Dans le monde, une grossesse sur deux n'est pas choisie, selon les Nations unies

Une grossesse sur deux survient sans que la femme ait choisi d'être enceinte et de devenir mère. C'est l'une des principales conclusions du rapport annuel du Fonds des Nations unies pour la population. Des grossesses dites "non intentionnelles" : un "drame oublié" qui touche 121 millions de femmes par an. Entretien avec Diène Keita, directrice exécutive adjointe à l'UNFPA.
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grossesse non intentionnelle UNFPA
Le nombre alarmant de grossesses non planifiées révèle l'incapacité à faire respecter les droits des femmes, estime le rapport annuel de l'UNFPA sur la population dans le monde. 
© UNFPA/Ruth Carr
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Choisir ou non de faire un enfant. Pour une femme enceinte sur deux dans le monde, il ne s'agit pas d'un choix. C'est ce que révèle le le rapport annuel du Fonds des Nations unies pour la population, l’agence onusienne pour la santé sexuelle et reproductive : près de la moitié des grossesses dans le monde sont des grossesses non intentionnelles. Chaque année, 121 millions de femmes sont  concernées, un chiffre enregistré sur la période 2015-2019.
Unintended preagnancy
Grossesse non intentionnelle
Grossesse survenant alors que la mère n'avait pas (ou plus) l'intention d'avoir d'enfant, ou survenant trop tôt dans la vie de la femme.
©UNFPA
Pauvreté, faible niveau d’instruction, conditions de travail, mais aussi exposition à la violence et à la coercition figurent parmi les principaux facteurs de ce phénomène. Mais ils ne sont pas les seuls : le rapport aborde également les raisons qui peuvent expliquer pourquoi certaines femmes n'utilisent pas de contraceptifs. Le manque d’accès à l’information ne semble plus en être la principale cause. Ce non-recours aux moyens contraceptifs peut aussi avoir bien d'autres origines. Certaines femmes, par exemple, éprouvent des réticences à utiliser la contraception en raison d'une  inquiétude quant à de possibles effets secondaires ou de mauvaises expériences contraceptives, parfois aussi une faible fréquence des rapports sexuels ainsi que la pression et les objections de l’entourage.
 

S'ajoutant à la pauvreté et aux retards de développement économiques, un point et pas des moindres, est aussi pointé du doigt : l’inégalité entre les sexes qui entraine des taux élevés de grossesses non désirées.

Autant de facteurs qui témoignent de la pression exercée par la société sur les femmes et les filles pour qu’elles deviennent mères. Une grossesse non désirée ne représente en effet pas nécessairement un échec personnel et peut s’expliquer par le manque d’autonomie octroyée par la société ou par la valeur accordée à la vie des femmes, lit-on sur le site ONU info.

Sonnette d'alarme

Au niveau mondial, on estime que plus de 257 millions de femmes n’ont pas recours à des méthodes sûres et efficaces de contrôle des naissances. Parmi elles, 172 millions n’utilisent tout simplement aucun moyen contraceptif.  

Conséquence : plus de 60 % des grossesses non intentionnelles aboutissent à un avortement, 45 % des IVG sont non médicalisées et à l’origine de 5 % à 13 % des décès maternels. Le coût annuel des complications d’un avortement à risque est estimé à 553 millions de dollars (499 millions d’euros).

"Les lois restrictives sur l’avortement dans les pays à faible et moyen revenu n’ont pas montré qu’elles réduisaient le recours à l’avortement. Mais dans les pays à revenu élevé avec des lois plus libérales sur le sujet, une proportion significativement plus faible de grossesses non désirées aboutissait à des avortements," précisent les auteurs du rapport.

Pour les femmes concernées, le choix de porter la vie, susceptible de bouleverser durablement leur existence, n’en est pas véritablement un.
Natalia Kanem, directrice exécutive UNFPA

"Ce rapport tire la sonnette d’alarme, estime Natalia Kanem, directrice exécutive de l'UNFPA. Le nombre effarant de grossesses non intentionnelles prouve l’incapacité de la communauté internationale à garantir le respect des droits fondamentaux des femmes et des filles."

"Pour les femmes concernées, le choix de porter la vie, susceptible de bouleverser durablement leur existence, n’en est pas véritablement un. En confiant directement aux femmes et aux filles le pouvoir de prendre cette décision absolument primordiale, la société peut faire de la maternité une aspiration et non une fatalité," ajoute-t-elle. 

Crises : facteurs à risque pour des grossesses non voulues

Les crises et les conflits privent les femmes de leur libre arbitre à tous les niveaux. La guerre en Ukraine, ainsi que d’autres conflits et crises à travers le monde pourraient ainsi provoquer une augmentation des grossesses non choisies, du fait d’une perturbation de l’accès à la contraception et d’une hausse des violences sexuelles. Concernant l’Ukraine, les données manquent encore pour connaître les conditions de sécurité et de santé sexuelle des réfugiées, mais près de 250 000 femmes étaient enceintes au début de la guerre, selon Natalia Kanem

En Afghanistan, on estime que la guerre et les perturbations du système de santé pourraient engendrer 4,8 millions de grossesses non planifiées d’ici à 2025.

Le rapport montre avec quelle facilité les droits les plus fondamentaux des femmes et des filles sont relégués au second plan en période de paix comme en temps de guerre.
 
Cette crise est en partie invisible parce qu'elle est extrêmement fréquente. 
Natalia Kanem
"Quand presque la moitié des grossesses ne sont pas choisies, cela nous donne une image alarmante de l’état de négligence de la liberté reproductive des femmes, souligne Natalia Kanem, Cette crise est en partie invisible parce qu’elle est extrêmement fréquente. Presque tout le monde connaît une femme ayant dû faire face à une grossesse non intentionnelle."
 
Diène Keita
Diène Keita, directrice exécutive adjointe des programmes, Fonds des Nations Unies pour la population depuis juin 2020.
©UNfpa