Dans son dernier livre illustré, Lili Sohn nous fait vivre au quotidien son aventure de future maman, de son désir viscéral de faire un bébé jusqu'à son arrivée. Après son combat contre un cancer du sein dans La Guerre des tétons, puis contre les clichés sur l'identité féminine dans Vagin Tonic, la dessinatrice tente de répondre à cette question : "Faire des bébés, c'est vraiment/pas obligatoire ?"
Illustrée à la manière d'un journal intime ou d'un carnet de bord, chaque page est un instantané de vie. Celle d'une jeune femme qui, après avoir traversé et vaincu un cancer du sein, et alors qu'on lui prédisait des risques de stérilité, se réveille un matin avec une envie subite et quasi-inexplicable de faire un bébé.
A la lecture du titre, et surtout du sous-titre, on comprend vite de quoi il s'agit : "Petit précis de déconstruction de l'instinct maternel". Et justement, c'est quoi ce fameux instinct maternel que l'on sert à tout bout de champ à toute jeune femme en âge de procréer ? En sommes-nous toutes détentrices ou bien s'agit-il encore une fois d'une théorie, injonction ou stéréotype perpétué au fil de siècles d'histoire patriarcale ?
Voilà les questions que pose le dernier ouvrage de Lili Sohn. La dessinatrice met son autodérision et son crayon bien taillé au service d'une enquête minutieusement menée, avec une interrogation sous-jacente : peut-on devenir maman, se soumettre à ce "soi-disant" instinct maternel tout en restant féministe ? Un guide drôle, utile, efficace et à contre-courant des clichés et autres idées reçues. Rencontre.
Terriennes : faire des bébés, c'est obligatoire ? Lili Sohn : (rires!) Non, bien sûr que non, ce n'est pas obligatoire ! C'est dur de vraiment comprendre le désir d'enfant. Il y a tellement d'injonctions sociales. Il faut aller voir ce qui se cache dessous. Selon chaque personne, il y a beaucoup de chose, comme le non-désir d'enfant ou encore c'est quoi l'envie de faire famille, d'avoir une progéniture, d'éduquer, il y a plein de notions différentes autour de ce désir d'enfant.
Vous-même, vous vous êtes retrouvée face à ce désir d'enfant ...Moi ça m'est vraiment tombé dessus ! J'ai eu un cancer à 29 ans et j'avoue que je ne me posais pas trop de questions sur la maternité à ce moment-là. Mais lors de mon traitement, on m'a annoncé que cela pouvait me rendre infertile et on a fait congeler mes ovocytes. J'ai pu avoir le choix à ce moment-là.
Et puis une fois guérie, j'ai ressenti une envie viscérale d'avoir un enfant, sans vraiment comprendre. Et quand j'ai commencé à m'interroger sur ce désir, je me suis retrouvée enceinte. Là je me suis sentie piégée. Je m'étais jamais vraiment posée la question avant. Quand je dis piège, c'est que la responsabilité de l'enfant repose vraiment sur la mère dans notre société, clairement ! En plus j'étais en pleine lecture de livres féministes, et c'est vrai que Simone de Beauvoir et toutes les féministes de la seconde vague ne parlent pas vraiment de la maternité ou bien en des termes plutôt négatifs.
Du coup, vous vous êtes penchée sur la notion d'instinct maternel. Il existe vraiment, selon vous ? L'instinct maternel, on en parle tout le temps. On vous dit "si tu sais t'occuper d'un enfant, c'est grâce à l'instinct maternel," etc... En cherchant un peu, je me suis rendue compte qu'il s'agissait d'une pure construction sociale. Qui existe depuis très longtemps, notamment "grâce" à Rousseau, puis tous ses acolytes, pour donner quelque chose à faire à la femme et l'empêcher ainsi de rattraper l'homme, notamment en ce qui concerne l'accès aux études.
Et en même temps, on ne parle pas vraiment d'instinct paternel...Pour moi, il n'y a juste pas d'instinct, mais des envies. Un homme peut avoir envie d'avoir un enfant et de faire famille tout autant qu'une femme. Il doit juste se décomplexer par rapport à ça. S'occuper des enfants, il faut que ce soit valorisé.
Vous racontez dans votre livre que votre grand-mère félicite votre compagnon et père de votre enfant, avec cette phrase "Il a vraiment l'instinct maternel !"Oui, c'est drôle quand même ! Du coup mon conjoint s'occupe d'un enfant comme un adulte s'occupe d'un enfant, mais lui, il est hyper valorisé ! A la crèche, par la famille, on dit de lui "Ah, il est génial", alors qu'on fait exactement la même chose, mais lui, il est vraiment survalorisé !
Qu'est-ce qui vous énerve le plus dans cette injonction à la maternité ? Ce qui m'énerve le plus, c'est vraiment la pression qui pèse sur les femmes arrivées à 30 ans. On leur demande sans cesse "T'as un copain ? T'as pas de copain ? Depêche-toi ! C'est quand que tu fais des enfants ?", c'est comme si, pour être épanouie, il fallait obligatoirement passer par la case maternité, comme s'il n'y avait pas d'autres moyens d'accéder au bonheur. Même si on commence à se détendre un peu aujourd'hui, ça reste une vraie pression. Et même après avoir eu un enfant, comme si mon seul moyen d'être épanouie passait par mon enfant, alors que non, il y en a plein d'autres !
Vous faites parler aussi d'autres femmes ou parents dans votre livre. L'une d'elle, alors qu'elle souffre d'un cancer très rare, fait part de ses craintes au moment de devenir maman.Oui, c'est au moment de son don d'ovocytes, elle se dit : "Et s'il est moche ?" Elle m'a fait beaucoup rire. C'est une amie d'une amie. C'est la seule idée qui lui est passée par la tête, comme si c'était sa seule préoccupation à ce moment-là ! D'une certaine manière, son don d'ovocyte était naturel, et sa seule inquiétude, ne connaissant pas la donneuse, c'était quelle tête aurait son enfant. C'était une manière de dédramatiser tout ça.
Qu'avez vous appris de ces autres témoignages ? Mon questionnement était "qu'est-ce-que faire famille ?" Moi, je savais ce que ça voulait dire pour moi, mais j'avais envie de savoir ce que d'autres en pensaient. J'ai beaucoup appris de ces témoignages, Il y a ce couple où la jeune femme doit aller faire un don d'ovocyte en Espagne. Un couple d'hommes qui fait une GPA aux Etats-Unis. C'est très technique et administratif mais quand on écoute leur histoire aux un.e.s et aux autres, c'est d'abord plein d'amour et puis ce sont surtout des personnes qui ont beaucoup réfléchi à leur parentalité, bien plus que certains couples hétéros, par exemple, ou que deux personnes qui font l'amour une fois après une soirée et qui vont faire un enfant sans vraiment l'avoir voulu. On apprend tellement de choses de ces couples qui ont choisi de devenir parents.