Désir d'enfants et d'être parents: le sperme à tout prix, à tous les prix

Femmes seules, couples lesbiens, hétéros, le désir d'avoir un enfant emprunte parfois des circuits illégaux. La journaliste Sarah Dumont livre une enquête inédite sur les donneurs de sperme qui font parfois payer leurs semences sans jamais penser aux éventuelles conséquences.
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femme sperme
En France, seuls les couples hétéros pouvant prouver un certain nombre d'années de vie commune peuvent bénéficier de don de sperme dans les CECOS (centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme).  Chaque année, plus de 4 000 couples sont demandeurs. Très peu bénéficient des spermatozoïdes d'un donneur.
(Thinkstock photo)
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En refermant le livre, on s'interroge  : "Pourquoi donc un tel ouvrage n'avait jamais vu le jour auparavant ?"  Est-ce à ce point tabou ? N'y a-t-il que l'humour pour évoquer le don de sperme et ses conséquences ? On pense au film Starbuck, du Québecois Ken Scott  et joli carton au box office
Le scénario, on s'en souvient peut-être, raconte l'histoire de David Wozniak, gamin de 42 ans, qui apprend qu'il est le géniteur anonyme de 533 enfants, dont 142 souhaitent le retrouver. Panique à  bord !

Ed, papa de 112 enfants


Dans la vraie vie, les choses sont souvent moins drôles mais pas moins improbables.
Le livre de Sarah Dumont commence avec "ED, géniteur champion d'Europe". Ed, c'est Ed Houben, quadra bien dans sa peau, habitant Maastricht
Ed super géniteur
Ed rend "service" à dix à quinze femmes par mois.
(capture écran site internet)

(Pays Bas) et papa aujourd'hui de .... 112 enfants ! "Et il ne demande jamais d'argent" tient à préciser la journaliste.
Contrairement au personnage du film, Ed accepte parfaitement cette multiple paternité. Son truc avoué, c'est faire "le bonheur des familles" et,  consciencieux, il précise même : "Je fais au mieux même quand je suis fatigué ou stressé. Car rater un don, c'est aussi reporter le projet d'enfants d'une famille..."

Comment lui est venue l'idée d'être un super donneur ? "Dans son cas, cela répond à une problématique personnelle et douloureuse. Ed a perdu une tante à l'âge de quatre ans et qui s'est suicidée parce qu'elle était stérile. Il avait un frère qui était très malade et il a vu sa compagne rester à son chevet pendant trois ans. Cela lui a donné un très grand amour des femmes. S'il n'avait pas fait cela, il aurait fait pompier volontaire ou quelque chose pour aider les autres. "

Depuis la création des banques de sperme en 1973, les Procréations Médicalement Assistées avec tiers donneur ont permis la naissance de près de 70 000 personnes en France.

Environ 1300 couples frappent à la porte du Cecos (
Conservation des Oeufs et du Sperme) chaque année. On en compte aujourd'hui 22 en France, dont 3 en Île-de-France.

En France, la limite légale pour un homme est de dix dons.

Donner son sperme comme son sang


Au gré des rencontres, au fil des pages, nous croisons André, 58 ans, qui vit en Bretagne. Sa femme, qu'il aime,  ne veut pas d'enfant. Il respecte son choix mais il souhaite quand même laisser "une trace" derrière lui. André se tourne alors vers le don de sperme, son "jardin secret". 
Laurent,  41 ans, affirme ne pas être un sentimental : "Je donne mon sperme comme mon sang"" dit-il froidement. Ce qui convient à Isabelle, 30 ans, qui a reçu

sperme à lunette
Le don de sperme n'est pas à confondre avec le dépôt de sperme qui est destiné aux hommes qui subissent un traitement agressif pouvant entraîner une stérilité . Le sperme est alors congelé et préservé, pour être utilisé plus tard, lorsque le couple aura un désir d'enfant.
(Thinkstock photo)

sa semence : " Je mets des distances volontairement, tout en gardant le contact pour un éventuel petit deuxième. Un père, c'est un homme qui élève son enfant, ce n'est pas ma vision d'un donneur. Je dirai juste à mon enfant qu'il a été conçu par un homme qui s'appelle Laurent".
Les profils se succèdent et les motivations sont multiples.
Sarah Dumont se souvient de ses rencontres :

"Il y a aussi des hommes qui ont eux même traversé des difficultés pour avoir un enfant  et qui ont été lancés dans des processus de FIV (Fécondation In Vitro ndlr). Ils ont la chance d'en avoir. Au moment de leur divorce, ils se disent : "Ben moi, je vais rendre service à d'autres" ou alors ils vont être touchés par l'histoire d'un couple lesbien  qui rêve de fonder une famille. Certains jouent même un rôle de parrain ou de père à distance"

Le fantasme du patriarche, se reproduire à l'infini

Des parcours qui ne sont pas tous aussi désintéressés. Certains hommes réclament un dédommagement de 250 euros pour un cycle de trois inséminations. Pour mener à bien son enquête, Sarah Dumont s'est faite passer pour une fausse receveuse.

Dans cette loterie des rencontres, elle a aussi croisé des hommes "aux motivations plus troubles", "plus agressifs", "qui disent vouloir faire les choses au naturel, c'est à dire sans préservatif,  et ne veulent que le sexe". Elle se souvient : "On sentait chez eux que cela répondait au fantasme du patriarche, se reproduire à l'infini, un sentiment de sur-puisssance, cela les valorisait énormément."

En pratique, on s'en doute, la poésie n'a pas sa place et le romantisme est aux abonnés absents. Dans ces affaires-là, pas de sentiment dans l'acte sexuel ou la méthode employée. Tout cela a lieu dans un étonnant vide juridique.
Quand il n'y a pas de rapport sexuel, l'insémination se fait donc de manière artisanale. "Elle  consiste écrit la journaliste, à recueillir la semence du donneur dans un récipient adapté et à l'injecter dans le vagin à l'aide d'une pipette ou d'une petite seringue". Reste que beaucoup d'hommes n'ont aucune conscience de ce que cet acte peut impliquer.
 

Le don de sperme, un pari risqué sur l'avenir 

"Quand on évoque avec eux les problèmes qui peuvent survenir, les hommes que j'ai rencontrés disent : "J'assumerai ". Chez les jeunes, il y a beaucoup d'inconscience. Pour les plus âgés, ils estiment ne faire que du bien. Pour eux, le danger ne vient que de l'enfant, s'il demande plus tard une reconnaissance de paternité." affirme la journaliste.
La loi est très claire à ce sujet. Si la filiation est établie avec, par exemple, un test ADN, l'article 371-2 du Code civil stipule que les pères de ces enfants-là "doivent contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de leurs ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur"
Mais il y a encore d'autres risques.

bébés en hauteur
Chaque année, en France, 24 000 à 32 000 enfants (soit 6 % des bébés) ne sont pas reconnus par leur père à la fin de leur année de naissance. Parmi eux, combien sont nés via des dons de sperme sauvage ?
(Thinkstock photo)

Il faut également évoquer le danger de la consanguinité.  "Quelques donneurs mettent à jour des tableaux Excel" précise sans rire Sarah Dumont. Mais il faut surtout souligner les risques génétiques avec leurs lots de maladies héréditaires (schizophrénie, épilepsie etc.).
Quel est le profil véritable du donneur ? Connaît-on bien son histoire, sa famille, ses ascendants, descendants ? Tout cela relève de la roulette russe. La force des réseaux sociaux et des sites web offre une gigantesque vitrine où l'on trouve des donneurs en nombre quasi illimité. Sans aucune traçabilité sérieuse sur le capital génétique du donneur.
Avec un organisme comme le CECOS, une enquête génétique est établie.  Et si l'on découvre  dans la famille du donneur quelques pathologies lourdes, le don n'est pas retenu.
Mais l'affaire soulève encore d'autres problèmes. Faut-il être argenté pour avoir un enfant ? "Dans le cas où la loi n' autorise pas le couple  à avoir des enfants, seules les femmes qui ont les moyens financiers d'aller à l'étranger parviendront à leurs fins. Ces femmes auront les moyens de payer X mois d'insémination... " note la journaliste. Avoir recours à un donneur gratuitement ou pour quelques centaines d'euros ouvre donc le champ des possibles.

Bébé qui marche
En Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, toute femme en mal d'enfant peut bénéficier d'une PMA sans avoir à se justifier.
(Thinkstock photo)

Et les enfants?

Une famille est le silence d'un groupe de personnes autour d'un même secret. Il peut arriver le moment où les enfants, qui n'en sont peut-être plus,  souhaitent connaître leur "véritable père". Comment dire la chose à l'enfant ? Dans le cas d'un donneur multiple, quelle conséquence psychologique après la révélation d'avoir été un enfant conçu parmi des dizaines d'autres ? Dans le livre de Sarah Dumont, la psychanalyste Genevive Delaisi explique : "Il faut pouvoir lui raconter une histoire sans mensonge ni trou noir. Si le père génétique est multi-donneur, ça paraît impossible. Comment donner du sens à une démarche qui n'a plus rien d'humain ? Ces hommes sont des étalons, des machines à donner du sperme ! Ce n'est pas racontable" .
La journaliste s'interroge : "La Procréation Médicalement Assistée (PMA) sera-t-elle bientôt accessible aux couples homosexuels et aux femmes seules ? L'anonymat des donneurs dans le cadre d'une insémination artificielle avec don de sperme sera-t-il bientôt levé ?" Et de prédire que ces sujets feront certainement partie de la campagne présidentielle de 2017.
On peut en douter
"Quoiqu'il en soit,
conclut-elle, tant que ces questions ne seront pas tranchées, des couples ou des femmes seules en mal d'enfant seront tentés de bricoler des insémination à la pipette de Doliprane avec le sperme du premier venu..."
 

Supers Géniteurs


"Supers-Géniteurs"
enquête sur le don de sperme sauvage en France.

Editions Michalon

17 euros