Fil d'Ariane
Brunes, rouges, dorées, roses, longues, à froufrous, ou décolletées. Telles sont les traditionnelles robes en chocolat, exposées chaque année au Salon qui lui est dédié et qui ravissent tant les visiteurs. Mais si ces derniers tombent facilement sur ces « femmes chocolat », c’est avec peine qu’ils trouveront des chocolatières dans les allées du Salon. En effet, seules quelques femmes se cachent parmi les enseignes masculines de renom.
A croire que le mot « chocolatière » désignerait encore uniquement aujourd’hui, cet objet du 18e siècle qui permettait la préparation du chocolat chaud ainsi que son service. Même Google le laisse penser. Bien que le mot chocolatière soit le féminin du métier de chocolatier, les premiers résultats obtenus sur le moteur de recherche, sont la proposition de machines à chocolats chauds…
Pourtant, les jeunes femmes qui se forment à ce métier, sont de nos jours aussi nombreuses que les hommes. « J’ai trois classes en CAP chocolaterie. Dans l’une j’ai 9 filles et 9 garçons, dans une autre 10 filles sur 18 élèves. Cela fait quinze ans que je suis formateur et je constate qu’il y a beaucoup plus de filles qu’avant. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs ouvert leur entreprise », explique Jean-Yves Gratien, formateur en chocolaterie à l’Ecole des métiers de la table, du tourisme et de l’hôtellerie de Paris.
Dans les écoles de chocolaterie il n’y avait pas de vestiaire pour les femmes
Valentine Tibère, chocolatologue depuis une vingtaine d’années confirme cette évolution. « Dans les années 90, je me souviens d’une femme qui voulait devenir chocolatière. Cela a été un vrai parcours du combattant pour elle. Dans les écoles de pâtisserie/chocolaterie, il n’y avait même pas de vestiaire pour les femmes! Alors elle a appris le métier directement auprès d’un chocolatier. Je pense que la chocolaterie était l’un des derniers bastions réservé à la gent masculine. Mais aujourd’hui il y’ a plein de jeunes femmes chocolatières très talentueuses », assure la spécialiste du chocolat.
A l’image des deux jeunes femmes exposantes au Salon. Alexia Santini, 28 ans, est chocolatière depuis sept ans près de Corte en Corse, bien qu’elle n’ait pas fait de CAP mais des stages chez Patrick Roger et Pierre Hermé, vedettes masculines du secteur. Et c’est notamment grâce à son père, déjà confiseur, qu’elle a pu rapidement réaliser son rêve. « C’est plutôt un métier d’homme et c’est délicat de se faire une place, mais si l’on travaille il n’y a pas de raison que ça ne marche pas », soutient la jeune femme, fière de ses chocolats au praliné "canistrelli" ou ganache aux fleurs du maquis.
Pourtant, si les chocolatières n’hésitent plus à ouvrir leur propre enseigne, les discriminations se font encore ressentir. « Certaines entreprises, surtout des petites chocolateries, refusent catégoriquement la venue de filles en stage. Je pense que c’est à cause des matériaux à porter, qu’ils estiment trop lourds pour elles », révèle Jean-Yves Gratien. Au Salon du chocolat les spécificités féminines sont également toujours soulignées, avec une journée de démonstration de pâtisseries « femmes chocolat », ou encore avec l’award (récompense) de la meilleure chocolatière. « Je ne comprends pas qu’il y ait ces distinctions. On ne devrait même plus se poser la question de la place des femmes dans le chocolat ! », regrette la cheffe pâtissière, Claire Damon.
D’autant que les femmes sont très présentes dans le monde du chocolat, notamment en tant que spécialistes, conseillères ou dégustatrices. Victoire Finaz, qui se dit « chocologue », fait partie de celles-ci. Après des études en psychologie et une thèse sur l’analyse sensorielle du chocolat, la jeune femme décide de devenir experte dans ce domaine. Elle crée alors sa propre marque de chocolat, anime des cours de dégustation, avant de se lancer dans la confection de chocolats et leurs coffrets personnalisés pour les entreprises, sous le nom « les Carrés Victoire ». Arrière-petite fille d’un chocolatier, Victoire Finaz parle aujourd’hui du chocolat avec passion et avec autant de vocabulaire qu’un oenologue le ferait pour le vin. « Les femmes qui ont repris des chocolateries sont en général des ‘filles de’. Mais le chocolat est un vrai terrain de jeu et il est fait pour les femmes créatives et passionnées », assure t-elle.
Le prix de Meilleur Ouvrier de France (MOF) pour le chocolat, n’a pourtant jamais encore été décerné à une femme. Mais la chocologue est persuadée que la « « finesse » et la « subtilité » des recettes féminines seront un jour récompensées. « Le titre de Meilleur Ouvrier est toujours au masculin. Les chocolatières sont moins nombreuses et sont donc encore mises à l’écart, mais je pense que les différences vont s’estomper. Dans dix ans, le paysage aura changé ».