Décriminaliser la prostitution : au tour du Canada d'en débattre
Faut-il oui ou non décriminaliser la prostitution ? C’est au tour du Canada de se poser la question alors que la Cour suprême, le plus haut tribunal du pays, se penche sur le dossier le jeudi 13 juin 2013. Durant toute la journée, une vingtaine d’organismes doivent se succéder pour expliquer aux juges leurs arguments en faveur de la "décriminalisation" ou du maintien de la pénalisation de la prostitution au Canada.
Walid Hijazi, avocat qui va représenter l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia de Montréal devant la Cour suprême du Canada.
Un premier jugement C’est le gouvernement du Canada qui a porté la cause devant la Cour suprême à la suite d’un jugement rendu en 2010 par un tribunal de l’Ontario, l’une des dix provinces canadiennes, qui a invalidé les trois articles du code criminel canadien qui criminalisent la prostitution. La Cour suprême du Canada va donc devoir décider s’il faut maintenir ou abroger ces trois articles qui interdisent de tenir une maison de débauche, de solliciter des clients et de vivre des fruits de la prostitution. Autrement dit, décider de maintenir la criminalisation de la prostitution ou la décriminaliser… Des féministes partisanes de la méthode douce L'Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia de Montréal, d’études féministes, est en faveur de la décriminalisation de la prostitution car il estime que les lois actuelles empêchent les travailleurs du sexe, et surtout les travailleuses, d’exercer leur métier en toute sécurité. Viviane Namaste, professeur titulaire de l’Institut, m’a expliqué qu’ils ne veulent pas prendre position pour ou contre la prostitution, mais qu’il faut reconnaître qu’elle existe et donc se demander comment offrir à ceux et celles qui pratiquent ce métier le plus de sécurité possible. « Nous voulons regarder la situation d’un point de vue strictement juridique et non d’un point de vue moral », précise Mme Namaste. L’Institut veut donc dans un premier temps expliquer aux juges de la Cour suprême que ce ne sont pas toutes les féministes qui s’opposent à la prostitution et que plusieurs d’entre elles appuient la décriminalisation de cette activité. L’Institut va également expliquer, par la voix de son avocat, que « l’échange du sexe contre de l’argent ne cause pas, en soi, de préjudice aux femmes ». Enfin troisième argument invoqué, l’importance de la bonne communication dans le domaine de la sexualité. Autrement dit, il faut laisser aux prostituées la possibilité de solliciter et de discuter en toute liberté avec leurs clients afin de négocier le tarif, les conditions de l’échange, etc. L’un des articles de la loi canadienne criminalise actuellement cette pratique.
Emilie Laliberté, directrice de l’organisme Stella.
Des prostituées qui se défendent Une opinion partagée par l’organisme québécois Stella, qui défend les travailleuses du sexe. Stella milite depuis longtemps en faveur de la décriminalisation de la prostitution afin d’assurer le plus de sécurité possible aux travailleuses du sexe. Actuellement, une prostituée qui se fait agresser par un de ses clients ne va pas porter plainte auprès de la police car elle est dans l’illégalité. Si elle se fait arrêter, elle risque de faire de la prison, d’avoir un casier judiciaire, elle va donc préférer se taire et subir toutes sortes de violence. Stella revendique que les travailleuses du sexe bénéficient de la même protection de la part de l’État que les autres travailleurs et travailleuses du Canada. Stella n’a pas réussi à obtenir un statut d’intervenant pour venir défendre sa position devant la Cour suprême ce que déplore sa directrice, Émilie Laliberté, qui espère toutefois que les juges rendront un jugement en la faveur des prostituées. « C’est sûr que la décriminalisation ne va pas tout changer d’un coup, m’a précisé Émilie, mais ce sera un pas de plus vers la reconnaissance de nos droits fondamentaux, de notre travail et la possibilité d’avoir droit aux mêmes protections que les autres travailleurs et travailleuses au Canada, pour assurer la sécurité, la liberté et la dignité qui sont garanties à chaque citoyen de ce pays ». Stella se dit prêt à participer au travail de consultation qui pourrait s’avérer nécessaire advenant un jugement en faveur de la décriminalisation, car il y aura alors un travail de législation à faire dans ce domaine. « Nous voulons participer au processus qui suivra le jugement de la Cour suprême », a conclu Émilie. A noter que 5 des 9 juges qui siègent à la Cour suprême ont été nommés par le Premier ministre Stephen Harper, à la tête d’un gouvernement très conservateur qui s’oppose à la décriminalisation. Ces juges partagent-ils ces opinions conservatrices ? De quelle côté va pencher la balance ? En France, le débat sur la prostitution va être relancé à l'autonome avec l'arrivée d'un projet de loi globale que la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaut-Belkacem, a promis. Ce qui va remettre sur le tapis la question de la pénalisation des clients.