"La dernière avait 13 ans" Le professeur Chafik Chraïbi dirige le service de gynécologie obstétrique au CHU de Rabat depuis 1984. "
Chaque semaine, nous en avons une ou deux qui arrivent au service après avoir été violées, elles accouchent, et elles abandonnent leur enfant. La dernière avait 13 ans, et elle avait été violée par son père.". Fondateur de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (
Amlac), le professeur Chraibi a mené son enquête auprès de l'administration pénitentiaire marocaine en 2008 : à partir des 8500 personnes condamnées pour viol, il estime en réalité à 80 000 le nombre de viols par an. "
Les procédures sont lourdes, il faut d'abord oser parler, passer la barrière policière après avoir obtenu un certificat médical, 90% des cas passent à travers les mailles du filet."
Le professeur Chraïbi a aussi tenté de calculer le nombre d'avortements illégaux pratiqués au Maroc, "
à travers une étude plus ou moins secrète menée par des doctorantes en sociologie", et il a compté en 2012 entre 600 et 800 avortements par jour. "
J'assiste souvent à des décès et à des complications suite à des avortements mal pratiqués" explique Chafik Chraïbi, "
si une femme chercher à se faire avorter, elle ira se faire avorter quoi qu'il en soit, alors au moins faisons le dans une structure médicalisée, et dans de bonnes conditions".
La petite porte médicaleLe médecin, installé dans la capitale marocaine, est pourtant loin d'être un militant "
pro-choice" : "
mon corps m'appartient, je fais ce que je veux… Non! Au Maroc, ça ne passera pas". En revanche, il propose une approche différente, "
moi je veux entrer par la porte médicale" explique-t-il. "
Le code pénal marocain permet à une femme d'avorter si sa santé est en danger. Et la santé, comme la définit l'OMS, c'est un état de bien être à la fois physique, psychique, et social. Moi, je voudrais qu'on tienne compte du retentissement psychique d'une grossesse."
Chafik Chraibi n'est pas à cours d'exemples : "
Aujourd'hui, dans mon service, il y a une jeune fille à qui on a refusé d'avorter, elle a fait une tentative de suicide en avalant des raticides, elle a passé trois semaines en réanimation, et elle est toujours enceinte. Ca c'est du ressort du psychique, et la grossesse met clairement en danger la santé de la mère".
Le docteur Chraibi fait aussi cas de la santé sociale de ses patientes, "
si sa grossesse la marginalise, l'empêche d'avoir un emploi ou provoque son licenciement, il faut aussi en tenir compte, et lui donner la possibilité de se faire avorter". Mais attention précise Dr Chraibi, "
c'est par la voie médicale que je passe, la liberté des femmes à disposer de leur corps, au Maroc, personne de l'acceptera". Pour l'instant...