Fil d'Ariane
Très attachée à sa région, Catherine Paysan, née Annie Roulette, avait été lauréate du Grand prix de la Société des gens de lettres (SGDL) en 1977 pour l'ensemble de son oeuvre. En 2000, elle avait reçu le Goncourt de la nouvelle pour son recueil Les désarmés (Albin Michel).
Mais l'histoire se souviendra peut-être d'elle d'abord en raison de son passage à Apostrophes, l'émission littéraire animée par Bernard Pivot, le 22 septembre 1978. Catherine Paysan était la seule femme invitée sur le plateau, en compagnie notamment du romancier et journaliste François Cavanna et de l'écrivain américain Charles Bukowski.
Ce soir-là, l'auteur des Contes de la folie ordinaire a apporté avec lui plusieurs bouteilles de Sancerre. Bientôt ivre, il ne s'exprime plus que par borborygmes grossiers et injurieux. Alors que Bernard Pivot présente le livre de Catherine Paysan, l'écrivain américain se lève, titube, et se penche vers la romancière pour tenter de caresser un de ses genoux.
"Oh ! bien ça, c'est le pompon!" s'écrie par deux fois la romancière dans l'hilarité générale. "J'ai bien fait de mettre une jupe fendue", dit-elle tandis que Bernard Pivot tance gentiment Bukowski en lui lançant : "Décidément, vous êtes vraiment obsédé". Bukowski continue de soliloquer. Excédé, François Cavanna lui lance "Bukowski ta gueule, tu nous enquiquines". Puis Bernard Pivot interviewe Marcel Mermoz et Catherine Paysan.
L'échange avec l'écrivain Marcel Mermoz est lui aussi assez croustillant. Ce dernier évoque "l'argent et le sexe, ou l'or et le cul", comme ses seuls "maîtres" d'inspiration pendant un temps, tout en reconnaissant en être "revenu". "Il y a 1% de ramassis de connasses", lit l'animateur citant un extrait de l'écrivain. C'est à ce moment-là que Charles Bukowski, complètement ivre, se lève péniblement et finit par quitter le plateau, emmené par ses collaborateurs.
"Cela ne m'a pas fait sursauter, répond alors Catherine Paysan, reprenant le cours de l'entretien, Je ne veux pas dire du mal de mon sexe, pas du tout. Vous avez cette vision des femmes, c'est votre droit. Chacun a le droit de penser ce qu'il veut. Moi, je me suis toujours sentie l'égale des hommes, mais je pense qu'il ne faut pas confondre égalité et identité" .
Monique Bouvier-Krokos, présidente de la Maison natale Catherine Paysan, le musée qui porte son nom, lui rend hommage dans le journal régional L'Echo sarthois, "Elle avait été alphabétisée par sa mère, Marthe Roulette, institutrice de l’unique classe d’Aulaines. C’est là que son goût pour l’écriture est né, tout comme sa vocation d’écrivain".
La romancière était fortement attachée à ses racines, ainsi qu'à la nature, à la forêt, comme le confie encore Monique Bouvier-Krokos, qui évoque également son exigence "avec elle-même mais aussi avec les autres ", mais surtout : "Elle ne se complaisait pas forcément dans l’époque dans laquelle nous vivons, dans ce monde moderne et toutes les destructions qu’il peut entraîner".
Les différences culturelles et le racisme semblent être un fil conducteur aussi bien dans la vie personnelle de Catherine Paysan que dans son oeuvre littéraire. Son premier roman Le Nègre des Sables parle d’une relation entre une Française et un Noir américain. Dans Nous autres, les Sanchez, elle évoque un couple formé par une jeune femme normande et un Mexicain à la peau mate. Son plus grand succès L'amour là-bas en Allemagne raconte sa relation après la guerre avec un prisonnier allemand pour qui elle ira vivre en Allemagne.
En 2017, alors qu'elle vit depuis des années retirée dans la maison de son enfance à Bonnétable, elle reprend la plume, à 90 ans. Après quatre ans d'écriture, elle publie son dernier ouvrage, une sixième autobiographie consacrée à son mari Emil Hausen, L'enterrement d'un juif hongrois.
Tous deux se sont rencontrés à Paris, dans les années 60. Ils ont une quarantaine d'années. Lui est un rescapé de la Shoah, qui a décimé une partie de sa famille. Il a fui la Hongrie en 1946. Catherine et Emil vont tout d'abord se lier d'amitié en échangeant une correspondance, de plus en plus tendre. Leur histoire d'amour durera plus de 30 ans. Emil Hausen disparaît en 2000.
Lors d'un entretien réalisé sur les ondes de la radio RCF Sarthe, elle confie à propos de ce dernier ouvrage : "Nous sommes tous imparfaits, nous sommes tous égoïstes. Il y a trois religions monothéistes, et je trouve que chacune pêche par orgueil. Chacune prétend connaître la vérité. Le bon Dieu, il n'est jamais descendu, nous ne savons pas comment il est. Et qu'est-ce-qu'il pense de nous ? C'est ça qui m'inquiète. Et puis il y a aussi, aujourd'hui, le communitarisme qui vient se greffer et que je ne trouve pas meilleur. Et puis il y a une laïcité qui est en train de devenir une religion intolérante aussi".
"Ce qui m'a décidé à écrire ce livre, c'est non seulement mon histoire personnelle, celle de mon mari et de moi, et qui n'a pas manqué de confrontations culturelles, ajoute-t-elle. C'était difficile d'accepter toujours la vision de l'autre. C'est de ça aussi que je veux témoigner : je ne suis pas fière de l'humanité que je vois aujourd'hui."
Elle évoque alors "les déchirures culturelles auxquelles sont confrontés ceux qui ont dû quitter leur pays pour échapper à la mort, et à qui nous demandons d'oublier leurs racines, chose que nous ne pourrions pas faire nous-mêmes".
Catherine Paysan aimait aussi interpréter ses propres chansons, comme celles qu'elle a rassemblées dans ses Chansons pour moi toute seule. L'enregistrement des deux volumes de ce disque s'est fait sous l’égide de Marcel Mouloudji. Alors pourquoi ne pas fredonner en son souvenir cette jolie et surranée "Berceuse pour mon cowboy" : "Il était bête, il était sot, mon cowboy! Mais je l'aimais, mon cowboy. Il confondait le Diable et Dieu, mon cowboy!".
Après l'"avoir tant bercé", elle a fini par rejoindre son "cowboy", quasiment jour pour jour vingt ans après sa disparition.