« Je suis arrivée en Angleterre, je suis à Birmingham ». Lorsque Tseddalkok écrit ces quelques mots sur Facebook un soir de mars 2015, son voyage vient de prendre fin, pense-t-elle. La jeune femme aux courbes généreuses et au regard rieur n’avait que 16 ans lorsque son oncle a décidé de lui faire quitter son Erythrée natale. C’était il y a dix ans.
« Tseddy » n’a pas choisi la route habituelle des migrants de la corne de l’Afrique à travers le Soudan et la Libye jusqu’aux rives de la Méditerranée.
Partie de Kassala, la ville du Soudan la plus proche de la frontière érythréenne, elle apprend rapidement qu’il vaut mieux éviter la Libye. Les migrants y sont particulièrement mal traités.
A force de recueillir les témoignages des migrants comme celui de Tseddy, qui a pourtant "réussi", Ferri Mattheuwsen, membre de l’association Solid’R qui vient en aide aux migrants, en a fait le triste constat. « Deux femmes sur trois passées par la Libye ont été violées. Et la situation est encore pire depuis la chute de Kadhafi (en 2011 ndlr) », avance sans détour cette Néerlandaise qui a posé ses valises à Calais en octobre 2013, pensant n’y rester que quelques mois.
Mieux vaut avoir un petit copain
Grâce à de faux papiers, Tseddalkok quitte le Soudan en avion pour le Liban. Pendant un an, elle travaille pour une famille beyrouthine et met chaque mois de l’argent de côté. La jeune femme finit par s’envoler pour la Turquie d’où elle rejoint la Grèce dans un bateau de fortune.
Tseddalkok se plaît à Athènes et pense même y rester définitivement. La crise économique qui frappe le pays en 2011 change la donne et force Tseddy à quitter le pays pour la France.
A Calais, la jeune femme s’installe d’abord dans la « jungle » (nom donné aux lieux où se regroupent les migrants, ndlr) de Tioxyde, dont le campement a été évacué par la police début avril. Après huit mois, elle obtient une place dans la « maison des femmes ». Ce préfabriqué sur la route de Saint-Omer permet à une cinquantaine de femmes et quelques enfants de se mettre à l’abri.
« Lorsque l’on est une femme et que l’on vit dans la jungle, mieux avoir un petit copain », lâche Ferri Mattheuwsen, du dépit dans la voix. Le sous-entendu est clair : dans les « jungles » de Calais et des alentours, les violences sexuelles sont nombreuses. Certaines préfèrent même tomber enceintes pour avoir la paix. « Pour les filles, être enceinte c’est être protégée », ajoute la militante du droit d'asile.
Au milieu de la jungle de Tioxyde, par l’un de ces soirs glaciaux et pluvieux du mois de janvier 2015, Meron, 26 ans dénote au milieu des silhouettes courbées dans l’espoir de garder un petit peu de chaud pour soi.
La jeune femme ne cache pas son malaise. « C’est dangereux de vivre ici pour une femme, prévient-elle, parce que les hommes boivent beaucoup d’alcool et deviennent agressifs ».
Meron s’est donc installée à Isbergues, à près de 80 km de Calais. Seule condition pour loger dans ce camp dont les petites baraques en bois procurent un petit peu plus de confort : payer les 500 euros qui donnent le droit de s’installer, d’avoir de la nourriture et de tenter un passage vers l’Angleterre.
Née en Erythrée, elle a vécu à Addis-Abeba, en Ethiopie. Dans un anglais quasi-parfait, elle raconte que son père y a fait fortune comme mécanicien. « Nous ne manquions de rien », se souvient-elle.
Quelques années plus tard, la famille s’installe à Juba, au Soudan du sud. Mais les violences quotidiennes liées à l’indépendance du pays finissent par convaincre Meron et son mari d’aller tenter leur chance pour une vie meilleure en Grande Bretagne.
Je voudrais que mon enfant naisse en Angleterre
Sally, elle, vit dans la « jungle » avec un homme qu’elle présente comme son mari. Quand elle prépare du café en discutant, il n’est jamais très loin et la jeune femme de 28 ans se montre peu bavarde.
Il faut que les quelques hommes qui l’entourent s’éloignent pour qu’elle annonce soudainement : « Je suis enceinte », partagée entre la joie d’accueillir un enfant, l’élever en Angleterre et l’angoisse de manquer de soins médicaux ou, pire encore, que sa grossesse l’empêche un jour de monter dans un camion.
Difficile de savoir si Sally a choisi d’avoir cet enfant et de le garder. Faustine, une salariée de France Terre d’Asile qui lui rend visite ne pourra ce jour là que la convaincre d’aller consulter la PASS (Permanence d’accès aux soins de santé) de Calais.
La façon dont les hôpitaux accueillent les migrantes enceintes est souvent décriée. « Les filles sont très mal reçues à l’hôpital de Calais », raconte Ferri. « Les médecins culpabilisent les filles et personne ne parle anglais ».
Sally promet tout de même d’aller se faire ausculter. Rendez-vous est pris pour le lendemain avec Faustine à 10 heures. Entre temps, la jeune femme et son mari auront passé la nuit à tenter de monter dans un camion. En vain...
Aujourd’hui, les femmes représentent plus de la moitié (51%) des flux migratoires de la planète. Un voyage pavés de dangers et de vexations. Pas une semaine sans que des discriminations soient relevées ici ou là contre les nouveaux arrivants (ici un maire espagnol qui refuse d'enregistrer des familles roms, là un autre en France qui demande à ce que le linge et les paraboles n'apparaissent plus sur les balcons, etc). Pas une semaine sans que des téméraires qui franchissent mers et continents ne soient victimes de tragédies de l'exil. Dans ces naufrages les femmes et leurs enfants sont nombreuses, comme celui qui vient de coûter la vie à plus de 700 personnes, le 19 avril 2015, au large de la Sicile. Près de 25 000 immigré-es sont morts noyés ces 20 dernières années en tentant de traverser la Méditerranée. Environ 3 millions de personnes entrent chaque année en Europe, et 2 millions en partent.