Décès de Gisèle Halimi, inlassable avocate des droits des femmes

Elle pensait que la plus grande conquête des femmes est le droit de choisir ses maternités, de donner ou non la vie. L'avocate, militante et écrivaine Gisèle Halimi, amie de Simone Veil, a marqué l'histoire des droits des femmes en France. Elle est décédée mardi 28 juillet 2020, au lendemain de son 93e anniversaire. 
 
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Gisèle Halimi humanité 2008
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Gisèle Halimi, avocate, militante féministe et essayiste à la Fête de l'Humanité en 2008.
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"Elle s'est éteinte dans la sérénité, à Paris", a déclaré l'un de ses trois fils, Emmanuel Faux, estimant que sa mère avait eu "une belle vie""Sa famille est autour d'elle", a-t-il ajouté. "Elle a lutté pour arriver à ses 93 ans". Depuis, les hommages se succèdent pour cette femme qui "ajoutait le courage au talent, le génie du verbe à la science du droit, l'engagement pour la dignité des peuples à la bataille pour l'égalité", selon l'ancien président François Hollande.

Bobigny, 1972

Gisèle Halimi a consacré sa vie et sa carrière à la défense des droits des femmes, à commencer par sa plaidoirie de Bobigny, entrée dans les annales du droit à l'avortement en France. Ce sont ses mots qui allaient ouvrir la voie au droit à l'interruption volontaire de grossesse pour les Françaises, qui seront le début de la fin de siècles d'obscurantisme sur le droit à disposer de leur corps pour les femmes. Ces femmes qu'elle défendait avec passion face à la loi de 1920, qui punissait l'avortement de plusieurs années de prison (jusqu'à six ans) :


Elles sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique quotidienne. Et si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge, c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi à laquelle je dénie toute valeur, toute applicabilité, toute possibilité de recevoir aujourd’hui et demain le moindre sens, que parce que cette loi est la pierre de touche de l’oppression qui frappe la femme. (…)

Gisèle Halimi à Bobigny, 1972

En 1972, Gisèle Halimi a 45 ans lorsqu'elle prononce cette plaidoirie. Vingt ans plus tôt, en 1953, elle-même s'était évanouie dans le prétoire, victime d'une hémorragie consécutive à un avortement clandestin...

"Je me suis fait avorter"

En 1971, avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi fonde l'association pour le droit à l'avortement Choisir la cause des femmes, puis quelques mois plus tard, elle signait le Manifeste des 343, une pétition parue le 5 avril 1971 dans le magazine Le Nouvel Observateur. Les 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste le déclarent publiquement  : "Je me suis fait avorter". Elles réclament le libre accès aux moyens de contraception et l'annulation de la loi qui, depuis les années 1920, punissait l'avortement de plusieurs années de prison. Gisèle Halimi est la seule avocate à signer, car un grand risque de sanctions déontologiques du Barreau pesait sur elles.

Mais Gisèle Halimi le dit dans sa plaidoirie de Bobigny : l'avortement est inscrit dans la logique de la contraception qui prévalait en France à l'époque :

L’Accusation peut-elle établir qu’il existe en France une contraception véritable, publique, populaire, gratuite ? Je ne parle pas de la contraception gadget, de la contraception clandestine qui est la nôtre aujourd’hui. Je parle d’une véritable contraception. Or la contraception, à l’heure actuelle, c’est peut-être 6 ou 8 % des femmes qui l’utilisent. Dans les milieux populaires, c’est à peine 1 % des femmes. (…) Dans la logique de la contraception est inscrit le droit à l’avortement. Supposez qu’on oublie sa pilule. On peut oublier sa pilule. Supposez l’erreur. L’erreur dans le choix du contraceptif, dans la pose du diaphragme. L’échec, l’erreur, l’oubli…
 Gisèle Halimi à Bobigny, 1972

A Bobigny, au procès de Marie-Claire Chevalier et de sa mère Michèle, qui a aidé sa fille mineure à avorter suite à un viol, l'avocate des droits des femmes assure la défense. Or à l'époque, pour atténuer la peine d'une femme qui a avorté, il faut évoquer des "circonstances atténuantes", ce qui revient à plaider coupable.

Est-ce que vous accepteriez, vous, Messieurs, de comparaître devant des tribunaux de femmes parce que vous auriez disposé de vos corps ?
Gisèle Halimi en 1972

Gisèle Halimi refuse de demander pardon au nom de sa cliente ; elle transforme sa plaidoirie en une tribune pour le droit à l'interruption volontaire de grossesse et fait elle-même le procès de la loi liberticide de 1920 sur l'avortement. "Nous, les femmes, nous ne voulons plus être des serves... Est-ce que vous accepteriez, vous, Messieurs, de comparaître devant des tribunaux de femmes parce que vous auriez disposé de vos corps ?" 

Marie-Claire Chevalier est acquittée, trois ans avant la légalisation de l'IVG, et Gisèle Halimi sanctionnée par le Conseil de l'ordre pour son franc-parler. Auprès de l'opinion publique, ce procès sera une étape importante dans la marche vers la légalisation de l’avortement en 1975. Pour Simone Veil, autre grande figure des droits des femmes de la deuxième moitié du XXe siècle, ces paroles marquèrent le début du parcours qui mena au poignant discours de novembre 1974 devant l'Assemblée nationale pour la dépénalisation de l'IVG.

Bonnes mères

Celle qui s'exprimait avec une telle franchise, à ses risques et périls, en 1972, estimait que contraception et avortement restent les plus grandes conquêtes des femmes. Gisèle Halimi se disait aussi "bonne mère". Dans un entretien à Paris Match, elle évoque son amitié avec une autre icône du féminisme français, Simone Veil : "Nous parlions de tout, de nos maris, de nos enfants, nous avions chacune trois fils. Nous étions de bonnes mères, mais, l’une comme l’autre, nous pensions qu’être mère ne consistait pas en un destin unique."

S'ils n'étaient pas concertés, leurs engagements féministes se rejoignaient : "Elle s’était beaucoup intéressée au procès de Bobigny... Et cela l’a amenée deux ans plus tard à la loi sur l’avortement. Nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes politiquement, elle était une femme de droite mais libre", disait Gisèle Halimi de son amie.

Mère de trois garçons, dont Serge Halimi, directeur de la rédaction du Monde diplomatique, l'avocate ne cachait pas qu'elle aurait aimé avoir une fille pour "mettre à l'épreuve" son engagement féministe. "J'aurais voulu savoir si, en l'élevant, j'allais me conformer exactement à ce que j'avais revendiqué, à la fois pour moi et pour toutes les femmes", confiait-elle au quotidien Le Monde en 2011.

Car même après la loi de 1975 autorisant l'avortement, la liberté des femmes à donner la vie, ou pas, n'était pas acquise. Cinq ans plus tard, il fallut encore un jugement du Conseil d'État pour reconnaître à une femme le droit d'avorter sans le consentement de son mari. Pour Me Gisèle Halimi, il s'agissait pourtant simplement d'appliquer la loi et "cette affaire prouve bien que l'on considère qu'une femme n'est jamais majeure"

Le viol est un crime

En 1978, lors d'un autre procès emblématique, à Aix-en-Provence, elle représente deux jeunes femmes belges violées par trois hommes. De ces viols, l'une d'elle tombe enceinte et se fait avorter, une pratique encore illégale à l'époque en Belgique. Pour Gisèle Halimi, l'enjeu de cette bataille est de "changer les rapports entre les hommes et les femmes" car "il ne peut y avoir de société où le couple soit basé sur un rapport de force physique"."En fait, une femme violée, c'est une femme cassée. C'est une femme qui ne s'en remettra jamais, elle entre dans une espèce de coma", disait l'avocate en 1977 lors d'une interview télévisée. 

L'une des victimes du procès d'Aix-en-Provence, Anne Tonglet se souvient de Gisèle Halimi au micro de France Inter : "J'ai été soutenue par cette femme de façon extraordinaire , avec naturel et une élégance inestimable dans sa façon de parler. Elle avait une façon de choisir les mots, justes, précis, et en plus compréhensibles par toutes et tous, avec beaucoup de calme et d'allure."

Les accusés seront condamnés à des peines allant de quatre à six ans d'emprisonnement ferme. Ce "procès du viol", dont Gisèle Halimi avait refusé qu'il se tienne à huis clos pour en faire un exemple, permettra une prise de conscience collective et une modification majeure de la loi. Peu après, la sénatrice Brigitte Gros déposera une proposition de loi sur le viol en 1978. Adoptée en 1980, elle en définit les contours et renforce sa répression pénale, en faisant un crime passible de quinze ans de réclusion.

S'éduquer pour s'émanciper

Issue d'une famille modeste, Gisèle Halimi est née le 27 juillet 1927 à La Goulette en Tunisie française. "Quand je suis née, on a mis 15 jours à avouer ma naissance", racontait-elle en 1989. Elle décrivait sa venue au monde en 1927 comme une "malédiction" dans sa famille pauvre, juive et patriarcale. Alors très tôt, Gisèle Halimi s’affranchit des dominations qui l'empêchent de vivre libre : celles de sa famille, de la religion, des hommes.

A 13 ans, elle fait une grève de la faim pour obtenir de ne plus avoir à servir ses frères. Adolescente, elle refuse un mariage arrangé et se débrouille pour gagner suffisamment d'argent afin de rejoindre Paris, en 1945, et y étudier le droit. À 21 ans, elle devient avocate et choisit de défendre les indépendantistes tunisiens et algériens, puis des femmes auxquelles l’on reproche d’avoir avorté. "L'injustice m'est physiquement intolérable, disait-elle souvent. Toute ma vie peut se résumer à ça. Tout a commencé par l'Arabe qu'on méprise, puis le juif, puis le colonisé, puis la femme", confiait-elle au JDD en 1988. De retour en Tunisie, elle plaidera huit ans au barreau de Tunis, avant de revenir à Paris en 1956, année de l’indépendance de la Tunisie. 

Slimane Zeghidour évoque le parcours de Gisèle Halimi dans le 64'  deTV5MONDE : "Elle est restée très proche du Maghreb toute sa vie"

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Avocate irrespectueuse, selon le titre de ses mémoires, elle pensait que la résignation est pire que l'asservissement, et chacune de ses paroles le disaient haut et fort. Courageuse, franche et obstinée, elle se distinguait par la classe, l'humour et la  fierté qui transparaissent dans cette anecdote qu'elle relatait en 2004 à nos confrères de la RTS, évoquant sa rencontre avec le général de Gaulle :

Les engagements de Gisèle Halimi ont tous une dimension politique forte, même si elle n'a jamais voulu faire carrière en politique. À 54 ans, au début des années 1980, elle est élue députée de l'Isère. Alors elle poursuit son combat à l'Assemblée, cette fois-ci pour le remboursement de l'interruption volontaire de grossesse, finalement voté en 1982. 

Ses engagements se poursuivent dans le milieu associatif, auprès de SOS Racisme, notamment. Elle en démissionnera en 1989 suite à la polémique sur le voile islamique à l'école, car pour elle : "C'est le symbole de la soumission et de l'infériorisation de la femme". Elle s'explique :

L'indépendance des femmes et des peuples

Parallèlement à sa carrière d'avocate, Gisèle Halimi écrit. Parmi sa quinzaine de titres figure Djamila Boupacha (1962), du nom d'une militante emblématique du FLN dont elle fut l'avocate. À 33 ans, celle qui prônait alors l’indépendance de l’Algérie assuma la défense de Djamila Boupacha, accusée d’avoir posé une bombe à Alger en 1959. Elle sera torturée et violée par des parachutistes français durant sa détention. 

Grâce au soutien de Simone de Beauvoir, l’avocate réussit à mobiliser l’opinion publique sur la torture en Algérie. Djamila Boupacha, qui partage la vie de Yacef Saadi, sera amnistiée en 1962 suite aux accords d’Évian. Gisèle Halimi signe aussi une œuvre plus intimiste comme Fritna (1999), sur sa mère, peu aimante envers sa fille, mais qui idolâtrait ses garçons, pratiquante juive et totalement ignorante.

Ses combats ont été à plusieurs reprises portés à l'écran, dans des téléfilms dont Le Procès de Bobigny (2006), avec Anouk Grinberg, et Le Viol (2017), avec Clotilde Courau.

Dans une longue interview accordée au journal Le Monde en septembre 2019, la nonagénaire s'étonnait encore que "les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale". Jusqu'à son dernier souffle, Gisèle Halimi est restée une écrivaine et avocate engagée et une figure passionnée de la lutte pour les droits des femmes, tout en témoignait d’un courant du féminisme français fondé sur la certitude que cette lutte émancipatrice ne peut se passer des hommes. 

Parmi les victoires qu'il reste aux femmes à remporter, "l'égalité dans le monde du travail et le changement des mentalités" déclarait à Terriennes en 2011 celle qui était une marraine de notre site dédiée à la condition des femmes dans le monde. En pleine affaire DSK, elle soulignait que le système judiciaire américain protège la dignité des femmes et s'affirmait convaincue que "si une affaire similaire était survenue en France, on en aurait jamais entendu parler".

En 2009, Gisèle Halimi signait Ne vous résignez jamais. Invitée de Patrick Simonin sur TV5MONDE pour parler de son livre, elle expliquait : "Pour les femmes, il y a une précarité et une fragilité particulières de leurs acquis".

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