Fil d'Ariane
Denise Bombardier est partie à l'âge de 82 ans. Visage bien connu du paysage audiovisuel canadien pour son talent d'intervieweuse, l'animatrice et essayiste se disait accro à la controverse et à la polémique. En 1990, sur un plateau de télévision, elle n'avait pas hésité à s'en prendre à l’écrivain Gabriel Matzneff, alors qu'il se vantait de ses aventures avec des mineures.
Denise Bombardier, disparaît à l'âge de 82 ans. Grande intervieweuse, et autrice de nombreux ouvrages, elle a commencé sa carrière à Radio Canada à 12 ans.
Journaliste, essayiste, auteure, animatrice, Denise Bombardier disait tout haut ce que d'autres pensaient tout bas. Elle a vécu à l'instar du titre de son autobiographie, Une vie sans peur et sans regret. Mais pas sans panache. Denise Bombardier est décédée chez elle, entourée de ses proches, ce 4 juillet 2023 à l'âge de 82 ans, à la suite de complications qui ont suivi des examens médicaux.
Denise Bombardier est née en pleines guerres. La Deuxième, mondiale, et celle qui déchirait son foyer, où son père cruel et méchant ne l’appelait même pas par son prénom.
De quoi être mortellement atteinte. Pas elle. Lorsqu’on lui demandait si elle se trouvait hors norme, elle répondait oui. Oui, parce qu’autrement, elle n’aurait pas survécu à cette maison de fous sur la rue de Gaspé, dans le même quartier que celui où avait vécu René Angélil, soulignait-elle.
C’est sa mère, ses tantes et sa grand-mère qui ont permis à la jeune Denise de prendre sa vie à pleines mains. À trois ans, sa mère l’inscrit au célèbre cours de diction de Mme Audet, rue Saint-Hubert, celle qui a formé tant de comédiens et de comédiennes.
Denise est recrutée à Radio-Canada à seulement 12 ans pour faire des entrevues dans une émission pour enfants. C’est d’ailleurs là qu’un réalisateur la coincera dans un coin.
J’ai fait ce que j’avais à faire. Denise Bombardier
Ce souvenir ressortira de l'ombre chaque fois qu’il lui faudra dénoncer un abuseur, comme elle l'a fait à l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, en 1990. Elle s'en était alors prise à l’écrivain Gabriel Matzneff, qui se vantait de ses aventures avec des mineures.
« J’ai fait ce que j’avais à faire », expliquait-elle à propos de cette affaire, même si prendre la parole lui avait valu à l'époque d’être critiquée à son tour. À l’époque, Denise Bombardier avait été la seule à dénoncer les relations de l’auteur avec ses jeunes victimes. L’une d’entre elles, Vanessa Springora, a par la suite publié un livre autobiographique, Le consentement, qui a fait couler beaucoup d’encre en France.
« La plupart des romans de Gabriel Matzneff ne portent que là-dessus. C’est sa vie. Il a fait de la littérature avec sa vie. Mais sa vie, cela a été le malheur de centaines d’enfants sans que personne ne s’insurge. », réagit-elle sur Radio Canada au moment de la sortie du livre de Sprangora.
À l’époque, l'autrice, qui ne pensait qu’au sort des enfants, a été violemment attaquée pour sa prise de position. Elle raconte qu’on l’a traitée de « mal-baisée » et qu’on l’a accusée d’être de l’extrême droite. Toutes les épithètes me sont tombées dessus, explique-t-elle. C’est un petit milieu qui se protège, où on est prêt à admettre n’importe quoi, dit l'écrivaine au sujet de l’omerta qui régnait dans le monde littéraire en France dans ces années-là.
Dans le vieil hôtel Ford de Montréal, où se trouvaient les studios de Radio-Canada dans les années 1950 et 1960, la jeune Denise aiguise ses talents d'intervieweuse et de comédienne dans certains téléromans.
L'émission Les ondes enfantines en 1955. Sur cette photo, de gauche à droite, Denise Bombardier, Yvonne Audet (Mme Jean-Louis Audet), deux jeunes élèves de Mme Audet et Roger de Vaudreuil, réalisateur.
Ses cachets contribuent à lui payer des études, le cours classique et puis un baccalauréat ès arts, en 1964, un baccalauréat en sciences politiques, en 1968, une maîtrise en sciences politiques de l'Université de Montréal, en 1971, et un doctorat en sociologie de la Sorbonne, en 1974.
Elle passera une grande partie de sa vie professionnelle, plus de 30 ans, à Radio-Canada à titre de recherchiste, de journaliste et d'animatrice.
C’est à l’animation de Noir sur blanc, de 1979 à 1983, qu'elle imprime son style. Elle est la première femme à produire et à animer une émission télévisée d'affaires publiques. Son plateau voit défiler les premiers ministres Pierre Elliott Trudeau et René Lévesque, l’écrivaine française Benoîte Groult (dont elle deviendra une fidèle amie), Georges Simenon, la première ministre d’Israël Golda Meir, le président français Valéry Giscard d’Estaing et son successeur François Mitterrand.
Denise Bombardier mène des entrevues fouillées, sans complaisance. Elle anime Le Point avec Simon Durivage dans les années 80. En 1992, on lui confie Raison Passion. En 1998, elle entreprend la série d’entretiens Au-delà des apparences et, en 1999, toujours sous forme d'entretiens, elle anime Les Idées lumière.
Denise Bombardier, première femme à produire et à animer une émission télévisée d'affaires publiques, anime Noir sur blanc et reçoit le maire Jean Drapeau en 1981.
Lorsqu'elle quitte la société d'État, elle se tourne davantage vers l'écriture. Elle écrira une vingtaine de romans et d’essais, certains autobiographiques comme son premier opus, Une enfance à l’eau bénite. Son premier essai, paru en 1975, s'intitule La Voix de la France.
Dans la veine de la provocation, l'auteure publiera en 2000 Lettre ouverte aux Français qui se croient le nombril du monde.
En octobre 2011, Denise Bombardier coécrit avec la journaliste française Françoise Laborde Ne vous taisez plus! à la suite de l'affaire Dominique Strauss-Kahn, alors directeur du Fond monétaire international, à New York. Ce livre s’adresse principalement aux femmes. Denise Bombardier exhorte celles qui ont vécu du harcèlement à le dire tout haut. Mais elle s’adresse aussi aux journalistes, qui dans leurs portraits disent parfois de tel ou tel "c’est un homme à femmes", sous forme de compliment.
Dans un tout autre registre, Denise Bombardier publiera L'énigmatique Céline Dion après l'avoir suivie en tournée pendant un an en 2009. Elle a aussi écrit une chanson pour elle, La Diva, en 2007.
Une vie sans peur et sans regret, son autobiographie publiée en 2018, résume bien non seulement la femme, mais aussi la grande amoureuse. Les hommes, de son propre aveu, étaient une grande affaire dans sa vie. Elle a écrit plus d’un livre à ce sujet.
Les chapitres les plus connus sont ceux de Claude Sylvestre, avec qui elle a eu un fils, Guillaume (et une petite-fille, Rose). Son aventure passionnelle et tapageuse avec l’ancien premier ministre Lucien Bouchard, alors ambassadeur à Paris, a elle aussi fait la manchette. Et son deuxième époux, James Jackson, historien, lui a inspiré le roman L’Anglais, peut-être ses plus belles lignes.
L’auteure, journaliste, animatrice, productrice et essayiste ne faisait pas l’unanimité. Plusieurs l’aimaient, d’autres la détestaient, selon ses prises de position qui méritaient toujours que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour les contester.
Sous les ors de l’Élysée en 1993, alors qu’on lui décernait le titre de chevalière de la Légion d’honneur, Denise Bombardier mesurait la distance qu’elle avait parcourue depuis la rue de Gaspé jusqu'à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, où l’attendait le président Mitterrand. Elle s’était fait un nom. Elle recevra le titre de chevalière de l'Ordre du Québec en 2000.
Haussée au rang d'officier de la Légion d’honneur en 2009, elle reçoit l’année suivante le prix Reconnaissance-Francophonie du gouvernement du Québec pour sa contribution à la langue française et à la culture québécoise sur la scène internationale. Et c’est sans doute ce legs qui fera l’unanimité au Québec.