Dans les mots de Marguerite "Duras et elles", exposition inspirée

L'exposition "Duras et elles", à la galerie "Impressions" (Paris) jusqu'au samedi 9 avril 2016, est l'occasion de se plonger dans l'oeuvre de Marguerite Duras, disparue voilà 20 ans, à travers les peintures de Betty Clavel et les photographies de Véronique Durruty.
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Duras et elles
A gauche : "Un désert de sel et d'eau", Betty Clavel (huile sur toile). A droite : "Demains bleus", Véronique Durruty (photographie)
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Les toiles de Betty Clavel et les photographies de Véronique Durruty sont toutes empreintes des textes de Marguerite Duras, écrivaine française et cinéaste disparue en mars 1996, voilà tout juste 20 ans. L'exposition "Duras et elles", qu'elles ont voulue commune, est accueillie dans le vaste espace de la galerie "Impressions" (Paris, 3è arrondissement), spécialisée sur l'Asie. Elle fait se répondre peinture et photographie autour de l'Indochine de la romancière, si prégnante dans son oeuvre : une invitation à lire et à ressentir Duras, l'auteure de "Hiroshima mon amour" ou de "L'amant".

"Chacune de mes toiles prend racine dans un passage de Un barrage contre le Pacifique, ce livre est immense. Je n'ai jamais fini d'y puiser mon inspiration", confie Betty Clavel. La peintre présente les 27 toiles de son ensemble "Duras, au-delà du barrage", fruit d'un travail initié en 2004 dans lequel elle entrelace le livre de Duras, ses propres souvenirs et ses impressions du Vietnam.
Cette série a été exposée à l'école des Beaux-Arts d'Hô-Chi-Minh-Ville en 2014, choisie par l'Institut français à l'occasion du centième anniversaire de la naissance (4 avril 2014) de Marguerite Duras.

Même inspiration pour Véronique Durruty, avec sa série de photographies inédites "Duras song" : "en 1990, mon voyage au Vietnam est totalement guidé par L'amant de la Chine du Nord et Un barrage contre le Pacifique. Entre 2002 et 2004, je suis partie découvrir l'Asie rêvée d'India Song et Hiroshima mon amour, où Duras n'a jamais résidé. Puis en 2015, pour cette exposition, je suis retournée au Vietnam faire les clichés qui me manquaient".
 


Les deux artistes sont inspirées par les thèmes, les couleurs et les sensations présentes chez Marguerite Duras : "dans mes photos, j'essaye de retrouver le bleu et le rouge de Duras. Tout comme la douceur et la violence qu'elle mêle ensemble. Ce que j'aime chez Duras ? Les sensations. Quand on lit ses romans, on sent l'odeur du fleuve, on ressent la chaleur de l'air, on entend les bruits", explique Véronique Durruty.

Extrait de L'Amant, de Marguerite Duras (1984, éditions de minuit),

choisi par Joëlle Pagès-Pindon, coéditrice des tomes 3 et 4 des Oeuvres complètes de M. Duras en Pléiade et vice-présidente de l'association Marguerite Duras.

[…]
Je me souviens mal des jours. L'éclairement solaire ternissait les couleurs, écrasait. Des nuits, je me souviens. Le bleu était plus loin que le ciel, il était derrière toutes les épaisseurs, il recouvrait le fond du monde. Le ciel, pour moi, c'était cette traînée de pure brillance qui traverse le bleu, cette fusion froide au-delà de toute couleur. Quelquefois, c'était à Vinhlong, quand ma mère était triste, elle faisait atteler le tilbury et on allait dans la campagne voir la nuit de la saison sèche. J'ai eu cette chance, pour ces nuits, cette mère. La lumière tombait du ciel dans des cataractes de pure transparence, dans des trombes de silence et d'immobilité. L'air était bleu, on le prenait dans la main. Bleu. Le ciel était cette palpitation continue de la brillance de la lumière. La nuit éclairait tout, toute la campagne de chaque rive du fleuve jusqu'aux limites de la vue. Chaque nuit était particulière, chacune pouvait être appelée le temps de sa durée. Le son des nuits était celui des chiens de la campagne. Ils hurlaient au mystère. Ils se répondaient de village en village jusqu'à la consommation totale de l'espace et du temps de la nuit.
Dans les allées de la cour les ombres des pommiers canneliers sont d'encre noire. Le jardin est tout entier figé dans une immobilité de marbre. La maison de même, monumentale, funèbre. Et mon petit frère qui marchait auprès de moi et qui maintenant regarde avec insistance vers le portail ouvert sur l'avenue déserte.
[…]

Entre ombre et lumière, les torses de jeunes hommes violents et fragiles à la fois, les paysages bleus aquatiques, l'enfant écrasé sous la chaleur tropicale entrent en conversation avec les mots de la romancière, inscrits sous chaque photographie. Les huiles abstraites de Betty Clavel s'accompagnent elles aussi de citations de Duras. Elles sont comme imprégnées de ses textes.

Performances, conférence et lectures accompagnent l'exposition, conçue par les deux artistes comme une convocation multiforme aux textes de Duras.
La spécialiste de Duras, Joëlle Pagès-Pindon, qui a donné une conférence le 23 mars 2016 à la galerie "Impressions", explique l'écriture de l'auteure, dans son livre paru en 2012 (Ellipse) : "tout commence dans les années vécues en Indochine, de la naissance en 1914 jusqu'au départ définitif survenu en 1933. Paradis perdu, l'enfance indochinoise est la véritable matrice de l'oeuvre : 'tout ce que j'ai vécu après ne sert à rien. Il a raison Stendhal : interminablement l'enfance'", reprend la spécialiste qui a puisé dans un entretien donné par Duras au quotidien français Libération, en 1984.
 

"Duras et elles", du 12 mars au 9 avril 2016
à la galerie Impressions, rue Meslay, Paris (3è arrondissement)
ouverture : le mercredi de 18h à 21h et le  samedi de 14h à 20h

Samedi 9 avril de 15h à 20h, rencontre avec Véronique Durruty
Véronique Durruty et Betty Clavel
La photographe Véronique Durruty et la peintre Betty Clavel, à l'exposition "Duras et elles".
© Séverine Maublanc