Fil d'Ariane
Deb Haaland, 60 ans, appartient à la tribu Laguna Pueblo du Nouveau-Mexique, et elle est loin d'être une inconnue sur la scène politique américaine. Elle s'était déjà illustrée en 2018 en devenant l'une des deux premières femmes autochtones, avec Sharice Davids du Kansas, à entrer au Congrès.
C'est au poste de ministre de l'Intérieur, à la tête d'un département qui gère notamment les ressources naturelles d'immenses terres fédérales (environ un cinquième de la surface du pays), mais aussi les réserves indiennes, que le nouveau président Joe Biden veut placer Deb Haaland.
Sa nomination devra être confirmée par le Sénat ; Deb Haaland a souligné qu'elle considèrerait comme "un honneur de faire avancer le programme Biden-Harris pour le climat et d'aider à réparer la relation du gouvernement avec les tribus (amérindiennes), que l'administration Trump a ruinée".
Indigenous communities continue to lead the way in meaningful ways to combat #climatechange.
— Rep. Deb Haaland (@RepDebHaaland) December 27, 2020
I look forward to working with Tribes as we look towards the future of conservation & environmental justice.https://t.co/6pqGc1djtf
"Je pense qu'il est temps que notre monde - pas seulement notre pays, mais le monde entier - commence à écouter les peuples autochtones quand il s'agit de changement climatique et d'environnement", avait lancé l'élue alors que son nom commençait à circuler pour ce poste.
Sa candidature avait été soutenue par une pétition de quelque 120 représentants tribaux, exhortant Joe Biden à "marquer l'Histoire" en la choisissant. Une kyrielle de militants écologistes et de célébrités d'Hollywood, dont Cher et Jane Fonda, avaient aussi pris fait et cause pour elle dans une lettre ouverte.
Deb Haaland - facilement réélue en novembre pour un second mandat - a toujours insisté sur son intention de porter les revendications des Amérindiens : "La terre, l'eau, les financements du gouvernement."
"Mes ancêtres ont fait des sacrifices incroyables pour me permettre de garder mes coutumes et traditions. Je ne leur ferai pas défaut", assurait-elle en 2018, lors d'une rencontre avec l'AFP. "Je suis une femme, je suis une femme de couleur", disait-elle, désignant son visage brun et ses longs cheveux noirs et lisses. "C'est ce genre de personnes qu'il faut au pouvoir actuellement pour faire avancer les questions qui comptent", jugeait-elle.
Larry Fisher, chef de la tribu des Mattakeeset Massachuset, dans la réserve de Titicut, le 27 novembre 2020. Un différend oppose les groupes amérindiens de Nouvelle-Angleterre au sujet d'une réserve fédérale au sud de Boston, où les Mashpee Wampanoag prévoient de construire un casino d'un milliard de dollars, tandis que les Mattakeeset contestent leur revendication sur ces terres.
"La nomination de la représentante Haaland marque un tournant dans la valorisation des expériences, des connaissances et du leadership des nations amérindiennes, ce qui aurait été inimaginable dans les administrations présidentielles précédentes. (...) L'administration Trump était peut-être la présidence la plus hostile aux Amérindiens du dernier demi-siècle", lit-on dans un article intitulé Ce que la nomination historique de Deb Haaland au poste de ministre de l’Intérieur signifie pour les peuples autochtones" sur le site Brookings. Avant elle, seul un autre Amérindien a fait partie du gouvernement américain : Charles Curtis, vice-président de Herbert Hoover entre 1929 et 1933.
Cette mère célibataire, qui a vaincu l'alcoolisme dans sa jeunesse et a dû un temps recourir à des bons d'alimentation du gouvernement pour subsister, a fait partie de cette vague de femmes qui entendaient prendre le Congrès d'assaut pour s'opposer à la politique du président Donald Trump.
Ce 7 janvier 2021, au lendemain de l'irruption, au Capitole, à Washington, de centaines de pro-Trump s'opposant à la validation de l'élection de Joe Biden à la présidentielle - des événements qui ont causé la mort de 4 personnes et choqué le monde entier -, Deb Haaland rassure sur sa sécurité dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. De nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer la réponse laxiste et partiale des forces de l’ordre à la foule, soulignant la différence de traitement entre ces manifestants pro-Trump et ceux du mouvement Black Lives Matter, cet été aux Etats-Unis, après la mort de George Floyd. Dans ses nouvelles fonctions, Deb Haadland, elle, rend hommage à la police du Capitole lors du raid du Congrès.
Rep. Deb Haaland's morning safety update closes with tone-deaf gratitude for Capitol police "bravery" during yesterday's raid. Meanwhile, Black and Brown activists nationwide are criticizing law enforcement for their lax and biased response to the deadly mob.
— Jenni Monet (@jennimonet) January 7, 2021
What am I missing? https://t.co/ALZKt9UCQX
Deb Haaland, qui a "toujours eu de l'ambition" selon son entourage, s'est engagée en politique comme bénévole en 2004, lors de la campagne du démocrate John Kerry pour l'élection présidentielle. Elle avait tout simplement saisi une liste téléphonique et commencé à passer des appels. Puis elle avait pris par la main sa fille Somah, 9 ans seulement à l'époque, pour partir à la pêche aux voix avec l'énergie qui la caractérise.
Deb Haaland est née à Winslow, dans l'Etat de l'Arizona, où son grand-père travaillait dans une compagnie ferroviaire au titre de la politique d'"assimilation culturelle" des Amérindiens et où sa mère, Mary Toya, a également vu le jour. Cette dernière était fonctionnaire fédérale. Le père de Mme Haaland, d'ascendance norvégienne, fut membre des Marines - un corps d'élite de l'armée américaine. Au gré de leurs multiples affectations et déménagements, Deb Haaland dit avoir fréquenté pas moins de treize écoles.
Son enfance est surtout marquée par les coutumes de sa tribu, les Lagunas. Elle se rappelle les étés passés avec ses grands-parents pueblos - selon elle en butte à de nombreuses discriminations - à irriguer les champs ou à faire du pain. Auprès des Lagunas, Deb Haaland dirigeait la société tribale exploitant les trois casinos de la réserve. Plus tôt, elle avait créé une petite entreprise de fabrication de sauces en conserve, "Pueblo Salsa", pour pouvoir passer du temps avec sa fille durant ses études de droit.
Deb Haaland a été élue à la Chambre des représentants en 2018 après avoir fait campagne sous le slogan : "Le Congrès n'a jamais entendu une voix comme la mienne.", rappelle le journal The Guardian. Depuis, elle a présenté une législation établissant une commission de vérité sur les internats amérindiens et a défendu deux lois pour lutter contre les crimes commis contre les femmes autochtones - des crimes de plus en plus liés aux travailleurs temporaires de l'industrie extractive vivant dans des camps d'hommes près ou sur les terres tribales.
La violence contre les femmes est une de mes priorités.
Deb Haaland
"Des femmes autochtones ont été portées disparues et assassinées depuis l'arrivée des Européens sur ce continent à la fin des années 1400. La violence contre les femmes est une de mes priorités. Cela ne sera pas réglé avec seulement deux textes législatifs, il est maintenant temps d'aller plus loin", déclarait-elle alors.
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