"Cela m’est souvent arrivé de m’interrompre en pleine conversation pour intervenir dans ce genre de situation," explique le réalisateur. Un jour, j’ai même dû me battre avec des gars que je dérangeais en plein "eve teasing" ("taquiner Eve", ndlr) : "C’est pas ta mère, c’est pas ta sœur, qu’est-ce que tu veux ?" me lançaient-ils.
Une première en Inde
Alors qu'il travaille sur un autre film avec un auteur et un directeur de casting - Pan Nalin est aussi le réalisateur de Samsara, sorti en 2001, et de La Vallée des fleurs, sorti en 2007 -, les actrices, sur le ton de la plaisanterie, les mettent au défi de faire un film avec des vraies filles : « Cela fait des années que nous attendons que quelqu’un donne des filles une image autre que celle véhiculée par les films de Bollywood ! Venez avec nous, écoutez nos conversations ! » C’est ainsi que Pan Nalin a commencé à écouter, faire des recherches et des repérages.
Il s'est inspiré d’histoires réelles, arrivées autour de lui, à des amies, à des amies d’amies ou à leur famille. "Tout a été très simple, parce que dès que cinq ou six filles se retrouvent, elles soulèvent une douzaine de problèmes que l’on ne voit jamais au cinéma. Je suis très vite entré dans leurs histoires et le reste s’est fait tout naturellement. Au bout d’un moment, je n’aurai pas pu passer le scénario à un autre, ni même à une autre," se souvient le réalisateur.
7 filles dans le vent
Déesses indiennes en colère raconte l'histoire de sept amies qui se retrouvent à l'invitation de l'une d'entre elles pour un mariage surprise. Les retrouvailles donnent lieu des cris de joie et des embrassades dignes d'une série américaine. Ce sont peut-être ces explosions de joie presque hystériques qui trahissent le réalisateur : les filles auraient-elles tendance à friser ces excès si le film avait été réalisé par une femme ? "Non ! proteste Pan Nalin en éclatant de rire. Ce genre d'effusions est devenu tout à fait courant ici, à force de regarder des séries anglophones, les filles ont adopté les comportements américains."
Ces femmes, un événement tragique va les transformer en tueuses vengeresses - comme la déesse Kali qui, dans la religion, revient à chaque fois sous un nouvel avatar, en colère, pour redresser les torts. Parmi elles, une photographe de mode, une chanteuse, une actrice, une femme d'affaires, une activiste... Ni faire-valoir, ni sœur, ni "putain", ni maîtresse, elles discutent carrière, sexualité, amour ou frustrations, elles évoquent leurs rêves, leurs désirs et leurs peurs, offrant une plongée dans la société indienne contemporaine.

"Au début, ma préférée était Madurita, la chanteuse, dit Pan Nalin. J’ai des amies qui se sont trouvées dans sa situation : le succès est inaccessible si vous ne passez pas par Bollywood, même avec un talent fou, que vous soyez fille ou garçon. Le cinéma a tué la chanson indépendante en Inde. C’est un problème dont personne ne parle parce qu’il est mineur par rapport au viol, par exemple."
► Notre dossier "L'Inde face aux viols"
Homosexualité
C’est pourtant une église chrétienne qui accueille un mariage gay. "Je me suis inspiré d’une histoire réelle, explique Pan Nalin. Il y en a quelques-unes comme cela, comme celle de ce notaire qui avait fait signer un pacte civil à deux hommes – il a été renvoyé." Les chrétiens seraient-ils plus tolérants que les hindous ou les bouddhistes ? Non, répond Pan Nalin "Dans le film, c’est juste que la mariée connaît le prêtre depuis qu’elle est toute petite, à Goa. Mais elle a eu du mal à lui faire admettre son mariage avec une autre fille. Cela dit, il est vrai que beaucoup se sont convertis au christianisme, et au bouddhisme, qu'ils en avaient assez du système des castes de la société hindoue. "
Censure et menaces
Autant de sujets délicats et ambitieux pour un film difficile à financer et dangereux à assumer. Son réalisateur a d'ailleurs vu certaines scènes censurées par les autorités en Inde et a reçu des menaces de mort des extrémistes.
De fait, le Conseil central de certification des films (CBFC) a demandé à ce que toutes les images de déesses soient floutées, plusieurs coupes ont été exigées et toutes les expressions familières ou vulgaires ont dû être rendues inaudibles, parce qu'utilisées par des femmes. "Ils n’ont pas aimé la superposition entre la déesse Kali et ces femmes qui boivent et qui fument. Ils n’ont pas aimé voir des filles qui se rincent l’œil en regardant un garçon laver sa voiture, et encore moins qu’elles disent, en croisant le même garçon alors qu’elles se rendent au restaurant : 'Tiens, voilà le déjeuner qui vient à nous'.
Une vague de protestations et de soutien au film a vu le jour. Les voix se sont élevées pour protester que tous les films de Bollywood ne montrent les femmes que comme des potiches ou des objets de désir - sans être jamais coupés.
Pan Nalin a fait l'objet de menaces de mort par textos et appels téléphoniques provenant d'ultra-conservateurs qui lui annonçaient notamment qu'il "mourrait comme les caricaturistes de Charlie Hebdo". Il s'y attendait, dit-il : "Eux non plus ne supportent pas que l’on montre des femmes en short qui boivent et qui fument. Ni qu’on les mette en parallèle avec les déesses indiennes. J’ai pris des précautions, mais les menaces ne m’ont pas pas arrêté…"