Décès de Madeleine Riffaud, une vie à lutter contre les injustices

Proche d'Eluard, Picasso et Aragon, la résistante Madeleine Riffaud est décédée à l'âge de 100 ans. Poète, journaliste et correspondante de guerre, elle a consacré sa vie à dénoncer les injustices.

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madeleine Riffaud jeune

Madeleine Riffaud alias Rainer, à 20 ans, le 27 août 1944, à Paris. Photo prise par un soldat américain. 

© Coll. Madeleine Riffaud, Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris-Musée Jean Moulin (Paris Musées)
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"C'est avec une profonde tristesse que nous vous annonçons le décès de la résistante, poète, écrivain, journaliste et correspondante de guerre Madeleine Riffaud, annonce son éditeur, Dupuis, ce 6 novembre 2024. Elle s'est éteinte ce matin, paisiblement dans son lit entourée de ses proches".

Le 23 août 2024, jour de ses 100 ans, Madeleine Riffaud avait publié le troisième et dernier tome de Madeleine, résistante, ses mémoires de guerre en bande dessinée, avec Dominique Bertail au dessin, et Jean-David Morvan au scénario. Ce dernier lui a rendu hommage sur Facebook en publiant une photo d'elle, âgée, posant sur un canapé.

"Une héroïne s'en est allée. Son legs : tout un siècle de combats", salue L'Humanité pour qui elle couvrit les guerres d'Algérie et du Vietnam. "Elle était un personnage de roman, à l'existence tramée par la lutte, l'écriture, trois guerres et un amour. Une vie d'une folle intensité, après l'enfance dans les décombres de la Grande guerre, depuis ses premiers pas dans la résistance jusqu'aux maquis du Sud-Vietnam", souligne le quotidien. Il salue aussi son "formidable talent de conteuse doublé d'un sens aigu de la formule", dans un communiqué joint avec la traductrice Éloïse de la Maison et le sociologue du travail Philippe Denimal.

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Madeleine Riffaud fut aussi poète, éditée par Paul Eluard, rappelle la ministre de la Culture Rachida Dati, qui "salue la mémoire de cette héroïne au courage admirable et exemplaire".

Une "dette de survie"

Pendant cinquante ans toutefois, Madeleine Riffaud était restée mutique sur ses années de résistance où elle avait échappé plusieurs fois à la mort, contrairement à nombre de ses camarades. C'est le résistant Raymond Aubrac qui la secoue dans les années 1990 : "Est-ce que tu vas continuer à fermer ta gueule ? Tes petits camarades qui ont été fusillés à 17 ans, ça t'est égal que personne n'en parle ?", racontait-elle. Raymond Aubrac m'avait demandé d'être une voix de la Résistance - alors je le serai. J'ai encore un peu de force, c'est pour la donner".

Elle a ensuite consacré sa vie à dénoncer les injustices, estimant devoir payer une "dette de la survie". Elle fait le tour des écoles, répond aux interviews. A 100 ans, elle signe Les Nouilles à la tomate, troisième tome de ses mémoires de guerre en BD paru en août 2024. "Résister, c'est aimer les gens, ne pas haïr... Si nous, on a tenu, c'est parce qu'au lieu de nous dire, je suis une victime, on s'est toujours dit je suis un résistant, je suis un combattant !"

Rainer

Née le 23 août 1924 à Arvillers dans la Somme, cette fille unique d'instituteurs rejoint la résistance à 16 ans. Elève sage-femme à Paris, elle devient agent de liaison avec ses compagnons communistes des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la faculté de médecine. Elle devient "Rainer" - en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke - pour signifier qu'elle "n'est pas en guerre contre le peuple allemand mais contre les nazis".

Le massacre d'Oradour-sur-Glane, un village de sa jeunesse décimé en juin 1944, provoque son passage aux armes. Le 23 juillet, elle assassine de deux balles dans la tête un gradé nazi sur le pont de Solférino. "J'avais pris les armes de la douleur comme aurait dit Paul Eluard. J'avais très mal à l'intérieur de moi, je lui ai tiré dessus presque à bout portant, il est tombé comme un sac de blé".

La résistante se fait presque immédiatement arrêter. Torturée par la Gestapo, elle est condamnée à mort puis déportée. Avec une amie espionne, elle saute du train vers Ravensbrück mais se fait intercepter. Grâce au consul de Suède, elle est libérée le 19 août grâce à un échange de prisonniers, en pleine Libération de Paris. Rainer reprend le combat : le 23 août, elle contribue à l'arrestation de 80 soldats allemands dans l'attaque d'un train aux Buttes-Chaumont. Elle recevra la Croix de guerre avec palme.

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Après la Libération, elle veut intégrer l'armée mais n'a pas 21 ans. Son engagement s'arrête là. Sans nouvelle de ses amis déportés, hantée par le souvenir des geôles, elle plonge dans la dépression comme elle le raconte dans On l'appelait Rainer. Touché par sa détresse, Paul Eluard la prend sous son aile, préface son recueil de poèmes Le Poing fermé (1945). Il l'emmène chez Picasso qui la peint - petit visage déterminé encadré par une chevelure brune et épaisse -, lui présente l'écrivain Vercors.

Tuberculeuse, elle rencontre Pierre Daix, un rescapé de Mauthausen, dans un sanatorium. Ils se marient, ont une fille qui est placée chez ses grand-parents par peur de la tuberculose. Ils se séparent en 1947.

Reporter de guerre

"Un seul métier était indiqué alors, c'était le reportage de guerre auprès des plus souffrants", confiait-elle une fois devenue une vieille femme quasiment aveugle. Elle débute à Ce soir, journal communiste dirigé par Aragon. Puis pour l'Humanité, elle couvre la guerre en Indochine où Ho Chi Minh la reçoit comme "sa fille".

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Elle part clandestinement en Algérie où elle échappe à un attentat de l'OAS (Organisation de l'Armée secrète). Elle dénonce la torture pratiquée à Paris contre les militants du FLN (Front de libération nationale). Puis elle repart au Vietnam et couvre pendant sept ans la guerre.

A son retour, elle travaille comme aide-soignante dans un hôpital parisien et dénonce dans Les linges de la nuit (1974), vendu à un million d'exemplaires, la misère de l'Assistance publique. Cinquante ans plus tard, elle réitère les mêmes critiques. Après être restée 24h livrée à elle-même sur un brancard des urgences, elle adresse une lettre ouverte au directeur de l'AP-HP en 2022. "On pensait que j'étais trop vieille pour que ça vaille la peine de me soigner ?"

Hommages

Le monde politique lui a aussi rendu hommage. Le gouvernement français a ainsi rappelé dans un publication sur X qu'il y avait "encore quelques mois, elle nous livrait son témoignage sur sa vie et son combat dans la Résistance".

"Arrêtée et torturée par la Gestapo, journaliste engagée aux côtés des mineurs grévistes de 1948, des Algériens et des Vietnamiens contre le pouvoir colonial: elle aura mené une vie de lutte pour l'émancipation", rappelle de son côté le député de gauche François Ruffin. Le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, qui avait rencontré Madeleine Riffaud au Vietnam, souligne qu'elle est décédée "au jour de l'élection de Trump..."

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