Décodeuses de la Seconde guerre mondiale, héroïnes de l'ombre

Dans le plus grand secret, travaillant jour et nuit, des dizaines d'étudiantes de Cambridge ont décrypté des codes nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Leur histoire est restée longtemps méconnue, pourtant les Code girls ont largement contribué à la victoire des Alliés.

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Keira Knightley - Joan Clarke

Carte d'identité portant la photo de Keira Knightley qui interprète le rôle de Joan Clarke dans le film "Imitation game"; cette mathématicienne anglaise fut l'une des plus célèbres décodeuses durant la Seconde guerre mondiale.

©Matt Dunham/AP photo
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Elles venaient toutes de Newnham, une université réservée aux femmes, fondée en 1871 à Cambridge, en Angleterre. Pendant la guerre, au moins 77 femmes de cet établissement ont travaillé à Bletchley Park, lieu mythique du déchiffrage des codes nazis, au nord de Londres.

"décodeuses"

Pendant la guerre, des dizaines de femmes de Newnham travaillaient à Bletchley Park au déchiffrage des codes nazis.

©DR/Betchley Park Trust

Pour leur dire "merci"

L'histoire de ces femmes a été révélée grâce aux recherches, démarrées il y a cinq ans, de Sally Waugh, une ancienne étudiante et enseignante de leur université, âgée de 69 ans. Elle explique à l'AFP sa volonté de mettre en lumière le rôle des femmes dans cette période, souvent tu dans les livres d'histoire. "Personne n'a jamais pu leur dire merci", souligne-t-elle. 

Oh, je faisais le thé... Jane Monroe, mathématicienne de Newnham

"Je ne me doutais pas du tout que des personnes de Newnham avaient travaillé à Bletchley", raconte-t-elle. Puis un jour, elle est tombée sur un article mentionnant le nom d'une vieille amie, Jane Monroe, décédée en 2005. Quand on demandait à Jane, mathématicienne de Newnham, ce qu'elle avait fait pendant la guerre, elle répondait, imperturbable : "Oh, je faisais le thé, raconte Sally. Elle était en réalité décrypteuse de codes. C'était une amie, mais elle ne me l'a jamais dit". En taisant cette partie de sa vie, Jane Monroe n'a fait que respecter sa parole. Elle avait promis de garder le secret sur ces opérations au nom de la loi Official secrets act

Women code breakers, l'histoire cachée

Mathématiciennes à l'avant-garde

L'article mentionnait trois autres noms de femmes, que Sally a retrouvés dans les archives de l'université. "J'ai alors pensé que s'il y en avait quatre, il y en avait peut-être d'autres", raconte-t-elle. En effet, elle en a trouvé une vingtaine, puis elle a croisé ses informations avec Bletchley Park, et ensemble, ils sont arrivés à près de 80.

Joan Clarke

Joan Clarke a travaillé comme cryptanalyste dans une section militaire secrète de la Government Code and Cypher School (GCCS) à Bletchley Park jusqu'en 1977.

©DR/Betchley Park Trust


La seule dont le nom est entré dans l'Histoire est Joan Clarke, qui a été recrutée en 1940 et a travaillé avec Alan Turing, avec lequel elle a été brièvement fiancée. Ce mathématicien est parvenu, avec son équipe, à casser les codes de la machine Enigma utilisée par les nazis pour crypter leurs messages, notamment ceux des sous-marins allemands croisant dans l'Atlantique Nord. Selon des historiens, son travail et plus largement celui de Bletchley ont permis de précipiter la chute d'Adolf Hitler. 

Joan Clarke est devenue cheffe adjointe de son unité et après la guerre, la mathématicienne a continué à travailler dans le renseignement. 

Dans la liste figure une autre mathématicienne, Violet Cane, particulièrement douée en statistiques. Elle a travaillé pour la section navale de Bletchley entre 1942 et 1945. Ou encore Elizabeth Langstaff, qui parlait couramment allemand : elle devait reconstituer des messages allemands à partir de décryptages bruts, en interprétant des abréviations et analysant les résultats au fil des mois.

Ellen Elizabeth Langstaff

Ellen Elizabeth Langstaff a commencé à travailler à Bletchley Park en octobre 1939, à l'âge de 23 ans, elle avait étudié l'Allemand à Cambridge.

©DR/Betchley Park archives

"Femmes de l'ombre"

L'archiviste de Newnham a retrouvé fin 2023 une lettre datée du 28 janvier 1939, dans laquelle la responsable de l'université confirme à Bletchley Park "que le collège sera en mesure de fournir au moins six étudiantes maîtrisant les langues modernes pour travailler au ministère des Affaires étrangères en cas d'urgence".

Les femmes de Newnham étaient représentées dans la plupart des domaines clés du travail de Bletchley Park. Jonathan Byrne, Bletchley Park Trust

Newnham a finalement envoyé à Bletchley des mathématiciennes, des linguistes, des historiennes et même des archéologues pour analyser des photographies aériennes.

"Les femmes de Newnham étaient représentées dans la plupart des domaines clés du travail de Bletchley Park", explique Jonathan Byrne, un responsable du Bletchley Park Trust. Il cite entre autres : le décryptage des signaux allemands chiffrés par Enigma, la production de rapports de renseignement, l'analyse du trafic pour comprendre la localisation des activités de l'ennemi nazi, l'analyse des signaux diplomatiques. 

Code Enigma

Exemple d'un message déchiffré de la célèbre machine Enigma, mise au point par les nazis.

©DR/Betchley Park Trust


"Beaucoup de ces femmes étaient en service le 6 juin 1944, jour du Débarquement, raconte Jonathan Byrne. Leur travail a contribué à la planification de la libération par les Alliés". Car tôt ce matin-là, en réponse au débarquement des soldats alliés, le trafic de signaux allemands en France a fortement augmenté. A Bletchley Park, les femmes de l'ombre "ne savaient pas que le Débarquement avait lieu et elles continuaient à décoder, précise Jonathan Byrne. C'est en écoutant la radio qu'elles comprirent le sens de tous ces messages qu'elles décodaient".

Le film Imitation Game, sorti en 2014, raconte l'histoire du décodage du code Enigma, remettant en scène le parcours d'Alan Turing et de Joan Clarke. 

10 000 code girls aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, l'histoire des "casseuses de code" est elle aussi assez méconnue. Elles ont pourtant été très nombreuses à participer à la guerre, à leur manière, et toujours dans l'ombre. Recrutées par l'armée et la marine américaines dans les petites villes et les collèges d'élite, plus de dix mille femmes ont servi comme décrypteuses pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Tandis que leurs frères et petits amis prenaient les armes, ces femmes s'installèrent à Washington et apprirent le travail minutieux du décryptage. Leurs efforts ont raccourci la guerre, sauvé d’innombrables vies et leur ont donné accès à des carrières qui leur étaient auparavant refusées. 

Un vœu strict de secret a presque effacé leurs efforts de l’histoire. Mais grâce à de longues recherches et à des entretiens avec des code girls survivantes, l'auteure à succès Liza Mundy donne vie à cette histoire captivante et vitale du courage, du service et de la réussite scientifique des Américains.

Les "code girls"

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