Fil d'Ariane
Les débats furieux qui accompagnent la GPA, gestation pour autrui, autrement dit le recours à des mères porteuses, ressemblent à ceux qui entourent la pénalisation ou pas des clients de la prostitution. Ils divisent au sein de mêmes mouvements politiques, à gauche comme à droite, mais aussi parmi les féministes ou les militants des droits des homosexuels. Les uns et les autres argumentent au nom des mêmes valeurs : liberté individuelle, droit des femmes sur leur corps, intérêts des enfants.
Le 23 mars 2015, des collectifs et associations féministes manifestaient leur colère contre l'autorisation de la GPA envisagée par la Conférence de la Haye de droit international privé. Cette organisation intergouvernementale dont la mission est d’unifier progressivement les règles de droit privé entre différents pays
souhaite en effet un encadrement transnational de la Gestation pour autrui, afin de faciliter la "reconnaissance mutuelle des filiations issues de contrats de mères porteuses". Il ne s'agit en aucun cas de se prononcer sur la légalité ou le bien fondé de la GPA mais de permettre à des enfants nés dans de telles conditions d'acquérir une identité civile en conformité avec leur vie réelle.
GPA à géométrie variable, enfants fantômes ou réels
Ainsi en France, des enfants nés de mères porteuses, aux Etats-Unis, en Belgique ou en Inde, là où c'est autorisé, ne pouvaient devenir français. Jusqu'à ce qu'en juin 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France pour avoir porté atteinte à l’identité de trois enfants nés par GPA, en refusant de transcrire dans l’état civil français leur acte de filiation légalement établi aux États-Unis. Et en janvier 2015, la même cour estimait que l’Italie n’aurait pas dû séparer un enfant né d’une GPA à l’étranger de ceux qui souhaitaient devenir ses parents. Le couple avait agi dans l’illégalité, cette pratique étant interdite également en Italie.
Mais cette simple réflexion juridique équivaut à une légalisation de fait pour certaines associations féministes, lesquelles demandent aux Nations-Unis une "convention d’abolition du recours aux mères porteuses, sur le même modèle que l’abolition de l’esclavage". Une revendication née, pour les signataires de cet appel, de situations absurdes et inquiétantes qui surgissent avec cette pratique, telles des mères portant l'enfant de leur fils ou de leur fille…
Terriennes ouvre le débat avec Ana Luana Stoicea-Deram, formatrice en politiques sociales, féministe et membre du CoRP (Collectif pour le respect de la personne), signataire de l'appel contre la GPA
Si lors des échographies les parents commanditaires s’aperçoivent d'anomalies, ils peuvent demander l’interruption volontaire de la grossesse et la mère porteuse n’a rien à dire
Pour rappel, qu'est-ce que la gestation pour autrui, précisément ?
Ana Luana Stoicea-Deram :
C'est une pratique médicale, à travers laquelle une femme porte un enfant, qui peut être issu de ses propres cellules, ou non. Dans tous les cas, il y a eu fécondation in vitro, mais dans tous les cas, son enfant ne sera pas son enfant. La femme, avec une GPA, sait que du moment qu'elle se retrouve enceinte par fécondation in vitro, elle porte cet enfant pour quelqu'un d'autre. D'où le terme "pour autrui". L'enfant, dès sa conception, avec cette pratique, a vocation à être abandonné par la mère qui le porte, au moment de sa naissance.
Quel statut, quelle filiation ont les enfants nés de cette pratique ?
A-L S.D : Les enfants ont des filiations très diverses selon les Etats dans lesquels la pratique a lieu. Dans certains Etats la pratique est légale, dans d'autres la pratique n'est pas interdite, comme en Belgique. Aux Etats-Unis, certains Etats l'interdisent, d'autres ne disent rien et certains au contraire, la mettent en avant. Mais là où est mis au monde l'enfant issu d'une GPA, il est tout de suite reconnu par contrat, et donc la filiation se fait avec les parents sociaux. Il y a toujours un contrat, et ces contrats peuvent aller très loin. Très très loin.
C'est-à-dire ?
A-L S.D : Par exemple, par contrat, la personne commanditaire, peut demander les analyses médicales des parents et des grands parents de celle qui va devenir la mère porteuse.
Il y a un risque de pratiques eugénistes ?
A-L S.D : Tout à fait. Pendant la grossesse, la mère porteuse s’engage par contrat à avoir plusieurs échographies. Si lors des échographies les parents commanditaires s’aperçoivent qu’il y a des anomalies, ou bien des aspects qui les inquiètent, ils peuvent demander l’interruption volontaire de la grossesse et la mère porteuse n’a rien à dire. Si elle veut poursuivre la grossesse, ce sera à ses frais, et elle devra reconnaître l’enfant, toute seule.
Pourquoi ce refus de votre association, et d'autres, de vouloir encadrer, réglementer, la GPA, justement ?
A-L S.D : Il y a déjà des Etats qui encadrent cette pratique, notamment Israël, la Grande Bretagne et les Etats-Unis. On s’aperçoit que dans ces Etats où il y a une réglementation, les personnes quittent ces Etats pour aller faire des GPA ailleurs, là où le marché est plus abordable, on va dire. Même si tous les Etats se mettaient à réglementer ensemble fortement cette pratique, ce qui semble difficile à imaginer, il y aura toujours des personnes ou des groupes qui ne satisferont pas aux critères de ce que certains appellent de la GPA éthique. Ils pourront alors toujours aller vers le marché qui satisfera leur demande. C'est un désir d’enfant qui est à la base de la démarche, et plus précisément un enfant lié biologiquement aux commanditaires. Si ce désir doit être absolument satisfait, comment vont faire les gens qui ne rentrent pas dans les critères qui peuvent permettre une GPA ?
La GPA réglementée n’empêche pas des dérives, des choses étranges et contestables ?
Il y a eu plein de choses étranges, mais pas aux yeux de la loi. Récemment, en Angleterre, une femme de 46 ans a mis au monde un enfant qui est l’enfant biologique de son propre fils. Ce jeune homme a souhaité avoir un enfant, et a rencontré dans la personne de sa mère la femme qui a accompli son désir. Une jeune femme américaine qui ne pouvait pas avoir d’enfant, la fille d’un acteur connu, a fait porter son enfant par la quatrième épouse de son père. C’est une forme d’inceste, au moins symbolique, mais c’est de toute manière très dangereux pour les enfants que nous laissons venir au monde.
Que signifient, dans les objectifs de la Conférence de la Haye : "la reconnaissance mutuelle des filiations issues de contrats de mères porteuses" ?
A-L S.D : Il y a de nombreux pays qui sont aujourd’hui réticents à ouvrir leur marché interne à des clients internationaux, parce qu’ils veulent répondre à la demande de leurs propres citoyens. Il y a des difficultés de reconnaissances entre les Etats, et on l’a vu récemment en juin dernier avec la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour son refus de reconnaître des enfants nés de mères porteuses aux Etats-Unis. Donc, reconnaître ces liens de filiation qui ont été déjà reconnus dans d’autres pays, c’est rendre possible la reconnaissance automatique dans le pays où vivent les parents ayant acheté l’enfant issu de la GPA.
Qu’est-ce qui est le plus inquiétant, d’après vous, si la Conférence de la Haye décide cette reconnaissance transnationale ?
A-L S.D : Deux choses. La première, ce serait que l’enfant serait reconnu comme un objet de transaction. Si on peut commander la venue au monde d’un enfant, et qu’il peut être commercialisé, cela signifie que l’on peut vendre des enfants. Si l’on peut faire un contrat pour la venue au monde de quelqu’un, cela signifie que la vie humaine sera contractualisée. Et deuxièmement, pour le statut de la femme, c’est reculer de plusieurs siècles. Cela arrive au moment où deux philosophes de l’université de Nouvelle-zélande, ont proposé en février dernier, de créer un statut de « mère porteuse professionnelle ». Nous savons très bien sociologiquement que les femmes roumaines qui deviennent mères porteuses sont soit au chômage, soit des femmes seules, soit dans des situations précaires. Aux Etats-Unis, ce ne sont pas des femmes pauvres, mais avec des revenus modestes, et qui ont besoin d’argent. Quand on dit que la GPA est basée sur la gratuité et sur l’altruisme, c’est véritablement se voiler la face ! Une dernière chose me semble importante à souligner : les associations qui sont contre la GPA ne sont absolument pas contre les couples de même sexe, il y a d’ailleurs des associations homosexuelles qui militent contre cette pratique.