Des internautes choqués par une émission politique 100 % féminine sur la BBC

Imaginez une émission diffusée en direct à heure de grande écoute, sur la chaîne britannique la plus emblématique, la BBC, avec en plateau ... six femmes, qui plus est pour parler politique : "too much" pour une partie des télespectateurs, plus habitués aux émissions 100% masculines, qui se sont déversés en critiques sur les réseaux.
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politicslive
Première émission de la saison de "politicslive" sur la BBC, lundi 3 septembre 2018, présentée par Jo Coburn, avec en plateau, six femmes et pas un seul homme.
©captureecran/BBC
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Lundi 3 septembre 2018. Rentrée générale pour les médias. A l'image de ses consoeurs, outre-Manche ou ailleurs, la rédaction de la chaîne britannique BBC lance une nouvelle émission, il s'agit ici d'une quotidienne diffusée à la mi-journée. Le "Politics live". Sorte de refonte d'une émission déjà existante, le Daily Politics, mais sous une forme plus moderne, plus 5.0. Il s'agit d'un programme en direct où l'on commente les sujets politiques du jour. Cette nouvelle formule est destinée à attirer un public plus jeune, peu intéressé en général par ce genre de thématique. 
 

Pour ce numéro un, sont rassemblées en studio autour de la journaliste présentatrice Jo Coburn, déjà bien connue de la chaîne, cinq autres femmes, deux responsables politiques, Amber Rudd et Emily Thornberry ainsi que trois journalistes, du Guardian du Daily Telegraph et de la BBC. L'image est inhabituelle pour ne pas dire, totalement inédite. Surtout quand on se remémore la bataille menée l'an dernier par les journalistes femmes de la chaîne pour obtenir un salaire égal à leurs confrères.

Certaines avaient démissionné avec fracas pour interpeller l'opinion publique. On revient de loin donc. Alors imaginez un peu, de la politique, faite et commentée par des femmes, à la télévision. On pouvait s'attendre à ce que les plus conservateurs en oublient leur légendaire flegme dit britannique. 

Tempête sur Twitter

"Qu'obtenez-vous quand six femmes s'assoient et discutent de politique sans la présence d'un homme ? Une tempête Twitter de 24 heures et une multiplication d'appels à virer les responsables de ce programme", s'insurge la journaliste Louise Ridley sur le site Pool, site d'information généraliste destiné aux femmes.

(traduction : Si c'est le cas, je pense qu'il a tort" @AmberRuddHR sur une possible offre de leadership de Boris Johnson #politicslive)

Je n’ai littéralement aucune honte à avoir un panel de femmes. Nous avons invité des personnes qui ont dit oui, puis nous avons réalisé que le meilleur panel était entièrement féminin.
Rob Burley, réalisateur

Rob Burley, le réalisateur et responsable de l'émission (et de plusieurs autres programmes d'informations sur la chaîne) a dû passer la journée entière à répondre au flux de tweets incendiaires. Lui, déclare très clairement avoir choisi les meilleur.e.s journalistes et les invité.e.s politiques les plus pertinent.e.s. "C’est la vérité absolue et cela ne devrait pas être un problème, dit-il dans plusieurs tweets, Je n’ai littéralement aucune honte à avoir un panel de femmes. Nous avons invité des personnes qui ont dit oui, puis nous avons réalisé que le meilleur panel était entièrement féminin. Si vous avez un problème avec ça, c’est vous qui avez un problème. (...) Il s'avère que nous avons fait notre plateau en fonction des réponses positives des invité.e.s que nous avions sollicité.e.s, et et finalement il ne s'agissait que de femmes"."Je ne pense pas grand chose de ce nouveau programme de femmes moroses", dit ce twittos, faisant allusion à la très populaire émission "Loose Women", qui recueille les témoignages de célébrités étalant leurs confidences sur leur vie privée. D'autres estiment qu'il ne manque plus que les scones (petits gateaux anglais) et le thé, pendant que certains dénoncent un panel totalement "PC", politiquement correct, véritable insulte chez les Anglais. 

"Des loose women, des femmes perdues"

Dans la déferlante de critiques, peu s'attaquent au fond de l'émission, aux propos échangés. Les télespectateurs choqués se sont arrêtés à l'image qu'ils voyaient à l'écran. Six femmes, pas un homme. Les mêmes n'ayant jamais protesté pour six hommes, pas une femme, la règle le plus souvent jusque là...

Ils auraient sans doute pu ou dû écouter un peu plus les débats, car outre les crises de rentrée interne de la scène politique anglaise, et du Brexit, il a aussi été question des abus en ligne auxquels les politiciens doivent faire face. Un problème auquel les femmes politiques sont bien plus confrontées que leurs collègues masculins, selon différentes études. Injures sexistes, harcèlement sur les réseaux sociaux, des thèmes peu abordés en ces heures de grande écoute sur les grandes chaînes, comme le soulignent d'autres internautes défendant le premier épisode de ce programme.
Ainsi une députée travailliste (centriste), Sarah Hayward, monte au front, et dénonce des attaques sexistes, ajoutant que lors du Newsnight, débat politique du soir très célèbre, pendant les 15 premières minutes, les plus regardées, il y avait "quatre hommes blancs !".

Mobilisation masculine également, toujours du côté travailliste, venant même de celui qui dirige le parti du Labour, Jeremy Corbyn : "Nous sommes en 2018 et c'est absolument absurde de suggérer que ce line up était un gadget".
Cet autre twittos relève lui avec ironie, que ceux qui critiquent ce panel 100% féminin ne s'offusquent guère lorsqu'il s'agit d'un panel 100% masculin... "Très amusé par ces hommes qui soudain s'inquiètent de la représentation égale des hommes et des femmes lors des débats télévisés, alors que jusqu'ici, les émissions totalement masculines ne les choquaient pas...", commente-t-il postant une capture d'écran de quelques-uns de ces tweets critiques.

Une seule femme politique présentatrice en 28 ans

"Depuis plus de 25 ans, les talk-show (débats télévisés) font partie de la télévision britannique, de 'Mock the Week' à 'Newsnight' en passant par 'Have I Got News For You'. Mais jusqu'à présent, de tels spectacles ont été dominés par des hommes. (...) Prenez 'J'ai des nouvelles pour vous' : au cours de ses 28 ans d’histoire, le spectacle a été présenté par 11 politiciens, mais une seule, Ann Widdecombe, était une femme. Alors vous pouvez imaginer le choc provoqué par la décision de la BBC de choisir une programmation entièrement féminine pour le premier épisode de sa nouvelle émission 'Politics Live'", écrit la journaliste Susan Devaney sur le site Stylist

Mais comme après tout ouragan virtuel, les comptes twitter et autres réseaux sociaux se refroidissent aussi vite qu'ils s'embrasent, comme ici dès le numéro 2 de l'émission. Il faut dire que cette fois, il y avait deux hommes en plateau. Avant de s'embraser à nouveau car le réalisateur a dû à nouveau se défendre, cette fois sur le manque de diversité politique sur son plateau dénoncé par certains internautes. Une tempête chasse l'autre...
#yaduboulot