Denis Mukwege, inlassable combattant des droits des femmes donc de la paix

Le Dr Denis Mukwege a reçu, lundi 10 décembre, à Oslo, le Prix Nobel de la paix. Fin 2014, c'est le Parlement européen qui lui remettait le Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit. Une récompense méritée pour couronner l'action discrète et remarquable de cet homme. Denis Mukwege est certes un guerrier, mais un guerrier pacifique, qui combat la guerre, à mains nues ou gantées, armes du médecin gynécologue qu'il est et qui oeuvre pour sauver les femmes de son pays, la République démocratique du Congo, depuis plus de vingt ans.
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Humilité et action
Le Dr Mukwege au milieu des siens à Lemara, Sud Kivu - AFP
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Le Docteur Mukwege est colauréat du Nobel de la Paix avec l'activiste kurde Nadia Murad. Tous deux ont reçu leur prix, ce 10 décembre 2018. L'occasion pour chacun d'entre eux de livrer un discours important. 

Le médecin congolais a appelé la planète à cesser d'ignorer les victimes de violences sexuelles en temps de conflit. "Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes,mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard", a affirmé le gynécologue de 63 ans à la tribune. "S'il faut faire la guerre, c'est la guerre contre l'indifférence qui ronge nos sociétés aujourd'hui.
 

“Je pense aux survivantes de la violence sexuelle partout dans le monde“

Le Docteur Mukwege s'exprimait le 22 octobre 2014 dans le journal de TV5MONDE à l'annonce de cette récompense, le prix Andreï Sakharov décerné par le Parlement européen : "En mettant un coup de projecteur sur l'Est de la RDC, les Européens vont aider ces femmes. Abandonner mon pays serait abandonner les femmes que je soigne."

Il y a quatre ans, c'est sur le plateau de TV5MONDE que le Docteur Mukwege réagissait au prix Sakharov qui lui était remis :
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Humilité et action

Il avait déjà été couronné par un prix de consolation : le gynécologue recevait le 21 novembre 2013 des mains du président français François Hollande, le prix de la Fondation Chirac. Un mois plus tôt, elles étaient venues en nombre à Paris, ces femmes de République démocratique à Paris, fervents soutiens au Dr Mukwege, pour assister au lancement du partenariat entre Terriennes et le Forum mondial des femmes francophones (FMFF). C'est leur groupe qui avait porté la candidature du médecin devant l'académie Nobel. Et pourtant, elles n'étaient pas déçues, contrairement à celles qui travaillent sur place aux côtés du gynécologue : "l'important, c'est qu'il est été 'nominé', qu'on aura beaucoup parlé de son action", disaient-elles d'une seule voix.
 
"Le viol est devenu non seulement une arme mais la pierre angulaire d'une stratégie guerrière. Ce sont de viols méthodiques accompagnés de tortures qui signent cette stratégie…" Voilà quelques une des paroles si fortes que le Dr Denis Mukwege prononçait en janvier 2013 sur le plateau de TV5MONDE, alors qu'il s'apprêtait à repartir en République démocratique du Congo, pour y reprendre son travail là où il l'avait laissé après avoir été sauvagement attaqué deux mois plus tôt.
 

L'homme qui aimait les femmes

Le combat du gynécologue Denis Mukwege dérange. Dans sa République démocratique du Congo (RDC) natale, plus particulièrement au Sud Kivu (au centre Est de cet immense pays), la région d'où il vient, le médecin soigne chaque année des milliers de filles et femmes victimes de viol, utilisé comme une arme de guerre par les groupes armés. Une arme destinée "à tracer une frontière sur le corps des femmes" dit le sociologue français Eric Fassin.

Dans cette région, en proie à une guerre de territoires, sans merci, les exactions se succèdent aux exactions, et les femmes en sont les premières victimes. 

La journaliste Chouchou Namegabe Nabintu, qui a fondé l'Association des femmes des médias du Sud-Kivu décrit ainsi les ravages de ce conflit inter-ethniques, et le viol comme stratégie de conquête : "Il ne s'agit pas de soldats qui assouvissent leur pulsion sexuelle. C'est autre chose qui se passe. C'est une stratégie militaire pour contrôler la région. Après le viol, ils font des choses atroces. Ils coulent du plastique sur les vagins, ils y introduisent des objets, ils tirent dans les vagins, ils brûlent... Ce sont des histoires inimaginables. Et comme nous sommes dans une culture de l'impunité, les civils copient les hommes armés et se mettent eux aussi à violer. Le corps des femme est devenu un instrument de jeu."

Plus de 200 000 viols ont été perpétrés depuis 1996.
Denis Mukwege, inlassable combattant des droits des femmes donc de la paix
L'entrée de la clinique du Dr Mukwege à Lémara
 

Indestructible

Dans sa clinique de Lemara, plusieurs fois détruites, dont la première fois en 1996, le Dr Denis Mukawage tente donc de réparer donc ces victimes d'un féminicide qui ne dit pas son nom en tentant de redonner vie et forme aux organes génitaux des femmes qui ont subi ces sévices sexuels. Pour approfondir sa pratique, le Dr Mukwege est aussi allé à la rencontre de femmes de Bosnie, violées ou suppliciées durant la guerre des Balkans.

52 femmes, personnalités du monde entier, dont des figures de la politique française, ont signé une pétition en août 2013, appelant à la création d'un Tribunal pénal international pour juger ceux qui ont bafoué les droits humains dans l'est de la République démocratique du Congo en particulier ceux qui ont fait du viol une arme de guerre. Un appel resté sans réponse jusque-là. Une démarche en écho à la première "Marche mondiale des femmes", passée par Kinshasa.

Habitué des "nominations" et des récompenses, il a reçu de multiples prix pour son engagement - prix Olof Palme, prix des Droits de l'homme des Nations Unies, prix prix français des Droits de l'homme, et le dernier en date, le le prix "Right Livelihood", considéré comme un "Nobel alternatif", en septembre 2013.
 

Le Dr Mukwege décrivait en janvier 2013 « des viols planifiés et méthodiques » dans l'est de la RDC :

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