tout fait sens dans le refus d'appartenir à cette famille qui broie les individus pour mieux sauvegarder la lignée.
La légende des Rotschild.
Le nom Rothschild viendrait de Rot Schild, bouclier rouge figurant sur l'écusson ornant la boutique du fondateur de la banque du même nom. Mayer Amschel est le banquier d'un client prestigieux, le prince Guillaume de Hesse-Cassel, le plus riche souverain d'Europe avant de devenir celui de tous les souverains européens endettés.
La maison MA (pour Mayer Amschel) Rothschild, première « multinationale bancaire » est créée en 1810 entre le père et quatre de ses fils, chacun d'eux partant fonder une banque à Berlin, Vienne, Paris et Naples. Au fil de l'histoire, les Rothschild confirmeront leur statut de banquiers des Etats européens, avant d'élargir leur clientèle aux riches particuliers et aux milieux d'affaires. Un statut social et un patrimoine préservés de générations en générations par des mariages entre cousins des deux branches françaises et londoniennes.
Un éclatement généralisé.
Le départ de la mère précipite la fin. De la cellule familiale déjà bien entamée, on le comprend rapidement. De l'héritage familial, de l'inscription dans la tradition Rothschild. De la construction de cette femme-enfant à tout jamais qui doit se reconstruire, avec des valeurs et des repères très personnels."Transmettre, c'est reconnaitre. Et ma mère m'avait perdue de vue. J'étais figée dans l'enfance." Absente du paysage littéraire de l'auteur, la figure maternelle trouve enfin sa place avec "Ces cendres" qui s'envolent. Une façon de se réconcilier avec le passé ? On a du mal à y croire. Ni fleurs, ni couronnes. Ni oubli ni pardon. Nathalie Rheims signe ici un roman de rupture, qui a le goût des larmes.