Dans les Conseils d'administration des entreprises françaises, les femmes brillent toujours autant par leur absence

Dessin de Emilio Morales Ruiz, lauréat du concours "dessine moi l'égalité" de ONU Femmes Europe en juin 2015 ©ONU FEMMES
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Voilà 5 ans, en 2011, les parlementaires français fixaient un seuil minimal de 40% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises privées et publiques comme objectif paritaire avant 2017. A un an de l’échéance, on est (très) loin du compte..
L’état des lieux dressé, à moins d'un mois de la journée internationale pour les droits des femmes, par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) et le Conseil Supérieur à l’Egalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) est accablant. Et les entreprises visées par le texte législatif de 2011 devront passer la vitesse surmultitipliée si elles ne veulent pas se mettre hors la loi.

« Grâce à la loi du 27 janvier 2011, avec 34 et 32%, la part des femmes a triplé entre 2009 et 2015 dans les conseils des entreprises cotées du CAC40 et du SBF120. Sur l'ensemble des entreprises cotées, le rapport révèle que ce % s'élève à 28%.
En revanche, concernant les quelques 400 entreprises non cotées concernées par la loi (entreprises de 500 salarié.e.s et plus et de 50 millions de chiffre d’affaires et plus), avec une première estimation à 14,2% de femmes dans leurs conseils, elles semblent être très en deçà des objectifs attendus.
D’ici à 2017, 1 265 mandats d’administrateur.rice devront s’ouvrir à des femmes dans les entreprises privées visées par la loi.
Ce rapport permet de mettre en lumière les changements positifs impulsés par la loi dans le recrutement des administrateur.rice.s. Toutefois, comme en politique, il n’est question que de partage des sièges et non du pouvoir puisque 95% des présidences de conseils d’administration et de surveillance sont occupées par des hommes. Aucune entreprise du CAC40 n’est aujourd’hui dirigée par une femme. 
»

Les mauvais élèves de l'inégalité


Le rapport, rendu public le 10 février 2016, en présence des ministres françaises des Affaires sociales et des droits des femmes, Marisol Touraine et Pascale Boistard, réserve quelques surprises quant à la différence entres secteurs publics et privés, et sur la taille des entreprises plus vertueuses en matière d'égalité au sommet. Plus les sociétés sont importantes, mieux elles tentent de respecter la loi, et le privé a réussi à mieux mettre en place des organismes d'alerte ou de contrôle.

"La mise en œuvre de la parité au sein des conseils d’administration et de surveillance est plutôt bien suivie au sein des entreprises cotées, principalement pour les plus grandes capitalisations boursières. Reste encore assez invisible la progression de la part des femmes dans les conseils des entreprises non cotées entrant dans le périmètre de la loi (50 millions de chiffre d’affaires et plus et 500 salariée.s et plus sur les trois dernières années). Autre remarque, ce suivi est principalement réalisé par des structures privées.
Pour le secteur public : la tâche s’avère encore plus complexe : aucune instance n’a été mandatée officiellement pour assurer le suivi de ces lois. Cette difficulté de mesure conduit à s’interroger sur la connaissance et la compréhension des objectifs poursuivis par les lois et sur l’effectivité des sanctions prévues : nullité des nominations et suspension du versement des rémunérations (comme les jetons de présence). Sans pouvoir savoir si les entreprises respectent leurs obligations légales, les sanctions risquent d’être inopérantes.
"

Procédures de contournement


Les auteurs du rapport notent aussi des petits arrangements entre amis pour faire croire que l'on se conforme au texte législatif.
"Des stratégies de contournement sont parfois d’ores et déjà mises en place : diminution du nombre de membres des conseils pour augmenter statistiquement la part des femmes, changement de statut juridique de l’entreprise, etc. Dans ces cas, si la loi semble être respectée à la lettre pour un certain nombre d’entreprises, l’esprit de la loi ne l’est pas toujours."

Les entreprises invoquent souvent la même raison pour justifier leurs manquements : un vivier trop réduit, et des difficultés à recruter. On ne sait pas pourquoi mais on a quelque peine à y croire...

Le HCEfh et le CSEP formulent donc 13 recommandations articulées autour de 4 axes principaux, pour aider au recrutement de femmes à un au niveau :
"1) rappeler les obligations légales ;
2) mesurer la mise en œuvre des lois ;
3) l’accompagner ;
4) poursuivre le partage des responsabilités au sein des conseils".


La quatrième de ces 13 recommandations semble particulièrement évidente, on a envie de crier "bon sang mais c'est bien sûr !" : "Identifier les instances de suivi et de contrôle de la mise en œuvre des obligations légales, pour un suivi « secteur par secteur », secteur privé et secteur public, dans un cadre institutionnel constant, en étendant le champ de leurs missions  et mettre en place des procédures d’alerte..."

Ces constatations réalistes et amères nous renvoient à une scène lors du dernier sommet économique de Davos à la fin du mois de janvier 2016, rapportée de façon hilarante par Hannah Jewell, journaliste du site Buzzfeed, sous le titre : "Vous souhaitez donc organiser un panel sur les femmes d’affaires au Forum économique mondial à Davos." L'envoyée spécial avait construit un montage répétitif de la même photo : le panel invité à discuter de ce sujet, tagué #WhenWomentThrive (quand les femmes prospèrent) d'actualité était composé uniquement... d'hommes, en costume cravate... Ah non, pardon, l'animatrice de la discussion était une femme !
Comme nous ne manquons jamais de le rappeler sur ce site Terriennes #yaduboulot et vraiment beaucoup...

L'une des photos utilisées par Hannah Jewell pour son montage grinçant capture d'écran