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Marie Trintignant meurt le 1er août 2003, six jours après avoir été frappée par son compagnon Bertrand Cantat, en marge d'un tournage en Lituanie. Voici le récit d'un féminicide qui ne portait pas encore son nom raconté dans une série documentaire De rockstar à tueur : le cas Cantat sur Netflix.
Marie Trintignant, image extraite du documentaire de Netflix De rockstar à tueur, le cas Cantat.
Les faits remontent à la nuit du 26 au 27 juillet 2003, le couple rentre vers 23h30 à leur hôtel de Vilnius, en Lituanie. Une dispute éclate. Vers 05h30, le chanteur de Noir Désir demande au frère de Marie Trintignant de venir. "Il m'a dit (...) qu'il s'était disputé avec Marie, qu'il l'avait bousculée et qu'il lui avait mis une gifle, qu'elle allait peut-être avoir un oeil au beurre noir", racontera Vincent Trintignant au tribunal. Au petit matin, soit près de sept heures après les coups, l'actrice de 41 ans est opérée pour juguler une hémorragie cérébrale à l'hôpital de Vilnius. Le 29 juillet, elle subit une seconde opération.
Marie Trintignant est rapatriée à Paris le 31 juillet. Le lendemain, l'actrice décède d'un oedème cérébral. L'autopsie conclut que l'actrice a reçu 19 coups, la majorité contre sa tête et son visage. Une seconde expertise confirme les coups mortels.
A l'ouverture de son procès le 16 mars 2004, Bertrand Cantat reconnaît "deux allers-retours" et implore le pardon. Il est condamné à huit ans de prison. Quelques mois plus tard, il est transféré en France dans une prison près de Toulouse. Après quatre ans et demi de détention, le chanteur obtient sa libération conditionnelle le 16 octobre 2007.
(Re)lire Mort de Marie Trintignant : il y a 20 ans, le féminicide ne disait pas son nom
De rockstar à tueur : le cas Cantat, cette série documentaire revient sur ce drame qui a choqué et bouleversé la France entière et au delà. Créée par Zoé de Bussierre, Karine Dusfour, Anne-Sophie Jahn et Nicolas Lartigue, elle est diffusée sur la plateforme Netflix. Images d'archives inédites -notamment celles de l'audition de Bertrand Cantat par la police lituanienne - témoignages de proches, revues de presse, documents ... Cette série "dénonce la couverture médiatique qui fut accordée au meurtre de Marie Trintignant', écrit le quotidien Le Monde. "En trois épisodes denses, la série remet en place les pièces du féminicide commis par le chanteur et revient sur vingt ans de complaisance" lit-on, "il a le mérite, et surtout l’utilité, de rappeler de quelle manière étaient traités les féminicides jusqu’à ce que la vague #MeToo ne vienne bousculer tout cela".
En réalité, ce qui est arrivé à Marie Trintignant, c'est arrivé à plein de femmes dans le monde, ça arrive à une centaine de femmes encore chaque année en France. Et je pense que beaucoup de gens vont se reconnaître dans ce documentaire. Anne-Sophie Jahn, journaliste, co-réalisatrice
Aujourd'hui, avec cette série, le monde entier va savoir ce qu'a été cette affaire. Symboliquement, c'est très important ?
Anne-Sophie Jahn : C'est très important symboliquement, mais surtout, je pense que, et c'est très triste, mais le monde entier va se reconnaître dans cette affaire. C'est une affaire très française, mais qui, finalement, les féminicides, malheureusement, ça touche tous les pays. Et elle est très intéressante, cette affaire, parce qu'elle représente un cas typique de féminicide, sauf que là, pour une fois, parce que ça concerne deux stars, elle a été extrêmement documentée, il y a des archives absolument exceptionnelles qui permettent vraiment de comprendre ce qui s'est passé et surtout comment, nous, on a regardé cette affaire. Mais en réalité, ce qui est arrivé à Marie Trintignant, c'est arrivé à plein de femmes dans le monde, ça arrive à une centaine de femmes encore chaque année en France. Et je pense que beaucoup de gens vont se reconnaître dans ce documentaire.
C'est une affaire absolument retentissante. Tout le monde se souvient de l'affaire Cantat ?
Ça se passe en plein été 2003. La France est en vacances. C'est l'été, il fait très chaud. C'est l'été de la canicule, je ne sais pas si vous vous en souvenez. Et cette affaire éclate. Une affaire absolument sordide, en effet, entre deux stars. On ne sait pas trop au début ce qui s'est passé. L'une est dans le coma, Marie Trintignant. Bertrand Cantat, c'est la plus grande rockstar de France à ce moment-là. Il vend plus d'albums que Johnny Hallyday. Noir Désir, c'est énorme en France à ce moment-là. Marie Trintignant, c'est la grande héritière du cinéma. Une famille extrêmement prestigieuse. La fille de Jean-Louis Trintignant, c'est l'élite du cinéma français. Évidemment, il y a plusieurs chocs. Personne ne savait qu'ils étaient ensemble. Mais c'est une affaire qui va bouleverser tout le monde. Et créer une avidité auprès du public. C'est du jamais vu.
Ce film est le résultat d'une longue enquête, avec ces éléments vous avez cherché à approcher au plus près de la vérité ?
Oui, c'est une affaire qui est très complexe à traiter parce qu'elle est très riche finalement. À travers l'affaire Cantat, on peut dire énormément de choses. Ce qui est intéressant, c'est ce que ça révèle de notre société. Il y a un travail absolument phénoménal qui a été fait. Ça a pris quand même quatre ans de travail. On est plusieurs réalisateurs. Il y a eu plusieurs producteurs, plusieurs journalistes. On a été une très grosse équipe à travailler dessus. Le résultat, c'est qu'on a une soixantaine d'archives, plusieurs dizaines d'interviews, des témoins en plus très proches, des témoignages exclusifs, des documents qu'on n'a jamais vus. Mais pour ça, il a fallu une équipe vraiment importante et beaucoup de temps pour arriver à tout rassembler pour créer vraiment le documentaire définitif sur l'affaire Cantat.
On voit des images des auditions de Bertrand Cantat alors que Marie Trintignant vient de mourir ...
Exactement. Le grand amour de sa vie, c'est ce qu'il dit. En même temps, ce qui est très intéressant avec ces auditions, elles ne sont pas totalement exclusives. Des extraits avaient déjà été diffusés à la télévision française. Ce qui est totalement nouveau, c'est que là, on en montre beaucoup plus. Il faut comprendre que c'est un document qui dure sept heures. Parce qu'il y a eu deux auditions en réalité. D'ailleurs, il changera de version de l'une à l'autre.
Ces sept heures d'audition, j'ai voulu les voir vraiment d'un coup, pour me replonger dans la tête de Bertrand Cantat à ce moment-là, de comprendre exactement son état psychologique, etc. Parce que ce qui est extraordinaire dans ces images, c'est non seulement ce qu'il dit mais c'est son langage corporel. Ces auditions avaient été en partie retranscrites dans la presse à l'époque. Mais ce qu'on n'avait pas vu, c'était les yeux qui se lèvent au ciel. C'était des mouvements d'agacement.
Que nous disent ces images ?
Elles sont extrêmement révélatrices. C'est pour ça, on peut les décrire, mais les voir, c'est ça qui crée vraiment le choc. C'est de voir certains regards, certains gestes, qui, sachant que Marie-Trintignant vient de mourir, paraissent extrêmement choquants. Je pense qu'ils choqueront beaucoup de spectateurs.
On a mis bout à bout toutes ces informations, notamment le rapport d'autopsie, dont les conclusions avaient été révélées, mais qui était finalement passé inaperçu. Et c'est en mettant bout à bout toutes ces images qu'on en comprend l'importance, on voit à quel point elles sont percutantes et à quel point elles sont gravissimes.
C'est-à-dire qu'il y a des preuves et il y a ce qu'on en a raconté et ce qu'on en a gardé 20 ans plus tard, où on continue de parler d'accident, que Bertrand Cantat est victimisé dans la presse. Anne-Sophie Jahn
19 coups, dont 4 mortels, il n'y a aucun doute sur la gravité des faits, comment Bertrand Cantat choisit-il de se défendre ?
Elle était dans les pommes à ce moment-là, donc elle ne pouvait pas se défendre au moment où il l'a frappée. Comme il l'avait secouée avant, elle avait le syndrome du bébé secoué, elle était inconsciente.
Ce qui est vraiment fascinant avec l'affaire Cantat, c'est qu'il y a des faits qui sont irréfutables, parce que ce sont des conclusions d'un rapport d'autopsie, ce sont des aveux. C'est-à-dire qu'il y a des preuves et il y a ce qu'on en a raconté et ce qu'on en a gardé 20 ans plus tard, où on continue de parler d'accident, que Bertrand Cantat est victimisé dans la presse, etc. La culpabilité va se retourner. Il y a plein de choses qui sont vraiment complètement antinomiques avec la violence des faits et la défense de Bertrand Cantat. Et ce qui est formidable avec ces auditions, c'est qu'on peut vraiment retracer quel travail de désinformation a été fait par la défense de Cantat, qui commence déjà dès les auditions. Il utilise vraiment chacune des défenses typiques des auteurs de féminicides.
Il commence à se placer en victime, il dit qu'elle était en colère. Retourner déjà complètement l'empathie vers lui-même et non pas vers la victime, ce n'est qu'une des défenses qu'on démontre dans ce documentaire, mais elles sont plusieurs, elles sont implacables. Et ce qui est très intéressant, c'est qu'on va les retrouver ensuite disséminées dans la presse, et puis ensuite dans l'opinion publique. Et ce sont uniquement ces défenses qu'on gardera 20 ans plus tard. Et on s'est tous trompés sur cette affaire.
Entendre Bertrand Cantat raconter la nuit de la mort de Marie Trintignant, qu'il pense qu'elle dort d'un sommeil profond, il est très calme quand il dit ça. Il dit : "Bon, je me suis un peu inquiété quand j'ai vu qu'il y avait un peu de sang qui sortait de ses lèvres"...
C'est aussi ce qu'on a voulu montrer dans ce documentaire, c'est que les violences conjugales, les féminicides, c'est quelque chose d'extrêmement violent. Tuer une femme à mains nues, ça demande beaucoup de force. Ça prend du temps, finalement. Je me souviens d'avoir essayé de comprendre ce qui avait pu se passer. C'est pas "à l'époque, on disait ça", mais 20 ans plus tard, alors qu'on a tous les faits, on entend encore, c'était un accident.
Je me souviens d'avoir pris un oreiller, d'avoir frappé plusieurs fois cet oreiller, juste pour comprendre, est-ce que ça peut être un accident ? Ce sont vraiment des faits d'une extrême violence qui sont malheureusement banals, mais qui ne sont pas du tout anodins, qui ne sont pas du tout accidentels. Ça demande quand même une force et une certaine volonté. Il sera condamné par un tribunal. Et pourtant, malgré des faits d'une gravité extrême, quand il sortira de prison, il retrouvera son statut d'idole, son statut de cause. Il fait seulement 4 ans de prison.
Au départ, pour une mort involontaire, il aurait risqué quinze ans, mais il écope de huit ans. Comment a-t-il pu échapper à une peine plus lourde ?
Grâce au jeu de remise de peine, qui est aussi une particularité française, qu'on ne critique pas, ce n'est pas la question, mais il avait pris huit ans en Lituanie, là où il a été jugé. Il n'en fera que quatre parce qu'il a purgé sa peine en France. Et c'est le droit français de sortir à mi-peine. C'est tout à fait classique. Mais voilà. C'est quand même étonnant, en effet, que pour avoir tué une femme à mains nues, on ne fasse que quatre ans de prison. Moi, j'ai un petit garçon. Je n'ai pas forcément envie qu'il grandisse dans un monde où un homme peut battre une femme de ses mains, faire quatre ans de prison et ressortir et être totalement idolâtré. Parce que c'est ça, ce qui s'est passé à sa sortie de prison.
En effet, il fait la couverture des Inrocks. Il est disque de platine quand il ressort un disque avec son nouveau groupe. Il remplit des Zéniths. Son image publique est totalement dissociée de ses actes qui sont absolument, encore une fois, d'une violence absolument extrême. Et ça, c'est vraiment ce qu'on essaie de montrer. Comment on a pu remettre, comme ça, sur un piédestal, un homme qui avait fait quelque chose d'aussi violent ? Et la société entière, on a tous à s'interroger sur notre rapport à la célébrité. C'est pour ça que le titre, c'est "de rockstar à tueur". Son statut de rockstar l'a aussi beaucoup protégé d'être vu comme un tueur. On essaie de comprendre la progression entre ces deux concepts.
La Une des Inrocks du 11 octobre 2017 et l’éditorial de Elle dans son édition du 19 octobre. LES INROCKUPTIBLES - ELLE, montage photo publié dans le quotidien Le Monde.
On le présente comme le poète maudit, l'homme écorché, victime de ses propres amours, à quoi est liée cette image ?
C'est romantisé. Vous savez, les violences conjugales, ça touche quand même une femme sur dix en France. Ça veut dire que ça nous concerne tous. C'est pas, "oh, à l'époque, c'était comme ça". Non, c'est toutes les classes sociales, c'est tous les âges, c'est toutes les origines. Donc, nous tous, on est concernés. Ça peut être votre fille, votre soeur, votre mère. Ça nous arrive pas tous directement, mais on peut être témoin. Il y a quand même une culture du silence, qu'on n'essaie pas vraiment de briser autour des questions des violences conjugales. Je pense que l'affaire Cantat peut permettre de briser ce silence et de comprendre les signes d'une relation violente, toxique, avant qu'il ne soit trop tard. C'est pour ça qu'il faut la raconter encore et encore.
Son ancienne compagne et mère de ses enfants, Kristina Rady va témoigner en sa faveur. Et ça, c'est une histoire dans l'histoire. Vous dites d'ailleurs, dans le film, il y a plusieurs affaires Cantat. De quelle protection a-t-il bénéficié ?
Au delà de la personnalité réelle de Bertrand Cantat, on découvre celle des gens qui l'entourent et qui l'ont protégé. Parce que c'est un homme qui a eu, finalement, beaucoup de chance, malgré tout. C'est-à-dire qu'il a bénéficié du soutien de son entourage, un soutien absolument inconditionnel. Voilà, on racontera aussi jusqu'à quel point ils ont été pour le soutenir. Ça va très très loin.
En plus, à ce moment-là, il est signé chez Universal, qui est la plus grosse maison de disques du monde, qui va aussi le soutenir. Il est défendu par un ténor du barreau, etc. Il y a de l'argent. Il y a des ventes de disques. C'est une machine à faire de l'argent. Noir Désir, c'est les plus gros vendeurs de disques de France à ce moment-là. Beaucoup de gens ont beaucoup à perdre dans ce drame. Pas uniquement Bertrand Cantat. Je pense que chacun a des motivations personnelles. Certains, c'est par amitié, d'autres par intérêt.
Il y a un déséquilibre entre les deux familles. Bertrand Cantat, star mainstream, tout le monde a entendu les chansons de Noir Désir à cette époque-là. Je crois qu'à moins de vivre dans une grotte, elle passe au supermarché, dans les taxis, partout. "Le vent nous portera", c'est un tube gigantesque.
À côté de ça, la famille Trintignant, c'est une famille connue, mais beaucoup plus intellectuelle. Marie Trintignant, elle fait des films à tout petit budget. Elle travaille énormément. C'est une star, mais c'est pas du tout une star mainstream. C'est pas une star qui remplit les salles de cinéma. Du coup, elle est moins connue du grand public. C'est une des raisons pour lesquelles on entendra la voix de Bertrand Cantat plus que la sienne. Avec une autre raison qui est pour le coup beaucoup plus tragique, c'est que, malheureusement, Marie Trintignant est morte et que Bertrand Cantat est encore en vie et donc sa voix portera plus que les autres. Et il bénéficiera de beaucoup de protection.
Kristina Rady dit "non, il n'a jamais été violent avec moi". Ce témoignage va faire que Bertrand Cantat sera moins condamné que ce qu'il aurait pu l'être ?
Complètement. Au départ, la peine de prison pressentie, c'était quinze ans de prison. Au final, il ne fera que huit ans. C'est déjà beaucoup et pour un tribunal lituanien, c'était huit ans réels parce qu'ils n'ont pas le même système de remise des peines qu'en France. Il y a aussi des nuances à ce niveau-là. Mais le témoignage de sa femme, en effet, va laisser une impression très très forte, non seulement sur les juges mais aussi sur le public parce que c'était une femme très belle, intelligente, charismatique d'après tous ceux qui l'ont vue. Même les avocats de la famille Trintignant, dont Maître Kiejman, avaient été vraiment très impressionnés par cette femme. C'est un personnage absolument tragique qui va évoluer dans cette histoire et qui est un personnage très complexe.
Ce qui était complètement fou, c'est la misogynie de la réaction que ça a provoqué alors que moi je travaillais sur ce sujet en tant que journaliste et justement pas en tant que femme. Anne-Sophie Jahn
Vous dites à un certain moment "je me suis mise moi-même en danger", pourquoi ?
On ne sort pas indemne de ce type d'enquête. Surtout, en tout cas, moi, j'ai laissé une part de moi-même, parce que la première fois que j'ai publié quelque chose sur le sujet, c'était en 2017 pour Le Point, et j'ai malheureusement reçu une vague de critiques très très violentes, malheureusement souvent des insultes sexuelles, où j'étais constamment d'ailleurs ramenée à mon genre de femme. Un journaliste homme n'aurait jamais été traité de pute parce qu'il a fait une enquête sur ce qu'on appelait alors un fait divers.
Ce qui était complètement fou, c'est la misogynie de la réaction que ça a provoqué alors que moi je travaillais sur ce sujet en tant que journaliste et justement pas en tant que femme. Pour moi, le genre, ça n'a rien à voir, on peut être très bon journaliste homme et femme. Et là vraiment, ça a créé une vague très très violente. J'ai reçu des menaces, etc. alors que je faisais que mon travail.
A l'époque ça s'appelait un crime passionnel. Aujourd'hui on parle de féminicide, ça c'est une nouveauté. Mais même si les mots ont changé, finalement, certains à priori restent et le sexisme perdure. Anne-Sophie Jahn
Je pense que j'avais toujours été féministe mais je n'avais pas compris qu'en tant que femme j'étais plus vulnérable qu'un journaliste homme. Même en tant que journaliste on ne travaille plus de la même manière sur ses affaires. A l'époque ça s'appelait un crime passionnel. Aujourd'hui on parle de féminicide, ça c'est une nouveauté. Mais même si les mots ont changé, finalement, certains à priori restent et le sexisme perdure. On voit avec l'émergence des mouvements masculinistes, c'est encore un sujet complètement d'aujourd'hui. Un sujet qui concerne surtout aussi les jeunes. Je ne sais pas si vous avez vu la série Adolescence, ça raconte exactement la même chose.
Donc l'affaire Cantat, c'est un petit peu notre baromètre, nous en tant que société, où on en est vis-à-vis de ces questions. Et malheureusement, ce n'est pas encore gagné.
"Bertrand Cantat, c'est l'homme qui dort quand ces femmes meurent", c'est Maitre Kiejman qui dit cette phrase pour commenter le suicide de Kristina Rady...
Quelle phrase terrible et juste. Et en effet, Kristina Rady va être retrouvée morte dans des circonstances très troubles. On a des témoins qui nous racontent vraiment l'histoire de cette femme jusqu'à sa mort, avec des éléments assez concrets sur ce qui s'est passé juste avant.
Ce qui est très intéressant, c'est que Kristina Rady, elle a été complètement oubliée dans l'histoire. Et de la même manière que Marie Trintignant, elle était aussi une femme solaire. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de similitudes entre ces deux femmes. Je pense que c'est aussi une des caractéristiques du pervers narcissique. C'est qu'il ne s'attaque pas à des petites victimes, des femmes qui sont faibles, etc. Non. Ce sont des femmes fortes, indépendantes, les deux, belles, qui ont des carrières, qui ne sont pas du tout des petites choses fragiles et qui, malgré tout, se retrouvent prises dans un engrenage extrêmement dangereux, qui peut être fatal pour certaines.
On entend un témoignage où elle dit à un moment, elle subit les violences de Bertrand Cantat, violences psychologiques et violences physiques. Et elle dit je sens qu'il va m'arriver la même chose qu'à Vilnius. Elle le dit, elle fait le rapprochement.
Et pourtant, elle meurt dans l'indifférence et pourtant, il y a des éléments, d'ailleurs, qui montreraient qu'elle aurait été victime de violences qui seront rendues publiques en 2013, par exemple, mais tout le monde s'en fiche.
Il n'y a pas d'enquête. Ça, c'est une des interrogations du film. On a interrogé les policiers de l'époque, en 2003, puis les policiers de Bordeaux, ensuite, autour de cette deuxième affaire. Ils y répondent, chacun. Ils nous ont raconté quels ont été les murs auxquels, aussi, ils se sont confrontés, etc. Mais, en effet, dans le cas de Kristina Rady, il y a une enquête qui est très rapidement refermée.
On retrouve un cahier sur lequel elle a écrit quelque chose. On est sûr que c'est son écriture ?
Tout ce qui est dans le documentaire a été vérifié. Ça fait partie des choses pour lesquelles ça a pris autant de temps, c'est qu'il y a quand même une soixantaine de sources différentes, d'archives, et tout a été vérifié, fact-checké. Il y a eu des équipes de journalistes, mais aussi d'avocats, etc., pour que tout soit absolument authentique.
C'était très important pour nous, évidemment, de faire un travail extrêmement sérieux et rigoureux parce que c'est un sujet très sérieux et qu'on ne peut pas travailler comme ça à la légère. Donc, évidemment, tous les documents qu'on montre sont authentiques, notamment la lettre de suicide qu'a laissée Kristina Rady. Qui fait deux pages dans la vraie vie. Je pense que les spectateurs découvriront le contenu de cette lettre et qui, en effet, dit beaucoup et qui accuse.
Il y a un homme, Bertrand Cantat. Que fait-il aujourd'hui ? Où est-il ? Il va regarder, j'imagine, cette série ?
C'est son choix. Ça, je ne suis pas Bertrand Cantat. S'il veut la regarder, évidemment. S'il a un abonnement Netflix, il peut la regarder dès aujourd'hui. Mais je crois qu'aujourd'hui, il fait de la musique. Il a sorti un album il n'y a pas très longtemps avec Détroit. Ils ont fait une opération de crowdfunding pour financer justement cet album qui a été un énorme succès. Ils ont récolté deux fois la somme qu'ils avaient demandé en quelques heures uniquement. Ça prouve qu'il a encore des fans qui le suivent, qui lui sont fidèles. Il a tout à fait le droit de faire de la musique. C'est pas du tout un documentaire à charge. C'est pas du tout un documentaire où on tranche des questions, où on dit, on accuse, on pointe du doigt. Nous, on pose énormément de questions.
C'est aussi au spectateur d'y répondre. Mais sur toutes les questions morales, typiquement le retour sur la scène, c'est pas à nous de trancher. Il fait de la musique, il est libre de faire, il n'est pas emprisonné. Ce qu'on défend, c'est pas la perpétuité, etc. Il y a un droit de rédemption.
Certains disent qu'il a payé sa dette à la société, c'était important aussi d'apporter leurs témoignages ?
Oui, et on a veillé vraiment à ce qu'il y ait un équilibre. C'est un film qui repose uniquement sur des témoignages de proches. Ça aussi, c'est assez inédit. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de commentateurs, il n'y a pas de gens extérieurs. C'est uniquement des gens qui ont vécu l'affaire au premier plan et qui ont été impactés par elle. Il y a des proches des victimes, mais aussi des proches de Bertrand Cantat qui équilibrent l'ensemble.
Pensez-vous qu'on est allé au bout de cette affaire ?
Il reste beaucoup de questions sans réponse encore aujourd'hui et surtout encore beaucoup de silence. Rarement on a été confrontés à une telle omerta. Ça reste une affaire où les choses sont très verrouillées, où il y a encore beaucoup de mystères, de choses à éluder. C'est une question de vie ou de mort de parler. C'est là où on a tous une responsabilité. C'est une affaire qui peut nous montrer ce qu'on peut tous faire en tant qu'individu, car on est tous concernés par les violences conjugales. Ce silence qui a entouré ces deux femmes, qui sont mortes dans des circonstances totalement différentes, mais deux morts qui auraient pu être évitées.
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