Fil d'Ariane
A sa grande surprise, son époux lui propose alors d'aller étudier à Londres, mais en prenant un billet d'avion avec escale à Istanbul. A la sortie de l'aéroport, un homme les conduit à Gaziantep, une ville proche de la frontière syrienne.
Islam se retrouve "dans une maison où les femmes et les hommes étaient séparés, avec des Françaises, des Saoudiennes, des Algériennes. Elles me disaient leur joie de rejoindre la terre du califat en Syrie. J'étais désemparée, j'ai éclaté en sanglots."
L'EI avait proclamé deux semaines auparavant, le 29 juin 2014, un "califat" en Syrie et en Irak.
Dès le début du conflit en Syrie en mars 2011, des candidats au djihad du monde entier sont arrivés massivement via la Turquie, hostile au régime de Damas.
Ainsi, en août 2014, quand son mari décide d'entrer en Syrie, la jeune femme jure n'avoir eu d'autre choix que de le suivre.
Tu aurais dû me dire dès le début que tu voulais venir en Syrie ! Pourquoi as-tu brisé ma vie ?
Elle se retrouve dans la ville de Manbij (gouvernorat d'Alep), dans une "maison pour épouses de jihadistes", avec des femmes de Grande-Bretagne, du Canada, de Suède, de Finlande ou de Russie. Elles doivent toutes s'entrainer au maniement des armes.
"Tu aurais dû me dire dès le début que tu voulais venir en Syrie ! Pourquoi as-tu brisé ma vie ?", se souvient-elle avoir dit à son mari. "Il m'a répondu que j'étais sa femme et que je devais lui obéir", ajoute-t-elle.
En septembre 2014, alors qu'elle est enceinte de son fils Abdallah, son mari va suivre un entraînement militaire avant d'être envoyé au front à Kobané.
Le 8 octobre, son beau-frère lui apprend la mort de son mari. "Je me sentais seule, déprimée", explique-t-elle. Peu après, son beau-frère périt à son tour à Tikrit, en Irak.
Elle donne naissance à son fils et épouse un Afghan, ami de son époux décédé.
Comme les Forces démocratiques syriennes (FDS) --une alliance antijihadiste de combattants kurdes et arabes-- se rapprochaient de Manbij, le couple s'installe à Raqa, capitale de facto de l'EI en Syrie. "J'ai obtenu le divorce deux mois plus tard car je n'arrivais pas à m'entendre avec lui", confie Islam.
Elle épouse alors Abou Talha, un djihadiste indien avec lequel elle aura une fille, Maria. Elle restera avec lui environ dix-huit mois.
"C'était le meilleur de mes trois maris, il s'occupait bien de moi. Le jour où j'ai appris qu'il avait été tué, je me suis enfuie avec la femme d'un chef, une Yazidie", dit-elle, en allusion à cette communauté kurdophone que l'EI considère comme hérétique. Les jihadistes ont enlevé et vendu des milliers de leurs femmes comme épouses ou esclaves sexuelles.
Islam affirme aujourd'hui vouloir retrouver sa famille et son pays. "J'ignore quelle sera ma vie, ni l'avenir de mes enfants. Que leur dirai-je quand ils m'interrogeront sur leurs pères ?", se demande-t-elle.