Fil d'Ariane
Comment dire mineur au féminin ? Mineure ? Mineuse ? Minière ? En Amérique latine, certains pays miniers résistent encore et toujours aux envahisseuses : la Bolivie, le Pérou, le Nicaragua, le Brésil et la Colombie refusent que les femmes pénètrent dans les mines. En revanche, l’Uruguay, l’Argentine, le Paraguay, l’Equateur et le Chili donnent de timides signes d’ouverture. Ici, les femmes ouvrent le chemin lentement mais sûrement et elles se forment à des métiers auparavant strictement réservés aux hommes.
Au nord du Chili, dans la Région de Atacama, où se trouve le désert le plus aride au monde, opère le géant de l’industrie minière chilienne CODELCO (Corporation nationale du Cuivre du Chili) propriété de l’Etat. A Chuquicamata, la mine de cuivre à ciel ouvert la plus grande de la planète, « Chuqui » comme l’appellent affectueusement les Chiliens, recèle à elle seule 13 % des réserves mondiales de cuivre. Ses travailleurs y sont les mieux payés du pays, avec un salaire moyen de 1600 euros contre 350 euros en moyenne que gagnent 50 % des Chiliens et Chiliennes.
La Division Ministre Hales, la plus jeune des filiales de l’exploitation cuprifère, situé à 5 kilomètres de « Chuqui », a commencé son activité en 2011. Ici, travaillent 106 femmes, soit 14% du total des employés.
Nicole finit ses études secondaires et décide donc de poursuivre ses rêves d’enfance. Avec son bac en poche, elle intègre une école pour étudier la mécanique lourde, elle veut tout apprendre sur ces gros engins qui peuplent les chantiers : « j’ai commencé d’abord par la rétro-excavatrice. Je voulais m’en sortir avec cette formation car je savais que ceci m’ouvrirait des portes. J’ai accédé à un premier job dans une mine, mais, là, je ne faisais que des tâches administratives et je ne pratiquais pas ce que j’avais étudié ».
Ce temps passé à la mine, un an tout juste, lui a permis de connaître le métier, de s’infiltrer sur le terrain et d’accroître encore plus ses envies d’appartenir à ce monde qu’elle connaissait comme étant réservé aux machos. « L’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu rentrer, travailler dans la mine, c’était ça ! Quand on me racontait que à « Chuqui » les hommes manipulaient ces grosses machines, moi je me disais 'et pourquoi pas moi'. Mais on me répétait d'oublier, que c’était mission impossible, il n’y a que deux femmes qui le font. Et moi je répliquais ‘Non ce sera moi la prochaine !!’ »
Alors, quand elle intègre le programme Aprendices, elle troque les talons pour des bottines de sécurité, son tailleur pour un bleu de travail : « Dans les épreuves et test psychologique que j’ai dû passer pendant le processus de formation, on nous a mis en situation de comment faire face à ce terrain majoritairement masculin ; de comment savoir gérer des situations, la façon de s’entendre et de se comporter ».
« Nous étions deux femmes un peu comme des cobayes, tant dans la théorie que dans la pratique. Avec nous, les recruteurs ont renforcé certains aspects et se sont appuyés sur notre expérience en vue des futures embauches. L’entreprise a intérêt que l’intégration se fasse sans encombres et dans des conditions optimales ».
Deux années se sont écoulées avant que Nicole puisse enfin prendre les commandes de son camion et pas n’importe lequel, le CAT 797F, le plus grand au monde, disposant d’une capacité de charge de 400 tonnes, une taille surdimensionnée de 14,8 m de long, 6,52 m de haut et 9,75 m de large. Du haut de son 1 m 55, elle se rappelle ce jour J, quand elle a pris les commandes de son outil de travail : « Quand j’ai vu l’engin, j’ai paniqué. Il était énorme, j’arrivais à peine à l’échelle pour me hisser dessus. Ce moment fut un mélange de sensations fortes, entre l’émotion et la peur ! Mais après, tu te rends compte qu’avec toute la connaissance acquise pendant la formation puis le stage, on peut très facilement contrôler le camion, et d’un coup l’appréhension disparaît. »
C’est un beau métier, aujourd’hui je peux affirmer que j’ai dompté la bête
Nicole Carreño, ne ressent pas du tout d’animosité envers elle-même ou les autres femmes même si « le traitement est diffèrent. Les hommes ont dû accepter le fait qu’on peut faire les mêmes boulots, on travaille à égalité et dans un esprit d’équipe ».
Dans une longue enquête réalisée en 2012 par Elizabeth Ayala, psychologue et spécialiste des ressources humaines à l’Université du Chili, les hommes se sont révélés plutôt satisfaits de la présence féminine dans le travail minier même s’ils octroient les habituels clichés sexistes à leurs consoeurs. Ainsi pour les interrogés, les femmes apportent du respect (90%), de l’amabilité (84%), de l’ordre (82%), elles humanisent les espaces de travail (82%). D’autres qualités sont moins plébiscitées : efficacité - 66% ; écoute - 64% ; rigueur et excellence dans les tâches - 63% ; passion pour le travail - 57%.
Les témoignages des femmes et des hommes (900 en total), recueillis pour l’enquête ont montré que l’une des principales difficultés d’insertion des femmes c’est que finalement, elles doivent se conformer à cette culture masculine et que pour être acceptées, elles doivent démontrer sans cesse leurs capacités techniques et intellectuelles, plus que les hommes. Ce qui n’a rien d’original...
Interrogée sur d’éventuels cas de harcèlement sexuel, Nicole réfute : « bien évidement les compliments pleuvent dans la mine. Ce n’est pas du harcèlement, ça reste bon enfant. Mes collègues hommes sont très respectueux. Avec mon expérience j’ai appris aussi à garder les distances et à agir si jamais quelqu’un dépasse les limites. Tout en restant très sociable et bonne collègue. »
« Ma devise est celui qui veut, le peut ! Toutes celles qui souhaiteraient un jour manoeuvrer un engin comme le mien, qu’elles soient corpulentes, petites ou maigrichonnes, elles pourront le faire si elles en ont l’envie et la volonté. Moi je peux témoigner, car avec un si petit gabarit, je me considère assez culotée et j’ai réussi à trouver ma place et à me sentir bien »
Notre camionneuse, en plus d’être aux commandes de « sa bête », est aussi sollicitée pour éveiller conscience et esprit chez les femmes. En mai 2014 elle était l’invitée de l ‘Expo Minas (grand salon du secteur minier) à Santiago, la capitale chilienne, avec pour mission de faire passer le message, « les filles sont les bienvenues, il faut casser les mythes et les préjugés, aujourd’hui il y a de la place dans les mines et tout est permis. Il faut continuer à se battre contre les idées reçues. Je garde ma féminité dans un monde rude, mais la force, ma force est là ».
Zulema et sa pelle hydraulique
Zulema Varas, 41 ans, mère célibataire, deux filles de 22 et 17 ans, a quitté son peuple natal Socaire, dans le nord du Chili, à l’âge de 14 ans, pour pouvoir continuer sa scolarité - dans son village, l’école s’arrêtait au collège. Une fois le lycée terminé, elle n’a pas suivi d’autres études. Très jeune maman elle doit travailler pour subvenir aux besoins de ses filles, alors elle incorpore une mine comme femme de ménage « Dans mon travail je voyais des femmes que travaillaient déjà dans la mine. Je suis devenue amie avec elles. Elles me racontaient leur travail et comment elles avaient fait pour travailler dans ce milieu. Plus j’apprenais de choses, plus tout ça m’intéressait. Avant je n’avais même pas envisagé un tel métier, je ne connaissais rien aux camions ! »
La mine El Abra (autre gisement cuprifère non loin de Calama, tout au Nord du pays) lance des appels à candidatures pour le métier de « opérateur de mines ». Pour Zulema, « c’était l’occasion ! J’ai envoyé mon cv, j’ai participé aux entretiens d’embauche. Tout s’est bien passé et je suis devenue apprenti pour conduire le Caterpillar 793. J’allais en cours, j’apprenais la théorie pour ensuite aller sur le terrain. Quand j’ai vu ces immenses camions tractopelles, c’était très excitant. J’ai travaillé presque 10 ans dans la mine de EL Abra et puis je voulais changer pour continuer à évoluer. De toute manière, cette expérience fut une vraie école pour moi, j’ai appris à conduire divers engins de plus en plus sophistiqués. »
En 2011, elle arrive à la Mine Division Ministre Hales (le conglomérat national des mines chiliennes, ndlr), comme opératrice expérimentée. « Il y avait aussi, d’autres femmes qui venaient d’autres mines. Quand j’ai commencé à travailler, la présence féminine dans les mines n’était plus un tabou. Les hommes étaient déjà habitués à voir des femmes en train de conduire la machinerie lourde. Je n’ai pas connu le mythe qui disait que les femmes ne pouvaient pas rentrer dans une mine car elles portaient la ‘poisse’ ».
Je suis montée sur un bulldozer puis la pelle hydraulique 8000. Une expérience unique
Quand ses filles étaient petites, le travail de Zulema ne s’arrêtait pas dans la mine. « J’avais un rythme de travail 7 fois 7, c’est à dire 7 journées de travail suivies de 7 journées de repos. Heureusement, j’avais une dame qui venait m’aider à la maison, elle préparait le repas et accompagnait les enfants à l’école. Mes jours de repos, c’était moi qui s’occupait d’elles. Je me suis débrouillée comme ça jusqu’à ce qu’elles deviennent plus autonomes. Ma fille aînée est aujourd’hui à l’université et la petite de 17 ans est en train de finir le lycée. En tant que mère célibataire, le fait de partir au travail, en les laissant, ça me déchirait le cœur. Il m’est arrivé de rater des dates importantes. Elles restaient avec la dame qui m’aidait et moi je devais partir au boulot. »
Zulema n’a jamais cessé de poursuivre son chemin, elle fait toujours carrière dans la mine DMH : « je suis montée sur un bulldozer, puis sur d’autres machines d’envergure jusqu’à la pelle hydraulique 8000. Pour moi c’est une expérience unique. Et je suis, depuis septembre 2014, aux commandes de la pelle hydraulique, la PC8000 un vrai monstre d’acier de 10 mètres de haut et de 700 tonnes. Ma principale motivation ce sont mes filles, j’aime mon métier mais je fais ça pour elles ! Pour les aider à se procurer une vie agréable. Ma carrière, mon travail c’est mon plus beau cadeau pour elles ».
Elle veut leur donner la chance qu’elle n’a pas eue : « je pense m’arrêter dans 15 ans, quand ma fille cadette aura terminé l’université. Au Chili, les études ne sont pas données. A ce moment là, je pourrai penser à ma retraite. » Elle leur raconte ses journées de travail et le fonctionnement de la mine : « elles sont très enthousiastes surtout parce qu’elles sentent combien j’aime ce métier, c’est pour ça que j’aimerais aussi transmettre mon savoir faire à d’autres femmes ».
En décembre 2014, Zulema a été élue « femme de l’année » du grand secteur minier de la région du Nord du Chili.
L’interdiction d’accès à la mine faite aux femmes faisait écho à une superstition ancestrale selon laquelle, la seule présence de la gent féminine portait malchance à l’activité minière. Dans les récits anciens, hérités des Indiens, les mines, représentées comme des dames, étaient capricieuses et devenaient impossibles à contrôler si leurs semblables osaient pénétrer dans leurs territoires. Alors, principe de précaution oblige, les hommes ne les laissaient pas franchir les limites, par peur que cet esprit jaloux agisse en provoquant des malheurs. Aujourd’hui la croyance a presque disparu, au moins officiellement.
A cette pensée magique, s’ajoutait la loi qui ne les autorisait pas à réaliser des travaux souterrains, selon le code du travail chilien et son article 15 : « Les femmes ne peuvent pas occuper des tâches souterraines, ni des travaux qualifiés comme étant trop lourds à leurs forces et dangereux pour leurs conditions physique ou morale propres à leur sexe ». Aberration sexiste ou bienveillance des autorités vis à vis des femmes ? Cette loi fut abolie en 1996.
Ainsi, la mine est restée un domaine du genre masculin, empreint d’une vraie culture machiste. Une étude sur la « Culture organisationnelle de la division de la mine Chuquicamata » (la mine de cuivre à ciel ouvert la plus grande de la planète) réalisée en 2002 par l’Université Alberto Hurtado, révélait un imaginaire de travail fondé sur la virilité, la force, et l’affirmation de l’homme comme unique soutien économique familial - autant de caractéristiques répandues plus largement dans la culture chilienne.
Au nom des politiques d’intégration et de parité, initiées par les différents gouvernements depuis une décennie, les Chiliennes occupent aujourd’hui une place de plus en plus importante dans le secteur minier, avec 18 000 travailleuses, soit 8% de la totalité du personnel dans les mines. Elles étaient 11 760 en 2010. La participation féminine a augmenté de 3% en dix ans. Néanmoins elles restent principalement cantonnées dans le secteur administratif (54% d’entre elles), à des postes de secrétariat par exemple, contre seulement 4,2% dans des tâches d’extraction à ciel ouvert, c’est à dire les plus techniques.
Pourtant, différents programmes de formation et d’habilitation ont été, et sont encore, proposés, autant par les entreprises que par l’Etat, afin de permettre aux femmes de travailler « au fond », et de leur ouvrir l’accès à des fonctions jusque là réservées exclusivement aux hommes.
Un coup de pouce fût donné en 2012 par l’ancienne candidate à la présidence du Chili et alors Ministre du Travail, Evelyn Matthei, avec le Programme « Mujer Minera » (Femme Minière), formation spécifique destinée aux femmes de 18 à 60 ans, chômeuses, peu éduquées, ou bien à la recherche d’un premier emploi. Ces femmes (même si le programme était aussi ouvert aux hommes) pouvaient accéder à une série de cours et stages dans des métiers inhabituels voire inaccessibles. Cette opération séduction a été évaluée positivement : 1600 Chiliennes ont ainsi bénéficié d’une formation de qualité, 206 ont obtenu des diplômes avec l’assurance d’un emploi. Avec le changement de président et de gouvernement fin 2013, le Programme « Mujer Minera » fut enterré.
Mais les entreprises minières continuent à ouvrir des nouveaux espaces aux femmes, notamment dans le transport par camions et dans l’extraction elle-même. Avec pour objectif d’atteindre en 2020 un quota de 18% de présence féminine dans le secteur minier. Autant qu'en Australie.