Daria Serenko, militante anti-guerre russe: "la résistance doit être féministe"

Daria Serenko est une poétesse russe, militante pour les droits des femmes et LGBTQ. Co-fondatrice du mouvement Résistance féministe anti-guerre, elle est devenue l'un des visages de l'opposition au régime de Vladimir Poutine, un régime qu'elle juge symptomatique du patriarcat. En exil depuis l'automne dernier en Géorgie, elle est de passage en France pour une série de conférences. Entretien. 
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Daria Serenko
Daria Serenko à la Foire internationale du livre de Moscou, 2019.
©wikipedia
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"La dictature et la guerre sont les manifestations extrêmes de la violence dans les foyers", lance Daria Serenko.

Exilée en Géorgie et menacée pour son engagement féministe et LGBTQ, Daria Serenko est entrée tôt en militance. Riant, elle se souvient avoir écrit "Poutine est un idiot" sur le bitume à six ans, et s'est véritablement engagée en 2014, après l'annexion de la Crimée.

Libérée de prison en 2022, à la veille de l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes, elle a immédiatement co-fondé le mouvement de Résistance féministe antiguerre (Feministskoïe antivoïennoïe soprotivlenié, FAS). L'organisation, présente en Russie et dans une vingtaine d'autres pays, mène diverses actions, de l'affichage de portraits d'Ukrainiens tués à des levées de fond pour aider l'Ukraine, ou des campagnes d'exfiltration d'Ukrainiens déportés en Russie.

"La guerre commence à la maison"

En visite à Toulouse, Daria Serenko répond aux questions de l'AFP

Quel rôle jouent les femmes dans l'opposition au régime?

Daria Serenko : Les dernières manifestations ont été réalisées par des femmes. Il y a bien sûr en Russie des figures de proue d'opposition comme (Alexeï) Navalny, mais elles sont en prison. Donc sur le terrain, ce sont souvent des femmes qui se mobilisent. Le visage de l'opposition est maintenant un visage de femme. C'est aussi lié au fait qu'un homme, s'il est arrêté lors d'une manifestation, peut être immédiatement mobilisé et envoyé au front.
 

Il sera important d'intégrer cette composante féminine dans le post-conflit parce qu'il est démontré que les accords de paix qui intègrent les femmes durent plus longtemps.
Daria Serenko

Au FAS, nous sommes pour la plupart des femmes de moins de 35 ans, présentes dans au moins 120 villes ou villages russes (...) Il y a d'autres groupes de femmes qui s'opposent à la guerre, plus anciens ou qui ne s'affichent pas comme féministes, tels des groupes d'épouses et de mères de mobilisés qui sont pour le retrait des troupes d'Ukraine.

Il sera important d'intégrer cette composante féminine dans le post-conflit parce qu'il est démontré que les accords de paix qui intègrent les femmes durent plus longtemps. Si on ne change rien, on pourrait voir réapparaitre un nouveau Poutine.

Revoir Daria Serenko invitée du 64' sur TV5monde, le 26 octobre 2022 ►

La pression liée à la guerre a aussi un impact sur les droits reproductifs des femmes.
Daria Serenko

Selon vous, cette résistance doit être féministe, pourquoi ? 

D.S : Dans notre organisation, nous avons un slogan qui dit: "la guerre commence à la maison": il y a un lien entre violences conjugales et guerre, entre violences domestiques et agression d'un autre pays. Ce qui se passe à la maison s'exporte ailleurs.

La pression liée à la guerre a aussi un impact sur les droits reproductifs des femmes. Le gouvernement voit sa population comme une ressource qui diminue. Il a donc restreint l'accès à l'avortement et souhaite obliger les femmes à avoir plus d'enfants, l'idée étant de mettre au monde de futurs défenseurs de la patrie, alors que notre État n'est pas le défenseur de quoi que ce soit, mais plutôt l'agresseur. Il y a même eu une publicité anti-avortement dans laquelle on voyait un embryon qui disait: "Sauve moi aujourd'hui et je te défendrai des fascistes demain". C'est la militarisation de l'utérus! 

Cela a aussi un impact (...) sur les personnes LGBT car le gouvernement diffuse le message comme quoi la guerre est en train d'être perdue à cause d'elles, que le peuple russe se meurt à cause d'eux. C'est un discours tout à fait fasciste.

Pensez-vous réussir à faire basculer l'opinion russe et mettre fin à la guerre ?

D.S : Non car les mouvements anti-guerre ne mettent pas fin aux guerres. Ce n'est pas un mouvement anti-guerre qui a arrêté la guerre du Vietnam, la guerre d'Algérie non plus. Mais il peut contribuer (...) généralement les guerres prennent fin lorsque les ressources s'épuisent chez l'une des deux parties belligérantes. Donc ce que peut faire notre mouvement, c'est contribuer à l'épuisement des ressources de notre État.
Il y a plusieurs moyens pour cela, certains clandestins et radicaux comme faire fuiter des informations, endommager des installations telles des dépôts ou des voies de chemin de fer sur lesquelles transitent les convois militaires. Pour Poutine, les personnes sont des ressources, donc il faut aussi tout faire pour qu'un minimum de Russes arrivent sur le théâtre de guerre.