Fil d'Ariane
Les femmes ont-elles été volontairement effacées de l'histoire des décolonisations? On ne peut que constater l'absence ou la quasi-inéxistence des femmes dans les récits historiques de ces luttes pour l'indépendance.
Au moment de la reconstruction des nations, il a fallu choisir des figures héroïques. Pour la majorité, ce sont des héros qui ont été mis en avant.
Les historiens n'accordaient pas une grande place au rôle des femmes lors de l'écriture des récits. Il faudra attendre plusieurs années avant de découvrir le rôle de certaines femmes comme Mary Nyanjirou au Kenya, Manikarnika Tambe et Sarojini Naidu en Inde, qui ont tout donné pour essayer de combattre les colons britanniques.
Avant de retrouver notre entretien avec les réalisateurs de Décolonisations, Karim Miské, Marc Ball et l’historien Pierre Singaravélou, Terriennes a choisi de vous présenter trois d'entre-elles.
Mary Nyanjirou est une activiste kényane. Voulant fuir au destin tragique des femmes dans les terres pendant la colonisation britannique, elle décide d’aller à Nairobi la ville de tous les possibles. Dans la capitale, le sort des femmes n’est pas le même que dans les terres. Il n’y a pas de travail forcé à condition de respecter les colons.
L'activiste se retrouve à Pangani, le quartier réservé aux noirs de Nairobi. Les femmes y vendent leur corps, brassent de la bière et ne font pas attention à leur réputation. À Pangani, elles inventent une nouvelle société grâce à leur indépendance financière et cela leur permet d'instaurer leurs propres lois dans lesquelles les hommes n’ont pas le contrôle.
Mary Nyanjirou est surtout connue pour avoir dirigé la manifestation qui a suivi à l'arrêt du chef des Kikuyus, un anticolonialiste chrétien qui veut se battre contre le travail forcé des femmes. Mary et les femmes de Pangani rejoignent la manifestation de Nairobi, une première dans la capitale, pour récupérer Harry Kikuyu qui est toujours en prison. Souhaitant aller le plus loin possible pour le libérer, Mary prends les rênes de la manifestation.
Elle se dresse face aux dirigeants du mouvement et expose sa nudité : "Prenez ma robe et donnez-moi votre pantalon, vous les hommes vous êtes des lâches ; qu’est-ce que vous attendez, notre chef est en prison, allons le chercher. ". Chez les Kikuyu ce geste signifie que les hommes ne sont plus dignes d’exercer leur pouvoir.
Le 16 mars 1922, elle se fait tuer par les colons qui tirent sur les manifestants. À ce moment-là les Britanniques pensent avoir étouffé la résistance. Bien au contraire, le nom de Mary Nyanjirou est évoqué par les résistants lors des veillées et en allant combattre les colons.
Manikarnika Tambe est une princesse indienne de la région de Jhansi. Dès son plus jeune âge, elle apprend à se battre, à monter à cheval, des activités alors réservées aux hommes. Mariée au Maharaja de Jhansi qui décède, les Britanniques en profitent pour indexer la région de Jhansi.
Etant la seule héritière du Maharaja, Manikarnika Tambe décide à se tour de monter sur le trône et organise la résistance ainsi qu'un bataillon de femmes combattantes. Elle mène la lutte anticoloniale de 1857 à 1858, pendant la révolte des Cipayes, en s'opposant principalement à la compagnie des Indes orientales, une société privée britannique qui possédait sa propre armée de 250 000 soldats.
Le 2 avril 1858, un général britannique ordonne de percer la forteresse du palais, Manikarnika Tambe arrive à s’enfuir, mais beaucoup de ses résistants Cipayes meurent.
Ne voulant pas renoncer à la résistance, elle rejoint les derniers princes indiens et part une dernière fois à l’assaut avant de mourir les armes à la main. La princesse deviendra par la suite une figure iconique de l’Inde moderne et inspirera une nouvelle génération d’Indiens à organiser la résistance et à combattre les colons britanniques.
Terriennes: L’engagement des femmes dans la décolonisation va-t-il mener à la modernisation du statut social des femmes ?
Marc Ball : L’engagement des femmes dans le processus de décolonisation illustre aussi toute la question des dominations internes. C’était très important pour nous d’illustrer cette dimension de la lutte et de la libération. En cherchant à se libérer de l’oppression coloniale, il y a aussi toutes les dominations et oppressions internes dont il faut se libérer. D'où l'importance d'un personnage comme Sarojini Naidu qui va défendre l‘indépendance l'Inde aux États-Unis et qui rentre en Inde pour émanciper ses sœurs, les femmes. Donc on voulait montrer qu’à travers ce processus de libération d’une oppression, qui est l’oppression coloniale, il y a aussi toutes les différentes luttes qui se sont agrégées à cette lutte principale.
Terriennes : Vous avez fait le choix de mettre en avant dès le premier épisode une héroïne femme, pourquoi ce choix ?
Karim Miské : Nous avons choisi de commencer la série avec Manikarnika Tambe, la reine de Jhansi, un petit état princier en Inde parce que son histoire est extraordinaire. C’est vrai que symboliquement le fait de commencer par une femme cette série sur l’histoire des décolonisations permettait de bien montrer que les femmes ont joué un très grand rôle dans cette histoire, exactement à l’égal des hommes.