80 % des femmes déclarent avoir déjà subi des propos sexistes. 100 % ont été victimes au moins une fois de harcèlement dans les transports publics. Parce qu'elles en avaient assez de subir des agressions et qu'elles refusent la fatalité des statistiques, plusieurs femmes ont créé des applications gratuites sur mobile pour celles qui ont besoin d'aide.
Et si la peur changeait de camp ? Etre femme et ne plus être une proie.
Le sentiment d'insécurité gangrène la liberté de se déplacer, de s'habiller, de s'exprimer ; il contrarie un début de journée et peut gâcher l'épilogue d'une soirée entre ami.e.s. Remarques obscènes, sifflements évocateurs, gestes déplacés, frotteurs, insultes, harcèlement, la gamme est large de ces comportements sexistes.
Le sexisme ? Le Haut Conseil à l'égalité (HCE) donne cette définition :
"Idéologie qui repose sur le postulat de l'infériorité des femmes par rapport aux hommes".A partir d'une étude menée par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), il est possible de brosser le portrait-robot de la femme insultée. Elle a entre 14 et 29 ans et dans 70 % des cas elle ne connaît pas l'auteur de l'injure proférée, le plus souvent, dans l'espace public (66 % des cas).
"Garde ton corps", l'appli qui mise sur la proximité
Sachant cela, que faire ? Eh bien, on réagit !
Pour ces femmes fonceuses et déterminées, le ras-le-bol a été le moteur décisif.
"Garde ton corps" indique à ses utilisatrices l'endroit le plus proche où trouver refuge en cas de problème. Cela peut être un café, un magasin, un hôtel, une boîte de nuit. Une solution immédiate et bienvenue en cas de danger. Bonus : les commerçants qui acceptent de jouer le jeu, c'est-à-dire de prendre sous leur aile la personne en difficulté, trouvent là un capital sympathie non négligeable pour leurs affaires. La personne protectrice s'engage ensuite à joindre un taxi, un ami ou la police.
"Un soir, on sortait entre amies et on a eu un petit problème raconte Pauline, l'une des trois fondatrices de l'application.
Un garçon nous suivait. Du coup on a demandé de l'aide dans un bar à côté, histoire de rentrer chez nous sans que le suiveur puisse savoir où on habite. Alors, on s'est demandé ce qu'il y avait pour sécuriser les femmes et on a vu qu'il n'y avait pas beaucoup d'actions immédiatement efficaces contre le sentiment d'insécurité". Alors vient l'idée d'une application.
Pauline est professeur de yoga, Caroline est osthéopate et la troisième, Anaïs, artiste-plasticienne. Toutes trois habitent Aix-en-Provence et ne connaissent strictement rien au numérique.
Qu'à cela ne tienne.
En trois jours, elles créent une start-up et trouvent des développeurs pour réaliser le projet. Puis elles contactent la mairie d'Aix-en-Provence.
Séduite, la mairie débloque les premiers fonds, soit 20 000 euros.
L'application, gratuite, est lancée le 8 mars, Journée internationale pour les droits des femmes. Elle est pour l'instant géocontrainte, c'est à dire qu'elle ne fonctionne qu'à Aix-en-Provence. "
Tant qu'une ville ne signe pas un contrat avec nous, on ne la débloque pas. On veut réellement que la ville s'implique."
Genève va bientôt signer pour accueillir
Garde ton corps ainsi que sept métropoles françaises.
Le succès est là. Il faut dire que refuser une telle application dans sa ville peut apparaître suspect tant il y a urgence sur la question des violences faites aux femmes.
Les trois créatrices, pour l'instant, ne touchent pas d'argent, les fonds récoltés étant employés à rémunérer les développeurs qui se chargent des mises à jour.
A cette heure, l'application a été téléchargée plus de 3700 fois sur Aix-en-Provence, qui compte plus de 140 000 habitants.
Enfin, bon à savoir, chaque personne qui télécharge l'application hors zone vote, de fait, pour la recevoir chez elle :
"Cela nous permet d'avoir du poids au sein de la mairie concernée". "Bas les pattes"
En 2016, Alma Guirao, cheffe d'entreprise, est assise dans le métro. Soudain, l'usager assis en face d'elle exhibe son sexe dans l'indifférence générale. La jeune femme, sidérée, se fait insulter quelques minutes plus tard.
L'insulte de trop.
Elle lance " HandsAway" ("Bas les pattes"), une application gratuite et qui repose sur trois principes : le respect de l’anonymat, l’acte citoyen et la possibilité de s’exprimer librement.
Le but de l'application est d'alerter et de témoigner en cas d'agression sexiste. Pour se faire connaître, un clip-choc a même vu le jour.
Baptisé "Bande de bites", le film montre des phallus éperdus, un tantinet débiles, en constante recherche de plaisir. En guise de bande-son, de vrais témoignages de femmes victimes d'agression sexiste.
Efficace.
Alma Guirao est une femme d'affaires, qui travaille déjà dans le milieu des start-ups. Elle crée une
association, HandsAway, et réussit à décrocher une subvention auprès du Secrétariat d'État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes. L'application voit le jour quelque temps après. Des partenaires financiers assurent le suivi de l'affaire et des développeurs bénévoles se chargent de l'entretenir.
Les utilisatrices alertent en cas d'agression sexiste. Elle peuvent aussi témoigner.
Ce que l'on constate, c'est que ces agressions arrivent à toute heure de la journée ou de la nuit. La tenue vestimentaire importe peu.
Léa Thuillier, responsable communication HandsAway
"Nous avons à peu près 40 000 utilisateurs aujourd'hui constate Léa Thuillier, responsable des partenariats et de la communication pour HandsAway.
1300 alertes ont été postées sur l'application. Cela fait environ une cinquantaine d'alertes par mois. Nous collectons et analysons ces données-là. L'idée est d'en faire un rapport pour les pouvoirs publics, afin qu'ils réagissent. Ce que l'on constate, c'est que ces agressions arrivent à toute heure de la journée ou de la nuit. La tenue vestimentaire importe peu. Et, contrairement à une idée reçue, il n'y a pas de pics saisonniers. Mais nous remarquons que ces agressions ont lieu, souvent, sur le trajet maison-travail". Les alertes sont visibles sur l'application pendant 48 heures. "
Elles ne restent pas car on ne veut pas qu'elles soient anxiogènes. Nous allons lancer sur l'application, sur la "map", tous les lieux d'aides (commissariats de police, hôpitaux...) mais aussi toutes les associations qui pourraient potentiellement proposer de l'accompagnement juridique, psychologique etc."
Qu'on se le dise, effleurer un écran de portable peut désormais aider les femmes à se protéger.