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Cette année, pour la première fois, toutes les entreprises françaises de plus de 50 salarié.es doivent avoir publié leur "index égalité femmes-hommes" au 1er mars. A quoi cet index fait-il référence exactement ? Quelles en sont les failles ? En quoi cet outil peut-il servir de révélateur des inégalités ? Entretien avec Olivier Picquerey, spécialiste de droit du travail.
Depuis que la Constitution de 1946 établit l’égalité femmes-hommes dans tous les domaines, l'arsenal juridique garantissant aux femmes les mêmes droits que les hommes sur le marché du travail n'a cessé de s'étoffer. Pourtant, la situation des femmes dans le milieu professionnel reste plus précaire que celles de leurs collègues masculins.
En mai 2018, le gouvernement d'Emmanuel Macron, qui avait déclaré l'égalité femmes-hommes "grande cause nationale du quinquenat", a présenté un plan d’action contre les inégalités dans les entreprises. Dorénavant, les sociétés de plus de 50 salarié.es ont une obligation de résultats, et non plus seulement une obligation de moyens, pour garantir l'égalité entre leurs salarié.es. Leurs résultats sont évalués selon un “index d’égalité femmes-hommes” que, tous les ans, les entreprises doivent calculer, transmettre à l'inspection du travail et publier sur Internet. Celles dont l'index est inférieur à 75 sur 100 ont trois ans pour prendre les mesures qui s'imposent pour rectifier le tir. Celles qui omettent de publier leur index, de mettre en œuvre les mesures correctives adéquates, ou si celles-ci se révèlent sans effet, s'exposent à des pénalités financières pouvant aller jusqu’à 1% de leur masse salariale.
L'index se présente sous la forme d’une note sur 100, calculée à partir de 4 critères pour les entreprises de 50 à 250 salarié.es et 5 critères pour celles de plus de 250 salarié.es :
- Rémunérations : la suppression des écarts entre femmes et hommes, par catégorie de postes équivalents et par tranche d’âge, compte pour 40 pointsdans le calcul de l'index. En 2016, en France, les femmes gagnaient en moyenne 19 % de moins que les hommes :
- La même chance d’avoir une augmentation, en pourcentage, pour les femmes que pour les hommes compte pour 20 points dans le calcul de l'index.
- La même chance d’obtenir une promotion, en pourcentage, compte pour 15 points.
- L’augmentation de salaire garantie au retour de congé maternité compte pour 15 points.
- La parité parmi les dix plus hautes rémunérations de l'entreprise compte pour 10 points dans le calcul de l'index. En 2017, il n'y avait que 27,2 % de femmes parmi les dirigeants d'entreprises en France.
Voir le portail officiel ► calculer et déclarer un index égalité Femmes-Hommes
En janvier 2021, en pleine pandémie de Covid-19, le Journal du Dimanche publiait une tribune signée par plus de 120 responsables de réseaux féminins et entrepreneuses. Les femmes étant les première touchées par les effets économiques de la crise sanitaire, les signataires appellent le président Macron à les intégrer pleinement dans la relance à venir. "L'égalité réelle augmenterait de 10% la croissance des pays développés et injecterait 28 000 milliards de dollars supplémentaires au PIB mondial à dix ans", rappellent-elles, appelant le président à "regarder en face l'inégalité économique entre femmes et hommes" et à prendre "quatre mesures d'importance" axées sur les quotas, la revalorisation du travail des femmes, le financement des entreprises portées par des femmes, un accompagnement pour l'accès à l'entrepreunariat.
Terriennes : qui contrôle les déclarations des entreprises ?
Olivier Picquerey : Les éléments de base servant au calcul de l’index peuvent être contrôlés en interne, puisqu'ils figurent dans la base de données économiques et sociales mise à la disposition des représentants du personnel. La note globale et les indicateurs sont également présentés au comité social et économique. Néanmoins, c'est l'entreprise qui fait son calcul et publie uniquement la note globale de l’index et cela reste un point de frustration des syndicats et représentants du personnel qui considèrent un manque de lisibilité de ce calcul.
En externe, seule l'inspection du travail est habilitée à vérifier l'index. Et elle le fait. Les contrôles ont commencé par les entreprises de plus de 1000 salarié.es, qui sont tenues de publier leur index depuis le 1er mars 2019 déjà, puis celles de 250 salariés, soumises à la publication de l'index depuis le 1er septembre 2019. Depuis, 270 mises en demeures ont été adressées, surtout pour défaut de publication, mais aussi pour inaction. Six pénalités ont été prononcées, à hauteur 0,3 % à 1 % de la masse salariale.
Cette année, les grandes entreprises de plus de 1000 salarié.es ont toutes publié leur index, mais plus la taille de la société diminue, plus le taux de publication décroît.
Que pensez-vous de la pondération des critères ?
Elle fait sens. Elle a permis à beaucoup d'entreprises de réaliser, notamment, qu'elles n'appliquaient pas avec rigueur l'obligation d'augmentation au retour du congé maternité lorsqu’une augmentation générale ou individuelle des autres salarié.es a eu lieu pendant le congé de maternité. Une entreprise sur 7 seulement respecte la règle. L'index a permis de mettre en évidence qu'il y a beaucoup à faire de ce côté-là.
Il apparaît aussi difficile pour les entreprises de laisser de l'espace aux femmes parmi les dix plus hautes rémunérations : seul un quart des entreprises ont les dix points, et 33 % des entreprises ont eu zéro sur dix. D'où la possibilité d'une proposition de loi, dès la semaine du 15 mars, qui prévoirait des quotas de femmes dans les comités exécutifs des entreprises. Reste qu'une telle mesure ne traiterait pas l'ensemble du problème, puisque la parité au sommet ne rayonne pas forcément jusqu'à la base, même si la présence de femmes à la tête d'une société permet un infléchissement de la culture de l'entreprise.
Quels sont, selon vous, les points faibles de cet index ?
Globalement, il n'est pas toujours adapté aux petites entreprises, qui ne disposent pas toujours d'un effectif suffisant pour former un groupe de référence composé de 3 hommes et 3 femmes. Dans ces conditions, pas de publication des résultats... D'autant que, cette année, la crise sanitaire a décuplé le recours à l'activité partielle. Or les salarié.es en activité partielle sont expressément exclus du calcul de l'index. Et comme les temps partiels sont souvent aussi des bas salaires, surtout dans certains secteurs, ce sont les rémunérations plus élevées qui entrent dans le calcul de l'index, et elles ne sont pas forcément représentatives.
Même si certains éléments peuvent être paramétrés pour optimiser l'index, de véritables efforts sont faits et l'index agit comme un révélateur des inégalités.
Olivier Picquerey
A la lumière de la publication des index ce 1er mars, où en est l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ?
Pour les entreprises de plus de 1000 salarié.es, c'est la troisième publication de l'index, puisqu'elles y sont tenues depuis mars 2019. Une société comme Bolloré Logistics, dont le premier index était de 69, est passé à 84 sur 100, ce qui montre une amélioration notable. Même si certains éléments peuvent être paramétrés pour optimiser l'index, il n'en reste pas moins que de véritables efforts sont faits et que l'index agit comme un révélateur des inégalités. Même si l'entreprise n'agit pas d'elle-même, les représentants du personnel s'en saisissent et l'obligent à prendre des mesures, surtout depuis qu'existe la possibilité d'une action de groupe pour discrimination. Il faudra toutefois attendre le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour que soit diffusée l'analyse du gouvernement des index 2021 publiés le 1er mars.
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