Fil d'Ariane
Fausses photos montrant la première dame d'Ukraine bronzant seins nus, faux sous-titres vidéo accusant des féministes pakistanaises de "blasphème", clips au ralenti décrivant à tort des femmes politiques "ivres" : les femmes sont les cibles "privilégiées" et "choisies" d'une campagne mondiale de désinformation sexiste et genrée.
De nombreuses campagnes ont visé au cours de ces dernières années des femmes politiquement actives ou liées à des politiciens de premier plan, par l'utilisation de fausses informations ou d'images trafiquées, souvent à connotation sexuelle.
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En 2022, une image manipulée de la première dame d'Ukraine, Olena Zelenska, seins nus sur une plage en Israël, a été largement diffusée sur Facebook, suscitant des critiques selon lesquelles elle s'amusait alors que son pays était en guerre.
Faux. La femme figurant sur la photo était en fait une présentatrice de télévision russe, comme l'ont démontré les journalistes chargés de vérifier les informations à l'agence France Presse.
Autres victimes de campagnes de désinformation : l'ancienne première dame américaine Michelle Obama et l'actuelle première dame française Brigitte Macron. Des fausses informations affirmaient qu'elles étaient nées de sexe masculin.
En 2020 aux Etats-Unis, celle qui incarne le camp démocrate anti-Trump au Congrès américain est la cible d'images truquées. Dans un montage vidéo, Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants est filmée au ralenti, l'effet obtenu rend son élocution difficile et donne l'impression qu'elle est ivre. La vidéo est devenue virale.
"Les femmes, en particulier si elles occupent des postes de pouvoir, sont victimes de désinformations en ligne", assure Maria Giovanna Sessa, chercheuse à l'ONG EU DisinfoLab.
Dans les tactiques de désinformation généralement employées par leurs opposants, les femmes politiques sont parfois présentées comme peu fiables, trop émotives ou aux mœurs trop légères pour exercer une fonction officielle.
Quand l'actuelle ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, était candidate à la chancellerie en 2021, elle a fait l'objet de campagnes de désinformation qui mettaient en doute ses capacités à occuper le poste.
We’re excited to launch the first report in #ShePersisted's #MonetizingMisogyny #research series on #gendered #disinformation & #digitalharms against #womenleaders in #Brazil, #Italy, #Hungary, #India & #Tunisia. https://t.co/b7wa7LxIoq
— #ShePersisted (@ShePersistedGL) February 15, 2023
What we've found is alarming: pic.twitter.com/RZuU8SNwD7
La désinformation conduit souvent à "la violence politique, à la haine et à la dissuasion des jeunes femmes d'envisager une carrière politique", selon une étude intitulée "Monétisation de la misogynie", publiée en février 2023 par Lucina Di Meco. Experte en égalité des sexes, elle a co-fondé #ShePersisted, une initiative mondiale pour lutter contre la désinformation sexiste et les attaques en ligne contre les femmes en politique.
Cette étude publiée par #ShePersisted est le résultat de plus de deux ans de recherches sur les schémas et les motifs de la désinformation genrée dans plusieurs pays. "Il apporte de nouveaux éclairages à cette question ainsi qu'une réponse claire : le problème réside moins dans la misogynie en soi que dans sa militarisation par des acteurs obscurs – et sa monétisation par les plateformes numériques", analyse Lucina Di Meco dans le journal britannique The Guardian.
"Fait troublant, nous avons constaté que des attaques en ligne vicieuses ciblaient non seulement les femmes en politique, mais leurs familles aussi, avec de plus en plus de menaces de viol contre leurs jeunes enfants, un phénomène profondément inquiétant", lit-on dans ce rapport.
Partout dans le monde, les femmes doivent affronter des mensonges qui renforcent les stéréotypes selon lesquels elles ne seraient pas assez intelligentes ou seraient inefficaces.
En 2021, la tireuse sportive égyptienne Al-Zahraa Shaaban a été confrontée à de faux messages sur les réseaux sociaux selon lesquels elle avait été exclue des Jeux olympiques de Tokyo parce qu'elle avait tiré sur un arbitre. Cela a déclenché une vague de commentaires ridiculisant les femmes et mettant en question leur capacité à pratiquer de telles activités sportives.
Des questions similaires ont été soulevées quant à leur capacité à occuper des postes militaires à la suite de l'accident, l'année dernière, d'un avion de chasse F-35 sur le pont d'un porte-avions américain en mer de Chine méridionale. Des posts ont rendu la première femme au monde à piloter un F-35 responsable de l'accident. En réalité, le pilote était un homme.
"Les femmes aux identités croisées sont la cible de campagnes de désinformation et de haine en ligne parmi les plus violentes et vicieuses comportant des connotations racistes, en plus d'être sexistes", ajoute également l'experte dans son rapport.
"Ces attaques visent à affaiblir non seulement la crédibilité des femmes qui sont attaquées, mais aussi ce qu'elles défendent : l'égalité des droits des femmes, en particulier les droits sexuels et reproductifs, les droits LGBTQ+, les valeurs libérales et les démocraties inclusives et diversifiées", ajoute l'experte. Selon de nombreux chercheurs, la désinformation sexiste peut aussi être utilisée par des états autocratiques comme la Russie pour exercer une influence à l'étranger.
En mai 2022, Manuela d'Ávila a annoncé qu'elle ne se présenterait pas aux élections générales brésiliennes pour plusieurs raisons, notamment les fréquentes attaques qu'elle et sa famille avaient subies au fil des ans. En 2018 alors qu'elle se présentait face à Bolsonaro, une photo de sa fille de cinq ans a été partagée sur les réseaux sociaux avec une menace de viol. "Cependant, je refuse de n'être qu'un rouage du système et de m'incliner devant ces lâches. Je continue à résister malgré la haine qui m'est transmise, tous les jours", avait-elle néammoins tenu à déclarer.
"Lorsque des dirigeants autocratiques sont au pouvoir, la désinformation sexiste est souvent utilisée par des acteurs alignés sur l'Etat pour s'en prendre aux dirigeantes de l'opposition, ainsi qu'aux droits des femmes", constate le rapport à retrouver sur le site de #Shepersisted, qui cite aussi des témoignages de femmes opposantes au régime victimes de harcèlement en ligne en Hongrie.
#Women in #Hungary who speak out against the #autocratic actions of prime minister Viktor #Orban's government face vicious #misogynistic attacks online, says a new report by @ShePersistedGL, @LucinaDiMeco.
— Tatev Hovhannisyan (@tahovhannisyan) March 22, 2023
Article by @lucymartiros, @openDemocracy https://t.co/bQI4l88Vj5
[Les femmes de #Hongrie qui dénoncent les actions #autocratiques du gouvernement du Premier ministre Viktor #Orban font face à de vicieuses attaques #misogynes en ligne, selon un nouveau rapport de #ShePersisted]
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"Les contenus haineux, sexistes et scandaleux génèrent de l'engagement – et des profits pour les plateformes", insiste l'avocate en droits des femmes.
En 2020, plusieurs dizaines de législateurs américains et internationaux ont adressé une lettre à Facebook, l'accusant, avec d'autres plateformes, de servir de caisse de résonance aux contenus mensongers et haineux ciblant les femmes. "Ne vous y trompez pas, ces tactiques, qui sont utilisées sur votre plateforme à des fins malveillantes, visent à réduire les femmes au silence et, en fin de compte, à saper nos démocraties", peut-on lire dans la lettre. "Il n'est pas étonnant que les femmes citent fréquemment la menace d'attaques publiques (...) comme un facteur les dissuadant d'entrer en politique", écrivent les signataires de cet appel.
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L'autrice du rapport #ShePersisted dresse un constat d'échec vis à vis de ces plates-formes, qui, "à plusieurs reprises ne sont pas parvenues à s'attaquer aux contenus abusifs et désinformatifs envers les femmes dirigeantes politiques"."Les plateformes de médias sociaux n'ont pas réussi à protéger leurs utilisateurs ni tenu leur première promesse, celle d'être un force égalisatrice et démocratisante", déplore l'étude. "La manière dont les grandes plateformes numériques sont conçues est largement responsable de l'enfer actuel vécu par les femmes en ligne. Les récits nuisibles sont amplifiés par des algorithmes qui rendent les contenus viraux", écrit l'experte.
Reconnaissant que les abus en ligne à l'encontre des femmes constituaient un "problème grave", Facebook s'est engagé à collaborer avec les décideurs politiques pour répondre à leurs préoccupations.
"Un problème grave" ? (sic).