Dans l’œil de Maysaloun Hamoud, un regard sur le féminisme palestinien en Israël

Scénariste et réalisatrice, palestinienne d’Israël, Maysaloun Hamoud signe avec son premier long-métrage “ Je danserai si je veux” une oeuvre décalée, mettant en avant une jeunesse palestinienne assoiffée de liberté. Acclamée par la critique, le film a suscité beaucoup de réactions, parfois violentes, et la réalisatrice est à présent visée par une fatwa. Rencontre à l'occasion de la sortie du film en France.
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cinema palestinien
La cinéaste Maysaloun Hamoud lors de son passage à Paris pour la sortie de son premier film "Je danserai si je veux"
(c) Elsa Mourgues
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Veste en cuir, cigarette à la bouche et lunettes noires comme ses cheveux ébène, Maysaloun Hamoud est aussi "underground" qu’authentique. Son premier long-métrage “ Je danserai si je veux” est à son image car c’est sa vie, sa génération et ses combats de trentenaire palestinienne, vivant en Israël, qu’elle porte à l’écran. Le titre original « Bar Bahar »  signifie  "Terre mer'" , une métaphore sur la situation de ces jeunes Palestiniennes qui ne sont acceptées ni dans la société palestinienne et pas vraiment non plus dans la société israélienne mais qui se retrouve entre les deux. Le titre en anglais "In between" fait écho à cet inconfortable entre-deux. Si son film n’est pas autobiographique, il dépeint pourtant avec réalisme la vie, les conflits et les espoirs de nombre de jeunes Palestiniennes. Et au premier rang desquels, le désir de liberté.

Notre réalité est invisible
Maysaloun Hamoud, cinéaste

Ses trois héroïnes partagent un appartement à Tel Aviv et sont aussi différentes qu’attachantes : Leila l’avocate amoureuse qui a toujours une cigarette ou un joint à la main, Salma la DJ homosexuelle dont les parents chrétiens passent leur temps à vouloir lui trouver un mari et Nour, la jeune croyante musulmane qui s’adapte tant bien que mal à la vie déjantée de ses colocataires.

Chacune à leurs manières, elles sont confrontées aux tabous d’une société qui refuse de voir en elles des femmes libres. Libre de choisir son mari, libre d’aimer une femme, libre de fumer une cigarette devant sa belle famille, etc. La liste est longue. Entre alcool, drogue, sexe et religions, Maysaloun Hamoud dresse le portrait exalté d’une génération incomprise qui vit au rythme de fêtes se terminant à l’aube à grand coup de 'ritaline', un stimulant qui s'approche des anphétamines, mais dans un secret bien gardé. “Notre réalité est invisible”, explique la réalisatrice qui compare son univers à celui des années 60 en Occident.

Un cinéma qui sort du conflit israélo-palestinien

Cette réalité, elle la partage avec nombre de Palestiniens de sa génération qui, comme elle, ont déserté les villages de leurs parents - trop traditionalistes - pour se retrouver dans les bars et clubs de Jaffa, Tel Aviv ou Haïfa, les plus festives des villes israéliennes, toutes trois situées en bord de Méditerranée. La réalisatrice, née en 1982 en Hongrie, est issue de la communauté palestinienne restée sur le territoire israélien après la création de l’Etat hébreux et qui représente aujourd’hui plus de 20% de la population israélienne, souvent vue par les autres citoyens et autorités comme “l’ennemi de l’intérieur”.

Si la discrimination dont est victime cette communauté (entre autre sur le fait de parler arabe) est présente dans le film, ce n’est pas pour autant un film sur le conflit israélo-palestinien. “ Le cinéma palestinien ne parle que d’une chose : l’occupation et le conflit. Moi, je voulais parler de notre société” raconte Maysaloun Hamoud,  “ même si tout est connecté bien sûr, mais si nous voulons libérer notre terre, il faudra d’abord libérer nos esprits”.

Je ne connais pas un seul pays au monde où les femmes n’aient pas à souffrir du sexisme
Maysaloun Hamoud, cinéaste

Son oeuvre est donc aussi un acte militant, “parce que nous sommes les deux : nous sommes palestiniennes et nous sommes des femmes”. Une double identité et un double combat en somme. Pour la cinéaste, son film, en forme d'ode à la liberté de la femme, ne se regarde pas uniquement par le prisme du conflit israélo-palestinien - les trois héroïnes sont assez différentes pour que chaque femme puisse se projeter un l’une d’elles : “ je décris la société arabe et ses travers mais je ne connais pas un seul pays au monde où les femmes n’aient pas à souffrir du sexisme.

Je danserai si je veux, héroïnes
Les trois héroïnes de "Je danserai si je veux", trois amies solidaires, partagent un même appartement, sans partager forcément un même vision de leur vie, mais sont exposées toutes trois au sexisme.
(c) production Yaniv Berman

Prendre le risque de provoquer le débat par le cinéma

Produit par le réalisateur et producteur Shlmi Elkabetz (Le procès de Viviane Amselem, entre autres) récompensé dans de nombreux festivals, à Toronto (Canada), Sans Sebastian (Espagne), Haïfa (Israël) ou encore Zagreb (Croatie), “Je danserai si je veux” a valu à sa réalisatrice d’être visée par une Fatwa, lancée par des intégristes religieux, la menaçant de mort. Le film a fait couler beaucoup d’encre à sa sortie en Israël et les autorités d’Umm al-Fahm, un village bastion du "Mouvement islamique en Israël" (dont l'une des branches avait été interdite en 2015), ont même tenté de le faire interdire, décrétant qu’il donne une image négative de la religion et de la société palestinienne. Sans s’attendre à une réaction si violente, la jeune cinéaste était parfaitement consciente “ d’amener une sorte de bombe sur la société palestinienne”.

D’ailleurs, tous ceux qui ont participé au film étaient parfaitement au courant et de potentiels collaborateurs ont même refusé de travailler sur ce sujet délicat. “ Nous étions préparés… nous savions tous que ce film serait quelque chose d’important” décrit la cinéaste avant d’ajouter  “ C’est aussi ce que nous voulions, créer un débat. Parler du sexisme, c’est un premier pas pour faire changer les choses, non ?"