De quoi les études sur l'inégalité entre les sexes sont-elles le nom

A l'heure du Women's Forum de Deauville, chaque année, les études fleurissent sur le sujet "qu'est-ce qu'être femme" ou encore sur "les inégalités entre filles et garçons, femmes et hommes". L'édition 2014, du 15 au 17 octobre, la 10ème, n'échappe pas à cet afflux, et le ton semble à l'optimisme. En dix ans, des pas de géant auraient été accomplis. Mais l'on peut s'interroger sur la pertinence de certains résultats. Et apprendre à lire entre les lignes...
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De quoi les études sur l'inégalité entre les sexes sont-elles le nom
Dans une école pakistanaise. Les parents sont très réticents à l’idée d’envoyer leurs filles à l’école, à cause des traditions et de la culture.A. MAJEED / AFP
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Comment mesurer l'état du monde en matière d'inégalités entre les sexes, de scolarisation des filles, en Afghanistan ou en France, au Mexique, ou au Libéria ? Est-ce seulement possible à l'aune de la différence entre les régions, les pays, les sociétés ? Quel crédit accorder aux études ainsi menées ?

Diligentée par ONU Femmes et la société de conseil Mazars, "Bienvenue sur la planète femmes", une enquête conduite  à travers 108 pays annonce que 79% des femmes aujourd'hui "choisissent leur métier". Tandis que le Boston consulting group (BCG), qui a mené ses investigations avec le Women's Forum et l'OCDE, conclut dans son rapport "Inégalités hommes-femmes dans l'éducation, l'emploi et la santé, que peut-on faire en une décennie ?" qu'au cours des dix dernières années, en primaire (6 à 11 ans), le monde s'est rapproché d'un objectif de scolarisation universelle : 91% en moyenne, à comparer avec 86% il y a dix ans. Et l'"indice de parité" est passé de 95 filles pour 100 garçons scolarisés, à 98 filles scolarisées.

Mais il ne faut pas se réjouir trop vite. Si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit, que ces recherches sont ou bien menées principalement auprès de femmes ayant un bon niveau d'éducation, ou bien que certains pays sont difficilement accessibles en termes de statistiques, ou bien encore que les échantillons sont trop peu conséquents pour que l'on se félicite d'avancées tonitruantes des droits des femmes.

Revue de détail…

De quoi les études sur l'inégalité entre les sexes sont-elles le nom
Selon l'Unicef qui tente de mener la scolarisation des filles partout, sur 57 millions d'enfants qui ne vont pas à l'école primaire, 31 millions sont des filles - Photo AFP
Les initiateurs de "Bienvenue sur la planète femmes" ont voulu mesurer les changements de la place des femmes dans le monde. Et de la perception qu'elles ont de ces changements réels ou espérés. Pour ce faire, 2382 femmes, réparties en trois générations et issues de 108 pays, ont été interrogées. Elles sont appelées Génération W, X et Y selon leurs âges. Quelques résultats frappent d'emblée : 79% d'entre elles estiment qu'elles peuvent choisir leur métier ; 72% se revendiquent féministes ; 63% considèrent que la maternité est un frein à leur carrière.

Dans un premier temps, on a envie de crier Hourrah ! Et puis, on regarde les images du monde, ces filles, adolescentes ou femmes interdites d'écoles dans certains pays d'Asie centrale, obligées de travailler dans des champs qui ne leur appartiennent pas en Afrique, ouvrières du textile au Bangladesh, domestiques réduites en esclavage en Asie du Sud Est ou au Moyen Orient, prostituées en Europe ou en Amérique, etc, etc... Celles-là diraient-elles qu'elles ont choisi leur métier ? Savent-elles seulement ce qu'est le féminisme ? Imaginent-elles seulement qu'elles pourraient être autre chose que fille-épouse-mère ?

Nous avons donc demandé à la société Mazars de préciser leur démarche et leur méthodologie.

Terriennes : Dans quelles catégories sociales et économiques les femmes ont-elles été interrogées ?
Marzars : Les femmes interrogées font parties de différentes catégories économiques et sociales : salariées, femmes au foyer, profession libérale, fonctionnaire, agricultrices, créatrice d’entreprise etc. Nous avons fait le choix de ne pas profiler les réponses en fonction de ces catégories car le taux de répondantes/catégorie n’était pas homogène.
Ce sont lesCSP+ qui sont les plus représentées. (Selon le dictionnaire du marketing : Les CSP+ catégorie socio-professionnelle + regroupent les chefs d’entreprises, les artisans et commerçants, les cadres, les professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires. Les CSP+ sont une cible privilégiée des actions marketing à cause du pouvoir d’achat et des modes de consommation de ses composantes. Les supports publicitaires touchant spécifiquement les CSP+ peuvent notamment pratiquer des tarifs plus élevés que la moyenne. Les CSP+ représentent environ 23% de la population. ndlr)

T - S'agissait-il de plusieurs générations au sein de mêmes familles ?
M - Non, plusieurs générations mais pas forcément de la même famille.

T - Quel était le niveau d'éducation des personnes interrogées ?
M - Tous les niveaux.

T - 79% disent qu'elles ont la possibilité de choisir leur métier, comment expliquer ce chiffre dans la mesure où les femmes constituent la majorité des humains pauvres et peu éduqués, comment expliquer ce chiffre ?
M - Parce que la catégorie CSP/CSP¨+ est plus fortement représentée dans le cadre de l’étude.


T - Combien de femmes par pays ont été interrogées ? Y en a-t-il plus dans certains que dans d'autres ? 2382 femmes pour 108 Etats, cela fait moins de vingt par pays…
M - Le taux de répondantes par pays n’est pas équivalent d’un pays à l’autre. De la même façon, il n’y a pas le même nombre de pays interrogés par zone (voir méthode à la fin de l’enquête). Cela confirme que cette enquête n’a pas de vocation scientifique et ne s’affiche pas comme telle. C’est juste une prise de température qui met en avant des tendances. Une étude scientifique poussée et précise sur ces question nécessiterait effectivement des échantillons homogènes et représentatifs.

T - Est-il possible d'avoir plus d'éléments sur les conditions et la durée de l'enquête elle-même ?
M - Nous avons réalisé cette enquête en interne, chez Mazars avec le soutien de l’ONU Femmes à toutes les étapes (construction du questionnaire en ligne, administration, synthèse, analyse, rédaction de l’’étude FR/ENG)
L’administration du questionnaire s’est faite en ligne (via nos relais dans les pays °+ les éseaux sociaux) pendant près d’un mois et demie
Cela a été complété par des entretiens plus qualitatif mené par Muriel de Saint Sauveur grâce à un guide d’entretien qui a été bâti en interne également.


Femmes aisées et éduquées

Ainsi donc il aurait sans doute mieux valu intituler ce travail "Bienvenue sur la planète des femmes aisées et éduquées"... A l'aune de cette perspective, les conclusions auraient été plus intéressantes à déchiffrer. On comprend mieux que pour la plupart, les droits de vote, de travail ou de conduire leur semblent acquis. Tandis que l'égalité salariale, le partage des tâches domestiques restent à conquérir, ou encore qu'il faut être particulièrement vigilants sur le droit de disposer de son corps.

Une fois établie la démarche et les critères de sélection, il est fort intéressant de découvrir les définitions du féminisme des trois générations rencontrées. Pour les W, nées entre 1945 et 1960, le féminisme est d'abord un "combat". Pour les X, nées entre 1961 et 1980, c'est un "mouvement". Et pour les Y, nées entre 1981 et 1995, c'est une "philosophie", tout en restant un combat et un mouvement.

Ecoutons Nandita, 73 ans, Indienne de la génération W : « Ma mère a obtenu le respect de sa famille mais pas de la société. Aujourd’hui ma petite fille exige le respect de la société, et l’obtiendra sûrement. Les Indiennes ne se sont jamais battues pour leurs droits, elles les ont obtenus grâce aux Anglais dans les années 1920. » (Et pourtant les féministes en Inde, telles que les écrivaines Kamala Das ou Kishwar Desai sont souvent remarquables...)
 
Tandis que Kala, citoyenne du même pays, 20 ans, génération Y donc, regarde le chemin qu'il reste à parcourir : « Le sentiment que nous puissions être les seules actrices de notre vie est encore nouveau et peu répandu. Il reste encore beaucoup à faire pour institutionnaliser la notion d’égalité entre Homme et Femme. »

De quoi les études sur l'inégalité entre les sexes sont-elles le nom
Des étudiantes, lors de la remise des diplômes, au Barnard College de New York, le 14 mai 2012. | AFP/TIMOTHY A. CLARY
La deuxième photographie mondiale est proposée par le Boston consulting group (BCG)en partenariat avec le Women's forum, avec le soutien de l'OCDE, dans 75 pays (sur un peu plus de 200 dans le monde, ce qui déjà relativise les résultats...). Y est dressé "le bilan de l’évolution de la place des femmes au cours des 10 dernières années sur quatre aspects clés : l’éducation, l’emploi, l’entrepreneuriat et la santé". Selon leurs calculs, en dix ans, les inégalités hommes-femmes en matière d'accès à l'éducation se seraient réduites : "en primaire (6 à 11 ans), le monde se rapproche d'un objectif de scolarisation universelle, sauf dans une dizaine de pays : 91% en moyenne à comparer à 86% il y a dix ans. L'indice de parité est passé de 0.95 en 2000 à 0.98 en 2010 (98 filles pour 100 garçons). De fait, les filles ont largement bénéficié de l'augmentation forte du taux de scolarisation, puisque deux tiers des 47 millions de « nouveaux enfants » scolarisés (hors impact démographique) sont des filles. D'importants progrès restent à faire dans le secondaire : d'après des statistiques plus compliquées à fiabiliser, 78% seulement des enfants entre 11 et 16 ans vont à l'école (contre 71% 10 ans auparavant), et moins de 40% dans quelques régions. Les filles y sont également moins scolarisées que les garçons avec un indice de parité de 0.96."

De quoi l'indice de parité est-il le nom ?

Ce qui est difficile à comprendre ici c'est l'indice de parité. Cette mesure est ainsi définie par l'Unesco : "l’Indice de parité entre les sexes (IPS) est une mesure utilisée pour évaluer les différences entre les sexes des indicateurs de l’éducation. Il se définit comme la valeur d’un indicateur donné pour les filles divisé par celui des garçons. Une valeur d’IPS de 1 signifie qu’il n’y a aucune différence entre les indicateurs des filles et des garçons, qu’ils sont donc parfaitement égaux." Mais cela suppose des données très fiables, or celles-ci dépendent du bon vouloir des autorités locales. Qui peuvent avoir tendance à les bidonner. Et bien entendu de nombreuses zones échappent encore à toute comptabilité...

Rappelons cette estimation de l'Uncief : sur 57 millions d'enfants qui ne vont pas à l'école primaire, 31 millions sont des filles, soit plus des deux tiers. De quoi relativiser les espoirs de parité parfaite ou la scolarisation universelle au féminin qui seraient en passe d'être atteintes...

Les auteurs de cette étude semblent conscients de leurs imperfections : d'importants progrès restent à faire dans le secondaire: seuls 78% des enfants entre 12 et 16 ans vont à l'école et les filles y sont un peu moins présentes que les garçons (96 pour 100, selon le fameux indice de parité).

Un optimisme tempéré par la crise
                 
Au delà de l'éducation, ont été analysés les progrès en matière d'emploi, d'entrepreneuriat et de santé. "Les progrès en matière d'écart entre hommes et femmes dans l'emploi sont notables mais ils ont été ralentis par la crise. La part des femmes dans la population active est passée de 54% en 2000 à 57% en 2012. Elle a toutefois baissé dans trois pays (en Inde, passant de 36% à 30%, en Chine, passant de 77% à 70% et aux Etats-Unis, passant de 70% à 67%)." Inde, Etats-Unis et Chine doivent totaliser à eux trois près de la moitié de la population du monde, ce qui n'est pas rien. Et "comme il y a dix ans, le monde des systèmes d'information et de la technologie reste un monde d'hommes".
                 
Le nombre des femmes entrepreneures aurait progressé : en 2011, 41% des travailleurs indépendants, avec ou sans salarié, étaient des femmes, contre 35% en 2004. "Si des mesures encourageant l'entrepreneuriat féminin étaient mises en place, le nombre de femmes entrepreneurs pourrait s'accroître de 53 millions d'ici à 2025, générant ainsi 28 millions d'emplois dans le monde", affirme Agnès Audier, directrice associée au BCG à Paris.

Quant à la santé, difficile de se faire une idée par rapport au genre, tant les outils manquent, même si l'on sait que la longévité des femmes dépasse celle des hommes : "en première analyse, il n'y a pas d'inégalités majeures en santé, sauf quelques sujets spécifiques comme l'accès aux trithérapies dans les pays pauvres. En seconde analyse, la situation est un peu plus complexe. En effet, même dans les pays développés, des inégalités hommes-femmes existent dans la santé, presqu'insidieusement : les différences de morphologies et de styles de vie entre hommes et femmes ont semble-t-il été sous-estimés. Alors que la recherche en matière de maladies cardiovasculaires s'est concentrée par le passé sur les hommes, ce sont aujourd'hui les femmes qui en meurent le plus."

On avance, mais parfois on recule, bref il reste du boulot...

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