Fil d'Ariane
Françoise Gilot était une peintre prolifique et de renom. Muse et compagne de Pablo Picasso, elle est la seule, avec Fernande Olivier, à l'avoir quitté pour poursuivre sa propre carrière aux Etats-Unis. Elle est décédée ce 6 juin 2023 à New York. Elle avait 101 ans.
François Gilot pose avec ses œuvres à Milan, le 21 décembre 1965.
"On ne quitte pas quelqu'un comme moi", disait le peintre Pablo Picasso. Françoise Gilot, elle, l'a fait. Après leur séparation, celle qui a été la compagne du grand peintre de 1946 à 1953 s'est imposée comme une artiste à part entière. Elle l'est restée pendant plus de soixante ans et est exposée dans les collections des prestigieux Metropolitan Museum of Art et MoMA de New York.
En juin 2021, son "Paloma à la Guitare" (1965) avait atteint 1,3 million de dollars aux enchères chez Sotheby's. Ce portrait audacieux et envoûtant de sa fille Paloma Picasso date de 1965, alors que Françoise Gilot vivait à Londres. En matière de couleurs et de lignes, il matérialise l'approche novatrice de l'artiste.
Née le 26 novembre 1921 à Neuilly-sur-Seine (ouest de Paris) dans une famille bourgeoise, Françoise Gilot suit les traces de sa mère, une aquarelliste, pour s'orienter vers le dessin et la peinture.
Avec le surréaliste Endre Rozsda parmi ses mentors, elle a une première exposition dans une galerie parisienne en 1943, l'année où elle rencontre Picasso. Brune, élancée, l'air réfléchi, elle a alors 22 ans. Lui en a 61, il est marié à Olga Khokhlova et l'amant de Dora Maar. Il l'invite à venir voir son atelier en mai 1943 et lui fait une cour empressée.
Aux yeux de la jeune fille, l'auteur de Guernica est un héros. Elle le trouve par ailleurs courageux d'être resté à Paris alors qu'il aurait pu s'exiler aux Etats-Unis.
Avec lui, fallait porter une armure du matin au soir, prouver sa force 24 heures sur 24. Nous étions très mal assortis.
Françoise Gilot
Peut-être davantage fascinée par son extraordinaire présence que véritablement amoureuse, Françoise Gilot le suit à Paris et à Vallauris, vivant avec lui à partir de 1946. Le couple a deux enfants, Claude, né en 1947, et Paloma, née en 1949. La loi française n'autorisant initialement pas la reconnaissance des naissances hors mariage, les enfants de Françoise Gilot ne porteront que tardivement, à la faveur d'un changement législatif, le nom de leur père, resté marié à Olga Khokhlova jusqu'en 1955.
Durant leur vie commune, Picasso représente Françoise sous les traits de la "Femme fleur", radieuse, solaire, hautaine.
En 1953, Françoise Gilot décide de quitter Picasso. Évoquant ses sept années de vie commune avec le peintre, elle se comparait à Jeanne d'Arc : "Il fallait porter une armure du matin au soir, prouver sa force 24 heures sur 24. Nous étions très mal assortis". Devenue citoyenne américaine, elle ne s'était d'ailleurs pas rendue à ses obsèques en 1973.
En 1964, Françoise Gilot publie Vivre avec Picasso, un livre relativement intime sur sa vie avec l'artiste. Le succès est immense : le livre, traduit en 16 langues, se vendra à plus d'un million d'exemplaires. Elle y dépeint la star comme un être tyrannique, superstitieux et égoïste. Pour elle, cette relation fut "un prélude à (sa) vie. Pas la vie". "Intellectuellement, dit-elle, nous nous entendions bien, humainement, c'était un enfer. Il n'était pas méchant mais cruel, c'était un sadique-masochiste. (...) A la fin, ma jeunesse lui devenait insupportable, et moi, je changeais aussi".
Best-seller aux Etats-Unis, Vivre avec Picasso sera rejeté en France, où des intellectuels signent une pétition contre sa parution en français. L'entourage du peintre parle d'opportunisme et les amis de Picasso s'éloignent de Françoise. Ce dernier tente de faire interdire l'ouvrage mais la justice refuse la saisie.
Furieux, à 83 ans, le maître évince Paloma et Claude Picasso de sa vie avec sa dernière compagne, Jacqueline Roque. "C'était très douloureux, se souvient Paloma Picasso. Et pourtant, assure-t-elle, ce n'était "pas un livre contre Picasso, ma mère a humanisé Picasso. C'était une chose positive pour moi parce que en faire un dieu incontournable était une façon de le déshumaniser et de le rendre moins intéressant".
Françoise Gilot a ensuite épousé le peintre Luc Simon, dont elle a eu une fille, Aurélia. En 1970, elle s'est mariée avec l'éminent docteur Jonas Salk, pionnier de la vaccination contre la poliomyélite, avec qui elle vivra jusqu'à sa mort en 1995, en Californie.
Par delà les vicissitudes de la vie, Françoise Gilot n'a jamais sacrifié son travail artistique qu'elle a poursuivi avec passion jusqu'au très grand âge. Elle a passé les dernières années de sa vie à New York où, selon sa fille Paloma, elle avait récemment souffert de maladies cardiaques et pulmonaires.