De Montréal en Haïti, lutter pour qu'un peuple reprenne les rênes de son destin

Dans ces chroniques,vous rencontrerez des femmes exceptionnelles, en particulier dans la sphère professionnelle, comme Michaëlle Jean, l’envoyée spéciale de l’Unesco pour Haïti. Elle nous parle du travail qu'il reste encore et encore à accomplir sur place.
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De Montréal en Haïti, lutter pour qu'un peuple reprenne les rênes de son destin
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Elle arrive, en tailleur rouge coquelicot, collier des femmes de Gorée au cou, chaussures de neige encore aux pieds. Ce n’est pas à Montréal qu’elle débarque, mais à Paris, où elle est passée au siège de l’Unesco, dont elle est l’envoyée spéciale pour Haïti. Haïti, elle en revient. Elle y est née. Mais c’est au Québec qu’elle a grandi. C’est du français québécois qu’elle a emprunté certaines expressions qui émaillent aujourd’hui son vocabulaire. « Ce qui m’est spontanément venu en tête pour exprimer mon sentiment sur la situation constatée sur place, à Port au Prince, c’est : y en a pas de facile », dit-elle en riant. « Y’en a pas de facile », prononcé en appuyant sur le « i », signifie : «les choses ne vont pas être simples »… TOUT RESTE A FAIRE Tout le monde le sait, tout reste à faire sur l’île. Mais c’est surtout sur l’éducation, l’art, les femmes, la prévention de la délinquance et de la violence, que l’ancienne gouverneur général du Canada veut travailler. Unesco oblige, mais pas seulement. L’art la passionne, et en particulier les œuvres inuits. « J’y vois de nombreuses correspondances avec l’art d’Haïti », explique-t-elle. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’elle est « tombée en amour », il y a déjà longtemps, du grand nord canadien. « Nous avons 40 ans de retard par rapport aux autres pays de cercle polaire : il n’y a pas d’université chez nous dans le Nunavut », se lamente-t-elle. Dans les autres pays de la région polaire, il existe en effet de vraies universités, fréquentées par des étudiants locaux, mais aussi des étrangers, et jusqu’à des Africains. Au Canada, c’est un simple centre de recherche qui a été lancé, et « il profite surtout aux entreprises du sud », dit-elle. Autrement dit, la région de Toronto et le Québec. LES ÉLITES SONT LÀ Mais revenons à Haïti, où les ONG fourmillent, dans l’anarchie générale. Comment faire pour mettre un peu d’ordre et offrir une meilleure efficacité aux multiples initiatives ? Sa solution est de faire plus appel à la population locale. Afin qu’elle prenne en mains son destin, au lieu d’être portraiturée, encore et toujours, comme « victime ». « Ces histoires de malédiction, du tremblement de terre aux ouragans en passant pour la médiocrité du personnel politique, m’énervent au plus haut point », dit-elle. Car il existe des élites haïtiennes, bien formées et capables de travailler à la refonte du pays et à son développement économique, politique et démocratique. Certaines sont certes parties à l’étranger, au Québec, en France, aux Etats-Unis. Mais d’autres sont sur place. Et elles pourraient apporter leur savoir faire, leur connaissance du terrain, de l’esprit haïtien, fait certes de résilience, mais aussi d’enthousiasme et de créativité, afin d’aider ceux qui souhaitent, précisément, les aider. Au point que certaines mesures, en particulier en ce qui concerne la lutte contre la délinquance et la violence, à base de participation artistique, pourraient même être adoptées ailleurs qu’à Haïti. Pour l’heure, cependant, c’est l’inverse qui se produit. Les ONG appliquent des recettes éprouvées sur d’autres théâtres dans le monde, mais passablement éthnocentristes, tranche Michaëlle Jean.

Lysiane J.Baudu

Lysiane J.Baudu
Ancienne grand reporter à La Tribune, Lysiane J. Baudu a rencontré, pendant ses 20 ans de journalisme international, des femmes du monde entier.
Ces "rencontres" feront l'objet de billets, qui lui permettront de faire partager ses impressions, ses analyses, son ressenti au contact de ces femmes, dont l'action professionnelle fait sens pour toutes les autres, de même que pour la société.