A 13 ans, Olivia Zinnah rêvait de devenir médecin. La première fois qu’elle en avait rencontré un, l’adolescente, née dans une zone rurale du
Libéria, avait six ans, elle venait de se faire violer. “Olivia était une petite fille très spéciale. Elle nous a tous touchés. Elle disait toujours qu’elle voulait devenir comme moi quand elle serait grande”, se souvient son médecin, Dr. Wilhelmina Jallah. Les années qui ont suivi ont été rythmées par des visites régulières à l’hôpital JFK de
Monrovia. Principalement pour l’entretien du sac de stomie (sorte d’anus artificiel, ndlr) qu’elle devait porter en permanence sur son ventre, conséquence des graves blessures internes causées par l’agression. Peu avant ce dernier Noël, Olivia a développé une occlusion intestinale. Malgré une intervention chirurgicale d’urgence, Olivia est décédée à la fin du mois de décembre 2012. "Au Liberia, 68% des victimes de viol ont entre 10 et 19 ans" Ce sont des histoires comme celles d’Olivia qui ont poussé le
Nobel Women’s Initiative (NWI), une délégation formée de quatre lauréates du prix Nobel de la paix (
Jody Williams,
Shirin Ebadi,
Mairead Maguire et
Leymah Gbowee), à se rendre au Libéria au début de l’année 2013 dans le cadre de leur campagne internationale contre les violences faites aux femmes. Au Liberia, 68% des victimes de viol ont entre 10 et 19 ans selon un
rapport de la
Mission des Nations Unies au Libéria (UNMIL). “Le viol affecte toutes les régions du monde, mais dans certains pays en proie à des conflits violents, le nombre de cas de violences sexuelles et de viols est alarmant. Nous devons donc nous focaliser sur ces Etats”, explique la nord-irlandaise Mairead Maguire, récipiendaire du prix Nobel de la paix avec son mari en 1976. Les femmes libériennes, "objets sexuels de leur mari" Créé en 2006, le Nobel Women’s Initiative (NWI) s’est donné comme mission de combattre les violences faites aux femmes en soutenant le travail d’activistes et différentes organisations de femmes à travers le monde. Selon Leymah Gbowee, militante libérienne pour la paix en Afrique et co-lauréate du Nobel en 2011, le taux de viols particulièrement élevé dans son pays s’explique entre autre par la stigmatisation des femmes en tant “qu’objets sexuels de leur mari” et “machines à faire des bébés”, ainsi que par l’utilisation du viol comme arme de guerre durant les 14 années du conflit interne qui a déchiré le pays. Sans oublier la culture de l’impunité qui continue de régner et contribue au sentiment d’insécurité que vivent la plupart des femmes. “Les seigneurs de guerre qui se promènent librement dans le pays contribuent à alimenter le démon qui hante les femmes de ce pays”, ajoute-t-elle. Des "huttes de paix" pour briser le silence Une tragique réalité que les six militantes ont pu observer à
Totota où les femmes se battent toujours pour obtenir justice. Dans la petite bourgade, comme dans d’autres villes et villages isolés du Libéria, des femmes ont décidé de palier l’inaccessibilité et à l’inefficacité du système de justice du pays en formant les “huttes de paix”, où elles agissent en tant que médiatrices et juges dans les cas de violences sexuelles et domestiques. Ces dernières affirment que les femmes sont de plus en plus nombreuses à rapporter les cas de viols, malgré les risques de stigmatisation qu’elles encourent. Malheureusement, les poursuites devant les tribunaux restent toujours rares. Selon la Procureure générale Felicia Colemen, seulement 30 cas ont été déférés devant les tribunaux depuis la création par le gouvernement libérien, en 2008, d’un tribunal spécial pour lutter contre le viol et les violences sexuelles. Seulement une poignée d’accusés ont été condamnés à une sentence de prison. Les autres, comme le violeur d’Olivia, continuent à vivre en liberté, impunis. La solution ? L'éducation Pour Shirin Ebadi, avocate iranienne et prix Nobel de la paix 2003, emprisonner les violeurs ne suffit pas. “La violence sexuelle prend racine dans la société patriarcale, laquelle considère la femme comme une créature subordonnée à l’homme. Il faut garder en tête que les femmes transmettent elles mêmes cette culture patriarcale. Tous les hommes qui ont commis des violences sexuelles envers les femmes ont été élevés par leur mère. La solution est l’éducation”, soutien-t-elle.