Fil d'Ariane
Yannick Bellon a filmé la vie des femmes : l'amour, la bisexualité, mais aussi la maladie, le viol et le parcours du combattant des victimes face à la justice. Elle a marqué les années 1970 et 1980 avec des films comme L'amour violé ou La femme de Jean. Elle s'est éteinte ce 2 juin à l'âge de 95 ans.
Monteuse, réalisatrice et productrice, Yannick Bellon avait tous les talents. Née à Biarritz en 1924, dans une famille d'artistes, elle grandit auprès d'une mère photographe, proche des surréalistes.
Féministe parce que femme, et parce que "contraire à la résignation", elle reste sourdine par rapport aux militantes tonitruantes des années 1970. Elle choisit de donner à voir des femmes courageuses qui se cherchent et se reconstruisent, envers et contre les conventions et les violences ordinaires de la société.
J'ai traité à plusieurs reprises dans mes films certains aspects de la réalité féminine parce que je me sens complètement concernée par la condition des femmes.
Yannick Bellon
Comme Alain Resnais, elle fait partie de la première promotion de l'Idhec (Institut des hautes études cinématographiques, devenu la Femis). En 1948, elle fait ses premières armes avec Goémons, un film sur le travail des récolteurs de goémon noir en Bretagne, récompensé par le grand prix du documentaire à Venise pour son réalisme.
S'ensuivent plusieurs documentaires et courts-métrages, comme Colette, sur la vie de l'écrivaine. Dès 1950, le style est là. Nul romantisme, des plans serrés pour être au plus près de la vérité. L'important est ce qui est montré. La virtuosité est dans la simplicité, pas dans les effets de caméra. Yannick Bellon filme la romancière âgée dans son appartement parisien du Palais-Royal, à sa table de travail, son "lit-radeau".
Coréalisé avec Chris Marker, Le souvenir d'un avenir est un hommage à sa mère, photographe - un travail effectué à partir des planches-contacts des archives Denise Bellon.
Avec Varsovie quand même, elle évoque la renaissance de la ville martyre après la guerre. En 1956, Un matin comme les autres réunit Yves Montand dans le rôle d'un ouvrier, Simone Signoret en institutrice engagée et Loleh Bellon, la sœur de Yannick (décédée en 1999).
Si, à travers mes oeuvres, on devine que l'injustice me révolte et que la dignité me semble la vertu première, tant mieux .
Yannick Bellon
En 1972 sort son premier long-métrage, Quelque part quelqu'un, avec Roland Dubillard et sa soeur l'actrice Loleh Bellon, signataire du Manifeste des 343 salopes. Le romancier et critique Jean-Louis Bory écrira sa sortie : "Le titre est d'Henri Michaux. Lourd honneur : le film en est digne. Beau comme un beau chant grave. Déchirant comme une plainte. Obsédant comme un cri. Et qui rend cœur et courage comme un appel. Appel au secours, appel à la résistance."
Avec Agnes Varda et Nelly Kaplan, Yannick Bellon devient une réalisatrice qui compte et dont l'oeuvre, audacieuse et tranchante, ne cessera d'embarrasser les critiques. Les deux femmes ouvrent la voie. Diane Kurys, Chantal Akerman et Coline Serreau s'engouffrent dans la brèche.
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Deux ans plus tard, avec "La femme de Jean", elle s'inscrit résolument dans le mouvement féministe de l'époque.avec Claude Rich, sur la reconstruction d'une femme quittée par son mari. Après la sortie du film, rappelait Télérama en 2017, on nommait "femmes de Jean" ces héroïnes du quotidien qui, sans esbroufe, parvenaient à se rebeller contre les us et coutumes de leur milieu et de leur temps. A les vaincre pour mieux s’assumer. "Devenir elle-même…." continue le journaliste du magazine.
Aux côtés de Claire Bretecher et Françoise Xénakis, elle n'hésite pas à prendre position et à témoigner pour évoquer les obstacles que rencontre la femme, notamment sur les chemins artistiques. "J'ai traité à plusieurs reprises dans mes films certains aspects de la réalité féminine parce que je me sens complètement concernée par la condition des femmes", disait à la revue 24 images Yannick Bellon, qui se décrivait comme "le contraire de la résignation".
En 1978, elle filme le viol dans toute sa violence : c'est L'amour violé, avec Nathalie Nell, Daniel Auteuil et Pierre Arditi. Là encore, le film est centré sur la difficile renaissance de la victime après une période de désespoir.
L'Amour violé a eu du mal à trouver un producteur. Il déchaînera les passions et des réactions hostiles, dont la virulence n'est pas sans évoquer les attaques subies par Simone Veil défendant sa loi sur l’IVG. Dans Télérama, Jean-Luc Godard, traite Yannick Bellon de "véritable salope" qui "jouit du viol tout en faisant jouir le spectateur". L'écrivain Robbe-Grillet y voit précisément une incitation au viol, à cause "de son caractère réaliste, non sublimé par l'imaginaire". Le journaliste Jacques Siclier écrit que ce film touche "l'humiliation, le traumatisme ressenti par une femme contrainte à des rapports sexuels collectifs et violents avec un groupe d'hommes 'ordinaires', conditionnés par les idées acquises sur l'exercice de la virilité. "
L'Amour violé deviendra le plus grand succès public de la cinéaste.
En 1981, L'amour nu, avec Marlène Jobert, raconte l'histoire de Claire, interprète pour une organisation internationale, qui rencontre Simon, océanographe, juste au moment où elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer du sein. Encore un retour à la vie...
Cette fois encore, un film"difficile", le rapport d'une femme à son propre corps, menacé dans son intégrité par la maladie.
En 1984, Yannick Bellon aborde la bisexualité avec La Triche, dans lequel Victor Lanoux interprète un commissaire de police marié, amoureux d’un jeune musicien, incarné par Xavier Deluc.
En 1989, elle tourne Les Enfants du désordre avec Emmanuelle Béart dans la peau d'une adolescente ex- toxicomane. En liberté surveillée, elle entre dans un centre d'éducation où l'on pratique le théâtre de groupe en vue d'une réinsertion sociale. Son dernier film de fiction, L'affût, en 1992, est l'histoire d'un instituteur, écologiste avant l'heure, incarné par Tchéky Karyo, opposé à la chasse et qui veut créer une réserve ornithologique.
Même si Yannick Bellon était un peu oubliée ces dernières années, le ministre de la Culture Franck Riester souligne le vide qu'elle va laisser dans un hommage :
Le regard que portait Yannick Bellon sur le monde va nous manquer. Son cinéma restera comme le témoignage de ses combats. Je pense à sa famille et à ses proches. pic.twitter.com/9hnLUsqlNJ
— Franck Riester (@franckriester) June 2, 2019
La cinéaste vient de disparaître à l'âge de 95ans.
Elle disait : "Je suis le contraire de la résignation".
Toute son oeuvre le prouve.
Filmographie de Yannick Bellon :
Jamais plus toujours
avec Loleh Bellon, Bulle Ogier, Bernard Giraudeau, Jean-Marc Bory
1976 - durée : 81 mn
L’amour violé
avec Nathalie Nell, Alain Fourès, Pierre Arditi, Michèle Simonnet, Daniel Auteuil
1978 - durée : 115 mn
Quelque part quelqu’un
avec Loleh Bellon, Roland Dubillard, Hugues Quester
1972 - durée : 98 mn
La femme de Jean
avec France Lambiotte, Claude Rich, Hippolyte Girardot
1974 - durée : 103 mn
L’amour nu
avec Marlène Jobert, Jean-Michel Folon, Georges Rouquier, Jean-ClaudeCarrière
1981 - durée : 100 mn
L’affût
avec Tcheky Karyo, Dominique Blanc, Patrick Bouchitey, Michel Robin
1992 - durée : 103 mn
La Triche
avec Victor Lanoux, Anny Duperey, Valérie Mairesse, Xavier Deluc, Michel Galabru
1984 - durée : 99 mn
Les enfants du désordre
avec Emmanuelle Béart, Robert Hossein, Patrick Catalifo
1989 - durée : 100 mn
D'où vient cet air lointain
Chronique d'une vie en cinéma
2018 - durée : 90 mn
Courts-métrages :
Goémons - 1947 - durée : 28mn
Varsovie quand même - 1954 - durée : 17mn
Zaa petit chameau blanc - 1960 - durée : 28mn
Colette - 1952 - durée : 21mn
Le souvenir d'un avenir - 2001 - durée : 41mn
Evasion - 2001- durée : 17mn
Un matin comme les autres - 1956 - durée : 29 mn
Main basse sur Bel - 1963 - durée : 22 mn
Premières Impressions de Paris - 1946 - durée : 2 mn