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Une manifestante féministe participe à une marche à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes à Madrid, Espagne, mercredi 8 mars 2023.
La militante féministe espagnole, Clara Serra, publie La doctrine du consentement aux éditions La Fabrique. Une invitation à penser le consentement à la lumière du droit et de la philosophie pour se saisir de façon éclairée d’un débat qui ne peut qu’être teinté de toutes les nuances de gris. Disons-nous oui en toute liberté ?
Dans l’imaginaire patriarcal, les femmes comme il faut se refusent à l’autre, entretiennent le mystère et elles n’initient pas l’acte sexuel. Suivant ce raisonnement, un « non » peut vouloir dire « oui ». Il suffit de les convaincre, de les amadouer ou de les forcer. Car les rapports entre les femmes et les hommes sont des rapports entre conquéreur et conquise. Et de toute façon, qui sait vraiment ce que veulent les femmes ?
Historiquement, le non des femmes n'a pas été valable. Clara Serra, écrivaine espagnole
C’est ce que le féminisme dénonce quand il parle de « culture de viol ». « Pour moi, il s'agit d'une culture où le sexe et le viol deviennent indiscernables en raison des normes culturelles, c'est-à-dire, en raison de la tâche même qui est confiée aux hommes dans la séduction et des obligations qui sont imposées aux femmes, qui se doivent d’être passives », explique l’essayiste et philosophe Clara Serra. « Historiquement, le non des femmes n'a pas été valable », ajoute-t-elle.
C’est cette même culture qui se trouve au cœur du viol conjugal si longtemps toléré au nom du « devoir ». « Si notre culture tolère cela, alors comment la loi peut-elle faire la distinction entre le sexe et la violence ? C’est là l’énorme problème auquel nous sommes confrontés », souligne l’autrice.
La doctrine du consentement, Editions La Fabrique 13 euros.
Si la solution à ce problème est loin d’être simple, la révolution sexuelle et les conquêtes féministes au fil des siècles rendent peu à peu aux femmes le pouvoir du « non » au-delà du cadre intime et de « l’atteinte à l’honnêteté ». Ce n’est pas un « non » pudique, mais un « non » qui reconnaît la femme comme un être de volonté ; un individu qui n’est pas seulement la propriété d’un père ou d’un mari : « La liberté sexuelle en tant que paradigme juridique est apparue aux 19e et 20e siècles. En principe, les relations sexuelles doivent être volontaires et le contraire relève de la contrainte ». Cela étant dit, de nombreuses juridictions dans le monde conservent cette « atteinte à l’honnêteté ».
La bataille féministe a consisté à dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à une force extrême, qu'il n'est même pas nécessaire d'avoir recours à la force pour que nous soyons dans le domaine de l'offense sexuelle. Clara Serra
Sans parfois le nommer et avec toutes les défaillances que l’on connaît, le concept de consentement se fraye un chemin. Ce sont les féministes de la fin du 20ème siècle, comme Judith Butler, pour n’en citer qu’une, qui militent pour que les lois prennent réellement en compte le refus. Clara Serra rappelle que le slogan « non c’est non » porté par ce courant « était une revendication de cohérence avec l'importance de la volonté. Et justement pour lutter contre cette culture du viol où ce non n'en est jamais vraiment un ».
Dans les affaires de viol, il s’agit donc de prouver que la victime a exprimé son refus, qu’elle a été contrainte. Plus facile à dire qu’à faire, d’autant plus quand la police -qui recueille les témoignages- et les juges sont souvent encore embourbés dans des préjugés machistes. Subsiste encore l’image du viol dans un parking sombre avec une victime qui se débat. « L’extrême violence a longtemps défini juridiquement le viol dans ce paradigme. La bataille féministe a consisté à dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à une force extrême, qu'il n'est même pas nécessaire d'avoir recours à la force pour que nous soyons dans le domaine de l'offense sexuelle. » Une conquête de taille.
La militante féministe espagnole, Clara Serra, lors de notre rencontre en février 2025.
C’est précisément ce qui a été au cœur de deux affaires qui ont marqué un avant et un après : l’affaire de « La Manada » ( la meute) en Espagne et bien sûr l’affaire Pelicot, en France. Pour Clara Serra c’est le consentement dit « négatif » qui a permis d’obtenir justice.
En 2016, une jeune fille est violée par cinq hommes lors des fêtes de Pampelune dans le hall d’un immeuble, ils avaient tout filmé et ont été rapidement inculpés pour viol. Mais en 2018, le tribunal de Pampelune décide de ne pas retenir la qualification d’“agression sexuelle”, qui recouvrait aussi le viol en Espagne, pour ne retenir que celle d’“abus sexuel”, estimant qu’il n’y avait pas eu violence ou intimidation, deux critères alors essentiels pour qualifier un viol. La jeune fille serait arrivée sans avoir recours à la force dans le hall d’immeuble où elle a été violée.
Cette décision provoque alors une indignation très forte dans le pays, notamment des mouvements féministes, et entraîne de fortes mobilisations. Clara Serra est descendue dans la rue quand un des juges a déclaré que ce n’était qu’une « fête ». Finalement, la Cour Suprême espagnole requalifie l’affaire en viol en 2019, et les cinq hommes écopent de 15 ans de prison. Pour l’autrice, c’est le contexte qui a permis de requalifier l’affaire car cette jeune fille était dans l’impossibilité de dire non. « Il faut donc que les lois examinent s'il y a une menace, s'il y a une coercition, s'il y a une peur, s'il y a une intimidation, s'il y a une relation de pouvoir. Pourquoi ? Parce que tous ces éléments empêchent la possibilité d'un consentement libre », rappelle-t-elle.
Sur cette photo d'archives du lundi 4 novembre 2019, une femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire : « Seul le oui est oui », alors que des personnes se rassemblent sur la place Plaza del Castillo à Pampelune, dans le nord de l'Espagne, pour une manifestation contre les agressions sexuelles. Le gouvernement espagnol a approuvé mardi 6 juillet 2021 une loi sur le consentement sexuel qui vise à réprimer la violence et le harcèlement sexuels en codifiant les délits et en adoptant de nouvelles sanctions.
Jusqu’ici ce n’est pas simple, mais pour l’essayiste c’est une voie légale - toujours perfectible - qui prend en compte de multiples facteurs et qui ne doit pas être rayée d’un trait. Trois ans après, la loi connue comme « seul un oui est un oui » fait du consentement l’élément constitutif du viol. Si cette loi a dû être modifiée en raison de failles juridiques, elle a été à maintes reprises évoquée lors du procès Pelicot, car la loi française ne serait pas assez explicite. C’est donc devenu l’affaire du « consentement » soulevant le débat sur l’opportunité de réécrire l’article 222-23 du code pénal français, selon lequel « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».
N'importe quel juriste vous dira qu'évidemment, ce que l'on cherche à prouver, c'est si une personne a été contrainte ou forcée contre son gré. Quel autre principe pourrait être à l'œuvre ? Clara Serra
Pour la chercheuse au Centre de recherche "Théorie, genre, sexualité" de l'université de Barcelone, il est évident que la loi française prenait déjà en compte le consentement. Certes, le mot n’apparait pas en tant que tel « mais n'importe quel juriste vous dira qu'évidemment, ce que l'on cherche à prouver, c'est si une personne a été contrainte ou forcée contre son gré. Quel autre principe pourrait être à l'œuvre ? » Par rapport aux autres pays européennes, la France a très tôt cessé « de légiférer sur le crime sexuel comme un crime contre la morale publique, l'honnêteté, les coutumes, les mœurs, c'est-à-dire un crime public contre l'ordre moral, les coutumes pour l’identifier comme un crime contre la personne ».
Dans ces affaires, qui ont secoué les deux pays voisins « c’est parce qu’on a identifié que la volonté de l’individu a été annulée qu’on a pu condamner les coupables ». Dans l’affaire de « La Manada » c’est l’intimidation qui a été invoquée. Même si la victime avait dit oui sous la contrainte, le juge aurait pu déterminer qu’il s’agissait bien d’un viol. Dans l’affaire de Mazan, c’est la soumission chimique annulant la volonté de Gisèle Pelicot qui a permis de déterminer qu’elle avait été violée, même si les auteurs du crime prétendaient qu’elle avait donnait son accord à son mari.
Le procès des viols de Mazan vu d'Espagne
Autrement dit, le droit identifie la volonté et le consentement comme des synonymes. Pour dire qu'une relation doit être consensuelle, il faut qu'elle soit volontaire. « Comment ne pas être d'accord avec cela ? Maintenant, quelle est la meilleure façon de prouver légalement que quelque chose est volontaire ? Telle est la question. Il s'agit plutôt de savoir comment prouver que quelqu'un est consentant. Comment pouvons-nous être sûrs que quelqu'un a consenti ? Comment est-on sûr que quelqu'un fait quelque chose de plein gré ? C'est une question complexe ». A cette vision s’oppose le « consentement affirmatif », né dans les campus étatsuniens à la fin du XXè siècle pour arriver très vite au niveau législatif et s’imposer de plus en plus comme la seule voie.
Des manifestantes dans les rue de Paris lors de la journée du 25 novembre 2024, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans son essai, Clara Serra soulève les questions que pose cette doctrine qui serait devenue « le mantra des politiques sexuelles ». Le « seul un oui est un oui » exige le consentement explicite ou implicite du ou de la partenaire pour toute relation sexuelle. Ses partisans craignent que la variante du refus ne tienne pas suffisamment compte des cas de sidération, soit lorsque la victime, tétanisée, n’arrive pas à dire non à son agresseur. Pour la philosophe, nous avons basculé dans ce consentement positif qui en théorie est très libérateur car, selon la définition, « le consentement positif est une décision consciente, volontaire et mutuelle de tous les participants de s’engager dans une activité sexuelle ».
Le consentement peut être donné par des paroles ou des actes, à condition que ces paroles ou ces actes créent une autorisation claire concernant la volonté de s’engager dans l’activité sexuelle ». Cette approche promet un cadre d’analyse plus clair pour ceux qui appliquent les lois et des rapports intimes plus épanouissants. Mais que se passe-t-il si un oui est prononcé dans le cadre d’une relation asymétrique ? Est-il possible de dire non ?
« Le consentement affirmatif présuppose que nos désirs sont parfaitement clairs et sans ambivalence ; or, on peut tout à fait admettre que la sexualité est conflictuelle et embrumée, sans rien sacrifier de la distinction entre un acte consenti et un acte contraint », précise son éditeur en ajoutant qu’il faut s’intéresser aux conditions sociales, économiques, culturelles qui permettent aux unes et aux autres de pouvoir dire non ou de dire oui en toute liberté.
Selon la définition, « le consentement positif est une décision consciente, volontaire et mutuelle de tous les participants de s’engager dans une activité sexuelle ».
Car dès qu’on sort des tribunaux, de la violence extrême, et qu’on entre dans l’intimité, le consentement « affirmatif » se heurte à la complexité des relations humaines et du désir : « Ce n'est pas un problème que le consentement résout. Je pense que toute mère qui élève une fille aujourd'hui sait que toutes les femmes ont fait l'expérience d'avoir dit oui ou d'avoir accepté des choses que nous n'avions pas envie de faire et que grandir, c'est aussi comprendre que l'on peut dire non ou que l'on n'est pas obligé de faire quelque chose que l'on n'a pas envie de faire et qu’on peut dire non à tout moment d’un rapport. Le problème, c'est que l'on consent même à des choses que l'on ne veut pas vraiment et nous ne voulons pas que cela se produise, n'est-ce pas ? J'ai dit oui, mais un oui très explicite et très verbal, parfois à des choses que je ne voulais pas faire. Le fait d'insister sur le consentement ne résout donc pas non plus le problème. En d'autres termes, il s'agit d'un problème de relations sociales ». Un problème qui relève fondamentalement de la question de la liberté. En tant que femmes, nos « oui » sont-ils toujours libérés de toute contrainte ?
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D’autant plus que du « consentement positif » on glisse assez vite vers le consentement « enthousiaste » qui serait devenu la clé de relations sexuelles fabuleuses. « Nous sommes en train de confondre consentement et désir. Nous devons nous rendre compte de ce que cette confusion veut dire. Le consentement est un contrat entre deux personnes, le désir est autre chose. Ainsi, selon moi, ce qui se passe est une transformation sémantique de la signification du consentement, qui se référait auparavant à l'acceptation volontaire de quelque chose en droit, désormais, le mot glisse vers l’intime pour s’immiscer dans une définition du bon sexe ». Pour Clara Serra, l’inscrire dans les lois ne résout pas « comme par magie » la problématique initiale de la violence et on est une nouvelle fois dans le domaine de la régulation de l’intimité.
Si l'État commence à vous dire ce qu'il est bon de faire en matière de sexe, nous avons un problème. Clara Serra
« Et c'est pourquoi je dis que le mot est volonté, c'est-à-dire qu'il a toujours été question de volonté, et qu'il subit maintenant une sorte de transformation vers le désidératif, vers le désirant, vers l'intérieur, vers ce que le sujet ressent dans son intimité, qui n'a jamais été le sujet de la loi. C'est donc cette transformation du sens même du consentement qu'il faut mettre en lumière », ajoute-t-elle. Ce consentement enthousiaste promu jusqu’au plus grandes organisations internationales, laisse entendre qu’avant le « seul un oui est un oui » le consentement n’existait pas, selon l’autrice. Si les lois sont toujours perfectibles et il est toujours bon qu’elles soient le plus explicites possibles, cette approche laisse entendre que seul le « punitivisme à l’œuvre en ce 21ème siècle est socialement transformateur ».
Autrement dit, seul le droit pénal viendrait dicter nos comportements. Alors « qu’il doit rester de la place pour l’éducation, pour l’éthique pour définir les rapports sexuels ou non mais dans un espace indépendant. L'État ne vous dit pas ce qu'il est bon de faire, il vous dit ce qui est interdit. Si l'État commence à vous dire ce qu'il est bon de faire en matière de sexe, nous avons un problème. Mais je ne veux pas dire que les féministes ne doivent pas réfléchir à ce qu'est le meilleur sexe. Je dis simplement que nous ne devons pas le par l'intermédiaire de l'État ».
Avec son essai, cette ex-députée Podemos à l'Assemblée de Madrid est consciente d’être à contre-courant car comment aller à l’encontre d’un mouvement « positif » ? Elle se dit néammoins « satisfaite » d’ouvrir un débat post #metoo qui tient fondamentalement à une réflexion sur la liberté individuelle des femmes.
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