Désinformation genrée : pourquoi les femmes sont-elles victimes de haine en ligne

Sexisme, misogynie et mensonges, un cocktail particulièrement nocif et dévastateur qui compose le phénomène de "désinformation genrée". Des attaques et infox en ligne qui visent les femmes partout dans le monde, en particulier celles qui sont engagées en politique, en cherchant à ternir leur réputation, sapant leur crédibilité et, souvent, nuisant à leur carrière.
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©AP Photo/Boris Grdanoski
Quand l'actuelle ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, était candidate à la chancellerie en 2021, elle a fait l'objet de campagnes de désinformation qui mettaient en doute ses capacités à occuper le poste. 
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©capture d ecran/ site she-persisted.org
Dans un rapport, l'experte en égalité de genre Lucina Di Meco démonte les mécanismes de la désinformation genrée dont les femmes sont le plus la cible, dans les médias et sur les réseaux sociaux, en particulier quand il s'agit de femmes occupant des postes politiques ou publics. 
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Fausses photos montrant la première dame d'Ukraine bronzant seins nus, faux sous-titres vidéo accusant des féministes pakistanaises de "blasphème", clips au ralenti décrivant à tort des femmes politiques "ivres" : les femmes sont les cibles "privilégiées" et "choisies" d'une campagne mondiale de désinformation sexiste et genrée.

De nombreuses campagnes ont visé au cours de ces dernières années des femmes politiquement actives ou liées à des politiciens de premier plan, par l'utilisation de fausses informations ou d'images trafiquées, souvent à connotation sexuelle.

Retrouvez notre article ►​Cyberviolence, cyberharcèlement : #SalePute, un film qui met en lumière la haine des femmes sur Internet

Olena Zeleska, première dame d'Ukraine visée

En 2022, une image manipulée de la première dame d'Ukraine, Olena Zelenska, seins nus sur une plage en Israël, a été largement diffusée sur Facebook, suscitant des critiques selon lesquelles elle s'amusait alors que son pays était en guerre.

Faux. La femme figurant sur la photo était en fait une présentatrice de télévision russe, comme l'ont démontré les journalistes chargés de vérifier les informations à l'agence France Presse.

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La Première dame ukrainienne Olena Zelenska ici aux côtés de son mari lors d'élections à Kiev, en Ukraine, le dimanche 21 juillet 2019, a été la cible d'une campagne de décrédibilisation sur les réseaux sociaux.
©AP Photo/Evgeniy Maloletka

Autres victimes de campagnes de désinformation : l'ancienne première dame américaine Michelle Obama et l'actuelle première dame française Brigitte Macron. Des fausses informations affirmaient qu'elles étaient nées de sexe masculin.
 

Les femmes, en particulier si elles occupent des postes de pouvoir, sont victimes de désinformations en ligne.
Maria Giovanna Sessa, chercheuse à l'ONG EU DisinfoLab

En 2020 aux Etats-Unis, celle qui incarne le camp démocrate anti-Trump au Congrès américain est la cible d'images truquées. Dans un montage vidéo, Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants est filmée au ralenti, l'effet obtenu rend son élocution difficile et donne l'impression qu'elle est ivre. La vidéo est devenue virale.

"Les femmes, en particulier si elles occupent des postes de pouvoir, sont victimes de désinformations en ligne", assure Maria Giovanna Sessa, chercheuse à l'ONG EU DisinfoLab.

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La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi est régulièrement visée par des campagnes de dénigrement par ses adversaires du camp conservateur et soutiens de Donald Trump.
©AP Photo/J. Scott Applewhite

"Peu fiables", "trop émotives" ou comment
décrédibiliser les femmes politiques

Dans les tactiques de désinformation généralement employées par leurs opposants, les femmes politiques sont parfois présentées comme peu fiables, trop émotives ou aux mœurs trop légères pour exercer une fonction officielle.

Quand l'actuelle ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, était candidate à la chancellerie en 2021, elle a fait l'objet de campagnes de désinformation qui mettaient en doute ses capacités à occuper le poste. 

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Lucina Di Meco, experte en égalité des sexes et défenseure des droits des femmes.
©capture d ecran/ site she-persisted.org

La désinformation conduit souvent à "la violence politique, à la haine et à la dissuasion des jeunes femmes d'envisager une carrière politique", selon une étude intitulée "Monétisation de la misogynie", publiée en février 2023 par Lucina Di Meco. Experte en égalité des sexes, elle a co-fondé #ShePersisted, une initiative mondiale pour lutter contre la désinformation sexiste et les attaques en ligne contre les femmes en politique.

Cette étude publiée par #ShePersisted est le résultat de plus de deux ans de recherches sur les schémas et les motifs de la désinformation genrée dans plusieurs pays. "Il apporte de nouveaux éclairages à cette question ainsi qu'une réponse claire : le problème réside moins dans la misogynie en soi que dans sa militarisation par des acteurs obscurs – et sa monétisation par les plateformes numériques", analyse Lucina Di Meco dans le journal britannique The Guardian.

"Fait troublant, nous avons constaté que des attaques en ligne vicieuses ciblaient non seulement les femmes en politique, mais leurs familles aussi, avec de plus en plus de menaces de viol contre leurs jeunes enfants, un phénomène profondément inquiétant", lit-on dans ce rapport.

Des stéréotypes renforcés

Partout dans le monde, les femmes doivent affronter des mensonges qui renforcent les stéréotypes selon lesquels elles ne seraient pas assez intelligentes ou seraient inefficaces.

En 2021, la tireuse sportive égyptienne Al-Zahraa Shaaban a été confrontée à de faux messages sur les réseaux sociaux selon lesquels elle avait été exclue des Jeux olympiques de Tokyo parce qu'elle avait tiré sur un arbitre. Cela a déclenché une vague de commentaires ridiculisant les femmes et mettant en question leur capacité à pratiquer de telles activités sportives.

Les femmes aux identités croisées sont la cible des campagnes de désinformation et de haine en ligne parmi les plus violentes et vicieuses comportant des connotations racistes, en plus d'être sexistes..
Lucina Di Meco, avocate des droits des femmes

Des questions similaires ont été soulevées quant à leur capacité à occuper des postes militaires à la suite de l'accident, l'année dernière, d'un avion de chasse F-35 sur le pont d'un porte-avions américain en mer de Chine méridionale. Des posts ont rendu la première femme au monde à piloter un F-35 responsable de l'accident. En réalité, le pilote était un homme.

"Les femmes aux identités croisées sont la cible de campagnes de désinformation et de haine en ligne parmi les plus violentes et vicieuses comportant des connotations racistes, en plus d'être sexistes", ajoute également l'experte dans son rapport.

Femmes journalistes, cibles privilégiées d'attaques en ligne

À l’échelle mondiale, les femmes journalistes et les travailleuses des médias sont confrontées à une augmentation des attaques hors ligne et en ligne et font l’objet de menaces disproportionnées et spécifiques, indique une enquête menée par l’UNESCO.


73 % des femmes journalistes interrogées affirment avoir été victimes de violence en ligne dans le cadre de leur travail. Ce taux monte à 81 % pour les femmes noires, 86 % pour les femmes autochtones et 88 % pour les femmes de confession juive.
 20 % rapportent avoir été attaquées ou agressées dans leur vie réelle dans la foulée d’épisodes de violence en ligne. Ce taux bondit à 53 % chez les femmes journalistes arabes. 

 

42 % des femmes parlementaires ont vu des images d’elles extrêmement humiliantes ou sexualisées dans les réseaux sociaux, incluant des photomontages les montrant nues. 
96 % des images « deep fakes » en ligne mettent en scène des femmes, le plus souvent connues, dans des images de pornographie non consensuelle.


Un "Petit manuel de rébellion à l'usage des femmes journalistes" concocté par "Prenons la une"

Désinformation sexiste : nouvelle arme anti-démocratique

"Ces attaques visent à affaiblir non seulement la crédibilité des femmes qui sont attaquées, mais aussi ce qu'elles défendent : l'égalité des droits des femmes, en particulier les droits sexuels et reproductifs, les droits LGBTQ+, les valeurs libérales et les démocraties inclusives et diversifiées", ajoute l'experte. Selon de nombreux chercheurs, la désinformation sexiste peut aussi être utilisée par des états autocratiques comme la Russie pour exercer une influence à l'étranger.

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Manuela D'Avila, candidate du Parti communiste du Brésil et le candidat du Parti des travailleurs à la vice-présidence Fernando Haddad, à droite, lors d'une conférence de presse, à Sao Paulo, au Brésil, le mardi 7 août 2018. Victime de harcèlement et de menaces en ligne, la candidate avait décidé de se retirer de la course. 
©AP Photo/Andre Penner

En mai 2022, Manuela d'Ávila a annoncé qu'elle ne se présenterait pas aux élections générales brésiliennes pour plusieurs raisons, notamment les fréquentes attaques qu'elle et sa famille avaient subies au fil des ans. En 2018 alors qu'elle se présentait face à Bolsonaro, une photo de sa fille de cinq ans a été partagée sur les réseaux sociaux avec une menace de viol. "Cependant, je refuse de n'être qu'un rouage du système et de m'incliner devant ces lâches. Je continue à résister malgré la haine qui m'est transmise, tous les jours", avait-elle néammoins tenu à déclarer.

"Lorsque des dirigeants autocratiques sont au pouvoir, la désinformation sexiste est souvent utilisée par des acteurs alignés sur l'Etat pour s'en prendre aux dirigeantes de l'opposition, ainsi qu'aux droits des femmes", constate le rapport à retrouver sur le site de #Shepersisted, qui cite aussi des témoignages de femmes opposantes au régime victimes de harcèlement en ligne en Hongrie.

[Les femmes de #Hongrie qui dénoncent les actions #autocratiques du gouvernement du Premier ministre Viktor #Orban font face à de vicieuses attaques #misogynes en ligne, selon un nouveau rapport de #ShePersisted]

Retrouvez notre article ►​Qui se cache derrière le cyber harcèlement sexiste, anti féministe ?

De la responsabilité des plate-formes

"Les contenus haineux, sexistes et scandaleux génèrent de l'engagement – ​​et des profits pour les plateformes", insiste l'avocate en droits des femmes.

Ne vous y trompez pas, ces tactiques, qui sont utilisées sur votre plateforme à des fins malveillantes, visent à réduire les femmes au silence et, en fin de compte, à saper nos démocraties.
Extrait de la lettre envoyée à Facebook par des législateurs américains

En 2020, plusieurs dizaines de législateurs américains et internationaux ont adressé une lettre à Facebook, l'accusant, avec d'autres plateformes, de servir de caisse de résonance aux contenus mensongers et haineux ciblant les femmes. "Ne vous y trompez pas, ces tactiques, qui sont utilisées sur votre plateforme à des fins malveillantes, visent à réduire les femmes au silence et, en fin de compte, à saper nos démocraties", peut-on lire dans la lettre. "Il n'est pas étonnant que les femmes citent fréquemment la menace d'attaques publiques (...) comme un facteur les dissuadant d'entrer en politique", écrivent les signataires de cet appel.

Notre article à relire ►​Qui est Frances Haugen, la lanceuse d'alerte de Facebook ?

La manière dont les grandes plateformes numériques sont conçues est largement responsable de l'enfer actuel vécu par les femmes en ligne.
Rapport #ShePersisted

L'autrice du rapport #ShePersisted dresse un constat d'échec vis à vis de ces plates-formes, qui, "à plusieurs reprises ne sont pas parvenues à s'attaquer aux contenus abusifs et désinformatifs envers les femmes dirigeantes politiques"."Les plateformes de médias sociaux n'ont pas réussi à protéger leurs utilisateurs ni tenu leur première promesse, celle d'être un force égalisatrice et démocratisante", déplore l'étude. "La manière dont les grandes plateformes numériques sont conçues est largement responsable de l'enfer actuel vécu par les femmes en ligne. Les récits nuisibles sont amplifiés par des algorithmes qui rendent les contenus viraux", écrit l'experte.

Reconnaissant que les abus en ligne à l'encontre des femmes constituaient un "problème grave", Facebook s'est engagé à collaborer avec les décideurs politiques pour répondre à leurs préoccupations.
"Un problème grave" ? (sic).