Des ateliers d'auto-gynécologie pour se réapproprier son corps

Les femmes témoignent de plus en plus des violences gynécologiques et obstétricales, et les récits d’insultes, d’humiliations ou d’actes non consentis sont courants. En parallèle, et depuis plusieurs années, des groupes d’auto-gynécologie s’organisent. Ils proposent un espace de parole et d’auto-observation, loin du cadre médical, pour redécouvrir son corps. Reportage dans l'un de ces lieux alternatifs à Paris. 
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Chloé et Cluny utilisent à chaque atelier différents schémas de l'appareil génital féminin pour rappeler quelques bases de l'anatomie féminine, novembre 2018, Paris

(c) Juliette Loiseau
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« Cet atelier est un espace de bienveillance et sans jugement. Vous pouvez parler si vous en avez envie, ou ne rien dire. Tout ce qui sera dit dans le cadre de cet ate-lier doit rester anonyme ». Chloé et Cluny débutent chacun de leurs ateliers en énumérant ces quelques règles « de sécurité ». Depuis près d’un an, elles animent des ateliers d’auto-gynécologie, des groupes de paroles et d’auto-observation ouverts à toutes les personnes qui ont ou ont eu des organes génitaux féminins. 

« J’ai commencé à m’intéresser à la gynécologie en 2015, avec 'Le Journal de ma chatte' » raconte Cluny, 31 ans. En 2015, elle animait un site en postant de courtes vidéos sous ce titre évocateur, chronique de son cycle menstruel. « Pendant un mois, j’ai documenté le déroulement de mon cycle menstruel. J’avais déjà en tête de m’auto-observer, sans franchir le cap. Quand je l’ai eu fait, je me suis dit que ça ne suffisait pas, qu’il fallait en parler ». C’est lorsque Chloé, 30 ans, qui a découvert l’auto-gynécologie à Toulouse, la contacte, qu’elles décident d’organiser un premier atelier d’auto-examen. « Au début, c’était avec des connaissances, dans nos salons » témoigne Chloé.
Très vite, les ateliers ont pris de l’ampleur.

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Une participante à l'atelier d'auto-gynécologie animé par Chloé et Cluny, novembre 2018, Paris 

(c) Juliette Loiseau

Nous ne sommes ni soignantes, ni formatrices, et nous ne donnons pas de conseils médicaux
Cluny, formatrice

Aujourd’hui, ils ont lieu à l’accueil de naissance, dans le 13e arrondissement de Paris. Pour ce groupe, une dizaine de femmes sont présentes, par curiosité ou par le bouche à oreille. Elles sont assises en tailleur sur des coussins de maternité, et regardent avec étonnement ou amusement un schéma d’utérus ou des livres sur le sujet. « Nous ne sommes ni soignantes, ni formatrices, et nous ne donnons pas de conseils médicaux » précise Cluny aux participantes. L’atelier commence comme un groupe de paroles. Les sujets abordés sont nombreux : contraception, cycle menstruel, examens gynécologiques, masturbation… « Ces deux heures de discussions étaient un vrai partage d’expérience, sans jugement » confie Eva-Luna, participante de 21 ans. « C’est un moment où l’on peut se mettre à nue, parler de notre corps, notre intimité, et c’est assez rare ».

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Coussins de maternité, tapis de yoga, miroirs grossissants, l'ambiance de l'atelier d'auto-gynécologie est loin de celle d'un cabinet médical

(c) Juliette Loiseau

C’est un moment où l’on peut se mettre à nue, parler de notre corps, notre intimité, et c’est assez rare
Eva-Luna, participante, 21 ans

Avant de passer à l’auto-examen, Chloé et Cluny reviennent sur quelques notions d’anatomie, comme la position du vagin, du clitoris, du col de l’utérus. Les participantes partagent leurs souvenirs de biologie et s’étonnent devant les photos de vulves. « On est peu nombreuses à regarder à quoi ressemble notre vulve et toutes persuadées qu’elle n’est pas normale ! Il y en a autant que de femmes et elles sont toutes différentes, prenez le temps d’observer », conseille Chloé. 

Pour montrer comment s’auto-examiner, la jeune femme propose aux participantes d’observer comment elle-même le fait. Pour apprendre à insérer le spéculum notamment. « Il faut être bien détendue et bien installée pour ne pas se faire mal » explique-t-elle, tout en détaillant comment positionner l'instrument. Des paravents improvisés sont aménagés pour que chacune puisse trouver l’intimité qu’elle souhaite. De leur côté, à l’aide d’un spéculum, d’une lampe torche et d’un miroir grossissant, toutes s’observent pour la première fois.

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Chloé et Cluny utilisent à chaque atelier différents schémas de l'appareil génital féminin pour rappeler quelques bases de l'anatomie féminine

(c) Juliette Loiseau

Ce groupe d’auto-examen m’a permis d’amorcer une réconciliation avec mon utérus
Julia, participante, 30 ans

« C’était génial de pouvoir s’auto-examiner ! » témoigne Eva-Luna. « Je ne m’étais jamais penché sur cette partie de mon corps. J’ai été surprise que mon col de l’utérus ne soit pas là où je croyais, bien aligné sur mon vagin ». A l’issue de l’atelier, certaines participantes évoquent leur ressenti, entre bien être et surprise. « Ce groupe d’auto-examen m’a permis d’amorcer une réconciliation avec mon utérus » confie Julia, 30 ans, à l’issu de l’atelier. « L’expérience que j’avais eu jusqu’à présent, c’était avec un gynécologue. Il me faisait un frottis, et je me sentais très mal. La seule réponse que j’ai eu, c’est que l’examen ne faisait pas mal, donc c’était dans ma tête. Une résistance s’est installée suite à cela. Vu que ce n’était pas normal ce que je ressentais dans ces moments là, j’ai préféré ne plus toucher à cette partie. Je n’ai été que deux fois chez le gynécologue dans toute ma vie. Cet atelier m’a vraiment redonné confiance en moi ».

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Un spéculum est distribué à chaque participante, lors de chaque atelier, pour pouvoir s'auto-observer

(c) Juliette Loiseau

Les féministes américaines des années 1970 adeptes de l'auto-gynécologie

Reconquérir son corps et les sa-voirs médicaux, c’est tout l’enjeu de l’auto-gynécologie. Le mouvement existe de-puis les années 1970, apparu chez les féministes américaines, en résistance à l’ordre médical. « Ces ateliers permettent de se réapproprier son corps et reprendre le pouvoir sur des connaissances réservées aux médecins » précise Cluny. « Mais l’auto-gynécologie ne sert pas à ne plus jamais aller voir un médecin, au contraire ! C’est connaître mon corps pour y aller quand j’en ai besoin ».

Ces ateliers aident à se connaître et à déceler un symptôme anormal
Lori Savignac, médecin

Pour Lori Savignac, ce ne sont pas ces ateliers qui éloigneront les femmes des gy-nécologues. Médecin généraliste formée en gynécologie, elle encourage cette articulation entre les deux. « Ces ateliers aident à se connaitre et à déceler un symptôme anormal » analyse-t-elle. « Beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs corps, elles ne savent pas ce que sont des pertes normales, à quoi leur vulve ressemblent habituellement et ce qui doit les inquiéter. Il faut connaître son corps pour déceler un symptôme qui sort de l’habitude et aller consulter au bon moment ».

Pour sa part, Olivier Graesslin, secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français jette un oeil un peu condescendant sur cette approche et semble peu sensible, quoiqu’il en dise, à cette démarche :  "Il y a une ambivalence dans l'auto-gynécologie. Apprendre à regarder, à mieux connaître son corps, sur le principe ça ne me choque pas du tout. Ma position sur l'examen en lui-même, je ne comprend pas très bien car nous les médecins on est en train de réduire les examens médicaux, et là des femmes vont s'auto-examiner alors que nous prônons une dé-médicalisation de la gynécologie. Et ce n'est pas en trois ateliers que l'on pourra reconnaître une pathologie, c'est le sens même des études de médecine. Qu'est-ce-qu'elles veulent ces femmes ? (…/…) Il n'y a aucun intérêt médical".

Mais pour le docteur Savignac, comme pour Cluny et Chloé, cet avis n'empêchera pas l’auto-gynécologie de sortir des cercles féministes, déjà sensibilisés à la pratique. « On souhaite qu’un maximum de personnes puissent accéder à ces ateliers pour découvrir leurs corps et partager leurs connaissances autour de la gynécologie » explique Chloé. « On aimerait que les personnes qui passent par nos ateliers en animent à leur tour pour que le mouvement dure ».